GARE AU CHOCOLAT - La Semaine Vétérinaire n° 1896 du 23/04/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1896 du 23/04/2021

TOXICOLOGIE CLINIQUE

PRATIQUE CANINE FÉLINE NAC

Auteur(s) : TANIT HALFON

Une récente étude rétrospective s’est penchée sur l’intoxication au chocolat du chien. Elle rappelle l’importance de la nature et de la quantité de chocolat ingéré, ainsi que du moment de l’ingestion, pour la mise en œuvre d’un traitement.

En cette période de fête de Pâques, le chocolat a la cote… augmentant le risque d’intoxication aux méthylxanthines qu’il contient pour le chien de compagnie, et notamment à la théobromine, qui est la méthylxanthine majoritaire dans le chocolat. Dans ce contexte, une étude récemment publiée dans le Journal of Small Animal Practice1 sur l’intoxication au chocolat rappelle quelques informations utiles au vétérinaire praticien. Il s’agit d’une étude rétrospective descriptive incluant 156 cas de chiens présentés à la faculté vétérinaire de Berlin à la suite d’une ingestion de chocolat2. Si les cas enregistrés sont étalés toute l’année, c’est sans surprise qu’un pic a été observé en décembre (32 chiens, soit 20,2 % des cas), suivi d’un autre, bien moins important, au printemps, en mars et avril avec respectivement 16 cas (10,1 %) et 18 cas (11,4 %). De plus, tout type de chiens étaient représentés : 51 races différentes dont la plus importante était le Labrador avec 10 individus ; des chiens âgés de 3 mois à 16 ans (médiane 4 ans) ; et presque autant de femelles que de mâles. Côté clinique, presque les trois quarts des chiens de l’étude (112) ne présentaient pas de signes particuliers, du fait notamment d’une ingestion précoce du toxique, et aussi d’une ingestion préférentielle de chocolat blanc (60 chiens), dont la teneur en théobromine est considérée comme négligeable (voir encadré). Pour tous ces animaux, les examens de laboratoire se sont révélés normaux.

Des signes cliniques multiples, un seul décès

Pour les 44 chiens restants, les symptômes décrits par les propriétaires étaient multiples, et d’ordre cardiovasculaire, digestif, et neurologique : agitation (33), tremblements (22), vomissements (21), halètement (11), polyuro-polydipsie (7), diarrhées (2) et convulsions (1). Pour 3 chiens, ces symptômes sont apparus rapidement, entre 45 et 60 minutes post-ingestion. À l’examen clinique, les signes notés étaient de la tachycardie (28 - FC : 140 à 280 bpm), de la tachypnée et halètement (14), une hyperthermie (10 - T : 39,1 à 40 °C) et une déshydratation (7). Deux chiens présentaient de plus une hypertension artérielle (180 et 185 mmHg). Les anomalies sanguines détectées étaient une hyperlactémie, une hypokaliémie, une hyperglycémie modérée, et une augmentation modérée des paramètres hépatiques. Au total, seul un chien, parmi ceux présentant des signes cliniques, est décédé. Âgé de 6 ans, il avait ingéré 100 g de chocolat noir (64 mg/kg de théobromine) 12 heures avant la consultation, et présentait une tachycardie sinusale marquée (200 bpm), une hyperthermie modérée, des vomissements, des convulsions, associés à une hypokaliémie sévère (2,8 mmol/l) et une hyperglycémie modérée. Malgré le traitement symptomatique mis en place, le chien est mort en 4 heures.

Un traitement dose-dépendant

Le choix de traiter ou pas est évidemment vite vu si les propriétaires du chien signalent une ingestion de chocolat. Toutefois, la décision thérapeutique dépend directement de la dose ingérée. Dans cette étude, seuls les chiens suspects d’avoir ingéré une dose de plus de 20 mg/kg de théobromine ont été traités. En effet, la littérature rapporte que des signes cliniques modérés (agitation) apparaissent à partir de cette concentration, les signes cardiovasculaires pour des doses supérieures à 40 mg/kg et les signes neurologiques à partir de 60 mg/ kg. De plus, 50 % des chiens meurent après une prise de 100 à 200 mg/ kg de théobromine. Pour les chiens ayant avalé du chocolat composé de différents types de chocolat avec des proportions inconnues, c’est le type de chocolat avec la dose théorique la plus forte de méthylxanthine qui sera pris en compte dans les calculs. Il convient de prendre garde à une autre méthylxanthine du chocolat, la caféine. Les auteurs de l’étude l’expliquent : un ratio théobromine/caféine de 5/1 est associé à un fort potentiel toxique. De plus, la caféine est absorbée plus rapidement que la théobromine, avec une concentration maximum dans le sérum atteinte au bout de 30 à 60 minutes (contre environ 2 heures pour la théobromine), pouvant théoriquement amener à des manifestations cliniques plus précoces. Dans l’étude, 3 chiens ont montré des symptômes entre 45 et 60 minutes post-ingestion. Cela dit, la dose minimale toxique de caféine n’est pas connue ; en revanche, sa dose létale est estimée entre 110 et 200 mg/kg.

