LES FOURRIÈRES : DES ÉVOLUTIONS EN VUE - La Semaine Vétérinaire n° 1896 du 23/04/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1896 du 23/04/2021

DOSSIER

Auteur(s) : LORENZA RICHARD

LA PROPOSITION DE LOI VISANT À RENFORCER LA LUTTE CONTRE LA MALTRAITANCE ANIMALE APPORTE PAR SON ARTICLE 3 NOTAMMENT DES MODIFICATIONS CONCERNANT LE FONCTIONNEMENT DES FOURRIÈRES, EN ALLANT DANS LE SENS D’UN MEILLEUR RESPECT DU BIEN-ÊTRE DES ANIMAUX. SI LA LOI EST VOTÉE AU SÉNAT, COMMENT LES RÉALITÉS DU TERRAIN ÉVOLUERONT-ELLES POUR LES COMMUNES ET LES VÉTÉRINAIRES ?

Les vétérinaires font parfois office de fourrière, car les communes ne disposent pas de locaux permettant d’accueillir les animaux errants », observe Loïc Dombreval, vétérinaire député des Alpes-Maritimes. C’est pourquoi, notamment, sa proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la maltraitance animale, adoptée le 29 janvier dernier par l’Assemblée nationale et en attente d’être votée par le Sénat, prévoit que « chaque commune ou chaque établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre doit disposer d’une fourrière ou d’un refuge, apte à l’accueil et à la garde des chiens et chats trouvés errants1 ». « Un vétérinaire n’a pas à prendre en charge dans sa structure un animal divaguant non blessé ou non malade, déclare Christophe Bazile, maire de Montbrison (Loire) et vétérinaire. Réglementairement, il est déjà de la responsabilité du maire de capturer un animal errant, confié à un prestataire de fourrière payé par la collectivité2. Il est alors plutôt logique d’imposer aux communes d’avoir des conditions ad hoc pour garder l’animal. » Une fourrière doit chercher les propriétaires des animaux et elle est réglée par délégation de service public par les communes, alors qu’un refuge est chargé de faire adopter les animaux et est rémunéré par des dons. Loïc Dombreval explique cependant que l’important est que les animaux soient accueillis dans des locaux adaptés, et que la commune peut déléguer une mission de fourrière soit à un refuge d’une association de protection animale, soit à une société privée de fourrière, soit à une régie directement gérée par la collectivité, « l’objectif étant d’assurer un vrai maillage de ces structures sur le territoire, pour des raisons de bien-être animal, et de sécurité et de salubrité publiques. »

Assurer un maillage de fourrières

De plus, la proposition de loi demande au maire ou au président de l’intercommunalité de constater que les capacités de la fourrière ou du refuge sont adaptées aux besoins de chacune des communes pour lesquelles elle assure le service d’accueil des animaux. Il n’existe pas de chiffre officiel concernant le nombre de fourrières en France, mais le nombre d’animaux en divagation est estimé à environ un pour 250 habitants. « Le décret d’application précisera les modalités pratiques de cette évaluation, mais l’esprit du texte est de permettre d’avoir un maillage dense de fourrières et que leur taille soit réellement adaptée aux besoins locaux », justifie Loïc Dombreval.

« Selon la taille des communes, les moyens pour avoir les locaux adaptés sont différents, confirme Christophe Bazile. Il est ainsi fréquent qu’une fourrière soit partagée par plusieurs communes, pour un partage des coûts et un résultat satisfaisant. » Notre confrère maire évalue la capacité de la fourrière « à partir des statistiques d’animaux errants, dont nous connaissons les évolutions par année et selon la saison. » Pour lui, globalement, la proposition de loi est une bonne évolution, qui donne un cadre, mais la difficulté est de trouver un porteur de projet pour ouvrir une fourrière en délégation de service public avec des locaux aux normes.

En effet, la proposition de loi impose que les animaux soient accueillis dans des conditions permettant de veiller à leur bien-être et à leur santé. Concernant le bien-être, la taille des infrastructures est définie par décret (5 m2 de surface abritée par chien, 10 m2 pour ceux de grande taille). Toutefois, « au-delà de ces normes, le bien-être animal consiste également en un ensemble de pratiques correspondant aux cinq libertés que les gestionnaires de la fourrière devront respecter, d’où l’importance fondamentale d’une formation, déclare Loïc Dombreval. Ses modalités seront définies par décret, et elle doit permettre aux gestionnaires de connaître les particularités de cette situation de détention pour l’animal, et notamment le stress que cela peut générer. » Il serait d’après lui également bon d’y indiquer des dispositions permettant d’aménager les cages des chats (lieux pour se cacher et se percher, etc.). Ainsi, un module bien-être pourrait être intégré au certificat de capacité des animaux de compagnie d’espèces domestiques dont les gestionnaires d’une fourrière ou d’un refuge et les agents de terrain doivent réglementairement disposer. Notre consœur Armelle Aebischer, directrice du chenil-fourrière du Lot-et-Garonne, constate cependant que « la formation en bien-être animal concerne peut-être davantage les bénévoles sans compétences animalières qui travaillent dans les refuges. L’important serait de permettre aux agents d’avoir le temps de promener les animaux et de prendre soin d’eux, comme le font les bénévoles en refuge. »

