LIBRELA CONTRE LA DOULEUR ARTHROSIQUE - La Semaine Vétérinaire n° 1896 du 23/04/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1896 du 23/04/2021

NOUVEAU MÉDICAMENT

PHARMACIE

Auteur(s) : TANIT HALFON

En ciblant le NGF, une neurotrophine impliquée dans la transmission douloureuse au niveau ostéo-articulaire, Zoetis propose aux vétérinaires praticiens une nouvelle famille d’antalgiques pour l’arthrose canine. Ce médicament est à intégrer dans une approche multimodale de gestion de la maladie.

La prise en charge de la douleur arthrosique du chien s’est enrichie depuis le mois de mars d’un nouveau médicament, Librela, du laboratoire Zoetis1. C’est une nouveauté de taille puisqu’il s’agit du premier anticorps monoclonal anti-NGF (pour nerve growth factor ou facteur de croissance neuronale) disponible en médecine vétérinaire (bedinvetmab). En médecine humaine, ces anti-NGF contre la douleur arthrosique sont toujours attendus. Il s’administre par voie injectable par le vétérinaire, à raison d’une injection par mois.

Chez l’adulte, c’est son implication dans l’hypersensibilisation douloureuse périphérique et centrale qui en fait une cible pertinente pour lutter contre la douleur. En effet, dans un contexte arthrosique, le NGF est produit en excès au niveau ostéo-articulaire, avec d’autres médiateurs pro-inflammatoires. Une fois fixé sur son récepteur à haute affinité TrkA que l’on retrouve au niveau des extrémités des neurones sensitifs, le complexe formé va être internalisé, migrer vers le noyau cellulaire (moelle épinière), et augmenter la synthèse de plusieurs médiateurs pro-inflammatoires, lesquels seront libérés au niveau articulaire favorisant l’inflammation locale (inflammation dite neurogène). Cette libération augmentée de neurotransmetteurs va faciliter aussi le transfert du signal vers le cerveau contribuant donc à la sensibilisation centrale. Enfin, l’inflammation neurogène, couplée au NGF, induit aussi l’angiogenèse ; et le NGF contribue à la germination neuronale augmentant de fait la sensibilité globale de l’articulation. À noter qu’on trouve aussi le TrkA au niveau d’autres cellules, notamment les cellules inflammatoires, type mastocytes, ce qui participe à la sensibilisation douloureuse périphérique.

Une nouvelle option thérapeutique

De ce mécanisme d’action, découlent deux avantages : d’abord l’action sur la composante douloureuse de l’arthrose, qui correspond à l’indication du RCP2 : « soulager la douleur associée à l’arthrose » ; le médicament pourrait aussi théoriquement jouer, dans une moindre mesure, sur la composante inflammatoire de la maladie, il n’a toutefois pour l’instant pas d’AMM pour cette indication. Par ailleurs, l’action anti-NGF est à réserver aux douleurs ostéo-articulaires puisque les fibres innervant le compartiment ostéo-articulaire expriment préférentiellement le récepteur TrkA, à 80 % environ, ce qui n’est pas le cas dans d’autres tissus comme les muqueuses ou la peau.

En pratique, à ce stade, il n’y a pas de recommandation particulière pour le schéma thérapeutique qui est donc laissé à la libre appréciation du vétérinaire. À ce sujet, les chiens recrutés pour l’étude clinique de l’AMM n’ont pas été catégorisés suivant leur profil arthrosique, mais sur la base d’un examen clinique et radiographique positif pour l’arthrose, et avec une douleur quantifiée, même minime, par la grille CBPI (canine brief pain inventory). Malgré tout, les praticiens du conseil scientifique de Zoetis3 testent maintenant depuis plusieurs semaines le médicament avec leur clientèle dans le cadre du programme révolution antidouleur arthrosique (Prada - série de cas du terrain). En découlent des premières pistes d’utilisation. Un premier usage est sans doute pour l’animal en impasse thérapeutique, devenu intolérant aux AINS, et/ou avec comorbidités possibles, Librela ayant l’avantage de ne pas avoir de contre-indications digestives ni rénales. Librela peut être aussi proposé pour tenter d’améliorer davantage les capacités fonctionnelles du chien arthrosique. Le médicament pourrait être utile dans un contexte pluri-arthrosique. L’usage en post-chirurgical, en cas de lésions concomitantes d’arthrose et de défaut de récupération (animal qui ne remarche pas) pourrait être aussi intéressant. Librela n’est pas à réserver aux cas les plus complexes, ni aux stades les plus avancés. Une utilisation en première intention est en théorie possible mais a été peu testée par les membres du conseil. Cela dit, les AINS restent encore un traitement très pertinent en première intention. Un emploi pour des défauts d’observance d’autres médicaments pourrait être envisagé.