À noter que les chats peuvent aussi être concernés mais à la différence du chien, le félin est plus sélectif dans son alimentation, ce qui rend l’intoxication au chocolat plus rare. Attention toutefois : la dose toxique de caféine et de théobromine est plus basse que pour le chien.

Attention aux intoxications croisées

Pour les modalités thérapeutiques, une injection d’apomorphine est la première chose à prévoir, à condition que l’animal ait ingéré le chocolat dans les 6 à 8 heures avant la consultation. Un lavage gastrique peut être aussi envisagé lors d’ingestion massive de chocolat (qui ne sera pas forcément évacué par un émétisant). Pour le reste, aucun antidote n’existe, aussi le traitement est uniquement symptomatique et éliminatoire. Il doit être bien entendu le plus précoce possible. Dans cette étude, 19 chiens sur les 44 présentant des signes cliniques ont été hospitalisés entre 1 et 4 jours. Si le pronostic apparaît comme relativement bon avec un seul décès noté, ce n’est pas forcément représentatif des intoxications au chocolat, qui sont généralement décrites comme une situation clinique ayant un pronostic réservé3. En effet, la quantité ou le type de chocolat ne sont pas forcément connus, et un décès brutal peut apparaître entre 6 et 24 heures après l’ingestion du toxique, par collapsus cardiovasculaire, à la suite parfois de convulsions. En théorie, des symptômes peuvent apparaître jusqu’à 72 heures post-ingestion, la demi-vie de la théobromine étant de 17,5 heures. Si l’animal est toujours en vie après 48 heures, le pronostic est favorable.

Attention : le chocolat peut contenir du xylitol4, un composé utilisé pour son pouvoir sucrant. Pour le chien, la dose toxique est de 100 mg/kg (hypoglycémie) à 500 mg/kg (troubles hépatiques). Dans l’étude, un chien a été concerné et avait ingéré une dose 195 mg/kg de théobromine. À la clinique, il présentait des vomissements, de la polyuro-polydipsie (PUPD) et de l’agitation, mais ce sont les examens de laboratoire qui ont permis de suspecter une intoxication au xylitol avec une hausse du taux d’alanine aminotransférase (ALAT) et une hypoglycémie.

1. Weingart C., Hartmann A. et Kohn B., Chocolate ingestion in 156 dogs, Journal of Small Animal Practice, 2021. www.bit.ly/3gabEXJ

2. Il s’agit de cas pour lesquels les propriétaires de chien ont directement observé l’ingestion du chocolat, présentés entre janvier 2015 et janvier 2019.

3. www.bit.ly/3diccJd et www.bit.ly/32kcxoF

4. Connu sous l’appellation sucre de bouleau ou additif E967.

UNE QUESTION DE DOSE

Les concentrations en théobromine et caféine varient suivant le type de chocolat. Les doses suivantes sont indiquées dans l’étude :

- chocolat blanc : théobromine 0,5 à 2 mg/g et caféine 0,1 à 0,9 mg/g ;

- chocolat noir à 55 % de cacao : théobromine 5 à 8,5 mg/g et caféine 0,5 à 2,6 mg/g ;

- chocolat amer à > 70 % de cacao : théobromine 5,5 à 12,7 mg/g et caféine 0,7 à 3 mg/g.

Pour la poudre de cacao, on estime1 que la concentration maximale en théobromine est de 25 mg/g ; pour le chocolat au lait, elle est de 2 mg/g ; pour les fèves de cacao, de 51 mg/g.

1. Thèse ENVA, 2009, page 58 : www.bit.ly/3e4UisH