Vétérinaires sanitaires ou conventionnés

Enfin, chaque gestionnaire de fourrière doit désigner un vétérinaire sanitaire3, dont la mission est la même, que la fourrière soit privée, associative ou municipale. « Il doit élaborer le règlement sanitaire et veiller à son application par les personnes qui travaillent au contact des animaux, en termes d’hygiène essentiellement, explique Armelle Aebischer. Il réalise l’identification, la vaccination ou la surveillance des animaux mordeurs si besoin. Enfin, il participe à la protection animale en retrouvant les propriétaires, ou en trouvant des solutions pour éviter l’euthanasie, en transférant gratuitement des animaux identifiés et vaccinés aux associations en vue d’adoption. »

Un conventionnement4, possible mais non obligatoire, peut également être établi entre la fourrière et des structures vétérinaires pour la prise en charge des animaux errants ou accidentés hors période d’ouverture des locaux. « En fourrière, nous assurons la continuité des soins quand l’animal est déjà passé chez un vétérinaire, mais nous ne sommes pas équipés de matériel pour réaliser des diagnostics biochimiques ou hématologiques, ni pour des interventions importantes, ajoute notre consœur. Si un animal est blessé, la commune ou la fourrière peut l’adresser au vétérinaire conventionné, et c’est elle qui règle les soins. » De plus, un vétérinaire auquel un particulier apporte un animal accidenté, doit lui prodiguer les premiers soins. Si le propriétaire de l’animal n’est pas retrouvé, c’est la commune qui règle les soins.

Limiter les euthanasies

Enfin, la proposition de loi allonge le délai de détention en fourrière de 8 à 15 jours. Après ce délai, la fourrière devient propriétaire de l’animal et peut le placer en refuge pour adoption ou l’euthanasier. « Nous souhaitions cette modification afin de donner une chance supplémentaire à certains animaux d’être retrouvés par leur propriétaire, notamment les chats, explique Loïc Dombreval. Certains estiment que 40 000 euthanasies sont réalisées annuellement dans les fourrières, nous espérons que cet allongement du délai permette de réduire ces chiffres. Si cette disposition du texte est conservée par le Sénat, on souhaiterait voir publié le décret d’application la rendant effective à la fin de l’année 2021. » Les différents prestataires de fourrière contactés assurent toutefois que tout est mis en œuvre pour placer les animaux à l’adoption, largement privilégiée, alors que l’euthanasie n’est pratiquée qu’en dernier recours. Plutôt qu’augmenter ce délai, Christophe Bazile propose d’améliorer la communication et la diffusion de l’information sur l’animal trouvé. Il souhaite aussi que l’amende soit plus forte après 8 jours de garde, « car cela donne la possibilité aux propriétaires d’attendre encore pour aller chercher leur animal et ne les responsabilise pas ». De plus, il estime que cette mesure « nécessitera l’augmentation des capacités des fourrières existantes, donc des travaux conséquents pour construire des box supplémentaires ».

Aider financièrement

« Nous avons anticipé le fait que les maires auraient probablement des difficultés à financer les locaux, répond Loïc Dombreval. Le plan de relance mis en place par le gouvernement, indépendant de la stratégie 2016-2020 relative au bien-être animal, a accordé 20 millions d’euros aux associations de protection animale pour les aider à rénover leurs refuges, et il est important que les communes travaillent main dans la main avec elles. » De plus, notre confrère député a proposé la création d’un fond de concours dans son rapport de mission gouvernementale remis en juin 2020 au ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, Didier Guillaume. La priorité initiale de ce fonds sera d’offrir une réponse à la stérilisation des chats errants et à la question des fourrières, mais à plus long terme il pourrait permettre de financer plus largement et à long terme des dispositifs de protection animale. « J’ai sollicité de nouveau le ministre [depuis juillet 2020 Julien Denormandie, NDLR] sur ce point début mars. Il est impératif que nous apportions une réponse financière pérenne aux dispositions de la proposition de loi », conclut-il.

1. Comme définis à l’article L. 211-23 du Code rural et de la pêche maritime (CRPM).

2. Article L. 211-22 du CRPM.

3. Articles L. 211-24 et R. 214-30 du CRPM.

4. Article R. 211.11 du CRPM.

Inciter les communes à respecter cette réglementation déjà existante

TÉMOIGNAGE

ARMELLE AEBISCHER

Directrice du Syndicat intercommunal à vocation unique (SIVU) chenil-fourrière du Lot-et-Garonne à Caubeyres

La fourrière intercommunale du Lot-et-Garonne existe depuis 1991 et 319 communes du Lot-et-Garonne y adhèrent, à travers le Syndicat Intercommunal à vocation unique (SIVU), dont je suis également la directrice. Elle accueille les chiens et chats de tout le département.