Un traitement personnalisé

Il n’est pas exclu de combiner Librela avec d’autres médicaments, par exemple avec de la gabapentine en cas de douleur neuropathique, ou du tramadol en cas de poussée douloureuse de palier II. Attention toutefois pour les AINS : les essais AMM ont uniquement démontré qu’une administration avec le carprofène était possible jusqu’à 14 jours. Il est déconseillé d’aller au-delà, d’autant qu’en médecine humaine, la combinaison anti-NGF à forte dose et AINS a été associée à des cas d’arthropathies destructrices, ce qui avait valu la suspension des essais cliniques. Depuis, les essais cliniques ont repris à des doses inférieures et sans prise associée d’AINS4. En médecine vétérinaire, cela n’a pas été décrit. Enfin, à ce stade, l’usage de Librela doit se limiter à la gestion de la douleur arthrosique : s’il est tentant par exemple d’y penser pour la gestion palliative des douleurs de l’ostéosarcome, on ne dispose encore d’aucunes données à ce sujet.

Librela doit bien entendu s’intégrer dans une démarche globale classique de gestion arthrosique, qui fait intervenir traitements médicamenteux, traitements conservateurs (perte de poids, compléments nutritionnels) et adaptation de l’activité de l’animal (activité régulière et progressive, mais avec restriction des activités de forte intensité), en association dans certains cas à un traitement chirurgical s’il y a une cause mécanique associée (par exemple, lors de rupture associée de ligament croisée, ou de présence d’un fragment articulaire). In fine, il faut bien retenir qu’en matière de gestion de la douleur arthrosique, le maître-mot est de s’adapter à l’animal, pour prescrire un traitement individualisé pouvant impliquer Librela, avec l’objectif fondamental d’améliorer la qualité de vie du patient, mais aussi son handicap fonctionnel.

Deux injections au minimum

Gérer l’arthrose implique aussi d’associer le propriétaire dans le suivi de son animal ce qui passe par une évaluation régulière de la douleur via des grilles de scoring. Cette évaluation est fondamentale pour adapter le traitement, et pourrait être facilitée avec Librela puisqu’il s’agit d’un médicament injectable uniquement par un vétérinaire. Conséquence : le propriétaire pourra se focaliser sur le suivi à la maison des progrès de son animal. Cela favorise de fait l’observance et le suivi régulier du patient par son praticien.

Le protocole d’administration est une injection par mois, par voie sous-cutanée, à la dose de 0,5 à 1 mg/kg. En pratique, il est préconisé de réaliser au moins les deux premières injections, pour garantir un maximum d’efficacité. Pour la suite, ce sera à adapter au cas par cas, et on pourrait même envisager d’espacer les injections, suivant notamment les résultats des grilles d’évaluation de la douleur. De plus, en théorie, rien, à ce stade, ne contre-indique un emploi à vie, à condition bien entendu d’inscrire le traitement dans une approche globale de gestion de l’arthrose comme dit plus haut. L’étude clinique de l’AMM a démontré une efficacité durable sur 9 mois.

Attention pour les praticiennes : le NGF jouant un rôle dans le développement neuronal du fœtus, les femmes enceintes, essayant de concevoir ou allaitantes, doivent manipuler le médicament avec prudence.

1. Voir La Semaine Vétérinaire no 1883 du 22 janvier 2021, page 13.

2. www.bit.ly/3wZ2pQ3

3. Isabelle Chamouton, Guillaume Ragetly, Thierry Poitte et Luca Zilberstein. Alain Eschalier, médecin pharmacologue, et Antoine Fordin, responsable national vétérinaire spécialisé chez Zoetis, sont les deux derniers membres du conseil. À ce stade, le recul terrain est sur un maximum de deux injections de Librela.

4. www.bit.ly/3gegwLI et www.bit.ly/3wSTbFj

ET LE PRIX ?

Le prix d’une boîte – 2 flacons – varie entre 48 et 77 euros suivant la dose. Pour le propriétaire, cela revient à une injection mensuelle de 53 à 85 euros.

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