Le nombre de chiens rentrés en fourrière a diminué en 2020, année de confinement. Pour plus du tiers d’entre eux, le propriétaire est retrouvé, et la grande majorité des autres sont placés en association pour adoption. En revanche, il y a très peu de chats dont les propriétaires sont retrouvés, car ils restent peu identifiés, et de nombreux chats libres sont euthanasiés. Cela devrait évoluer avec l’obligation d’identification et, pour les communes, l’obligation de conventionner avec une association pour garder les chats libres dans leur environnement, après stérilisation et identification. Le Code rural impose depuis longtemps à chaque commune d’avoir une fourrière, mais avec cette proposition de loi, l’État souhaite réduire le nombre d’abandons et d’animaux errants et inciter les communes à respecter cette réglementation déjà existante. Ainsi, il sera peut-être mieux affiché dans les communes si elles se regroupent en fourrière départementale ou conventionnent avec des refuges pour faire fourrière : le public doit savoir qui s’en occupe et connaître la démarche à suivre en cas de perte de son animal.

L’amende forfaitaire serait aussi bénéfique

TÉMOIGNAGE

CÉLINE PUECHGUIRAL-GERGÈS

Vétérinaire à la fourrière municipale de Marseille (Bouches-du-Rhône)

Depuis dix ans, je travaille pour la Société protectrice des animaux (SPA) Marseille-Provence1, qui regroupe un refuge animalier pouvant accueillir jusqu’à 800 animaux en été sur site, et plusieurs fourrières environnantes, dont celle de la ville de Marseille. Je m’occupe principalement de la fourrière et des réquisitions de maltraitance, mais nous sommes entre trois et quatre vétérinaires à demeure.

L’énorme avantage d’être jumelé à un refuge est que les décisions douloureuses d’euthanasies ne sont jamais prises en urgence. Plusieurs professionnels nous aident dans ces décisions (vétérinaires comportementalistes, éducateur canin, etc.) et le facteur temps n’est pas aussi contraignant qu’en fourrière simple.

Le refuge est financé par les dons, alors que la fourrière l’est par les contrats de service public des communes. L’équilibre est à peu près acquis et l’on peut convenablement soigner nos animaux, y compris en faisant intervenir les cliniques spécialisées de la région (orthopédie, scanner, etc.).

Le nouveau projet de loi serait une grande avancée, surtout en retardant les décisions d’euthanasie de 8 jours supplémentaires. En effet, nombreux sont les animaux traumatisés à leur arrivée, qui ont besoin de temps afin de retrouver une attitude compatible avec une adoption. L’amende forfaitaire serait aussi bénéfique afin de responsabiliser les propriétaires car il n’est pas rare d’avoir des chiens qui rentrent jusqu’à dix fois en fourrière sur une année…

1. Non affiliée à la SPA nationale.

L’intérêt est que nous identifions tous ces animaux

TÉMOIGNAGE

YOHAN LAZ

Directeur opérationnel et métiers du service pour l’assistance et le contrôle du peuplement animal (SACPA)

La SACPA regroupe un tiers de la population totale des fourrières nationales, dans 38 pôles animaliers. Les conditions d’hébergement des animaux sont les mêmes, mais les missions différent : fourrière, pension ou refuge. Sur le terrain 250 agents, formés selon les obligations réglementaires, sont prêts à intervenir 24 heures/24, dans les deux heures maximum. Nous intervenons en cas de constat de divagation attesté par le pouvoir du maire, qui peut désigner des donneurs d’ordre : pompiers, police municipale ou nationale, gendarmerie et vétérinaires conventionnés. Avec le confinement, les interventions ont diminué, de 65 521 en 2019 à 57 165 en 2020.

Nous sommes financés par les communes en délégation de services, avec obligation de résultats. La loi est bien faite, et si elle était respectée, les animaux resteraient peu de temps en fourrière car ils seraient tous identifiés et les citoyens bien informés des services de fourrière. Cela n’est pas le cas et nous devons ainsi tout mettre en œuvre pour retrouver les propriétaires, notamment via les réseaux sociaux, et le justifier dans un rapport d’activité. Près de 70 à 80 % des chiens sont restitués, et 10 à 15 % des chats, notamment car l’identification des chats n’est pas encore entrée dans les mœurs.

L’intérêt est que nous identifions tous ces animaux, et que nous travaillons avec des associations sur tout le territoire pour replacer ceux qui ne sont pas restitués. L’augmentation du délai de garde n’aura pas d’impact pour nous, ce délai étant déjà prolongé si des associations ne sont pas disponibles, toutefois cela sera à prendre en compte en cas de surpopulation.

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