ADN CIRCULANT : UN NOUVEL OUTIL PROMETTEUR EN ONCOLOGIE VÉTÉRINAIRE - La Semaine Vétérinaire n° 1893 du 02/04/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1893 du 02/04/2021

RECHERCHE

PRATIQUE CANINE FÉLINE NAC

Auteur(s) : TANIT HALFON

Une équipe de recherche de l’institut de génétique et développement de Rennes a montré qu’il était possible de détecter de l’ADN tumoral circulant pour trois types de tumeurs canines. Des avancées qui ouvrent la voie à de nouveaux outils non invasifs de suivi thérapeutique des chiens atteints de cancer.

En cancérologie, humaine et vétérinaire, il est possible de détecter des marqueurs tumoraux dans des liquides biologiques comme le sang, les urines ou la salive. C’est ce qu’on appelle la biopsie liquide. Parmi les biomarqueurs rapportés, l’ADN tumoral circulant (ADNtc) est au centre des recherches menées par l’équipe « génétique du chien » de l’institut de génétique et développement de Rennes (IGDR). À l’état physiologique, les cellules libèrent de l’ADN (dit libre) par différentes voies (apoptose, nécrose, sécrétion). Ce phénomène est aussi observé pour les cellules tumorales. À l’IGDR, il a été démontré qu’il était possible de détecter1 cet ADNtc dans le plasma de chiens atteints de lymphome B multicentrique de haut grade (cohorte de 14 chiens), de sarcome histiocytaire (cohorte de 45 chiens) et de mélanome buccal (cohorte de 10 chiens). Pour le sarcome histiocytaire, cette détection passe par une recherche spécifique de mutations du gène PTPN11 qui sont décrites dans 50 % des cas. Pour le mélanome sont recherchées les amplifications des gènes MDM2 et TRPM7, présentes aussi dans 50 % des cas. Le test diffère pour le lymphome puisqu’aucune mutation avec un fort taux de récurrence n’est connue à ce jour. Il faut donc en passer par le test de clonalité ou PARR (pour Polymerase chain reaction - PCR - to assess Antigen Receptorgene Rearrangements)2 associé au développement d’un autre outil PCR spécifique à chaque chien, et qui est plus sensible pour leur suivi.

Des premiers résultats prometteurs

Pour le sarcome histiocytaire, un test positif peut être interprété comme fortement évocateur de la maladie (VPP 95,5 %), reflétant son intérêt en tant que test diagnostic. Cependant, sa sensibilité est limitée. Elle est d’environ 43 % mais avec une très bonne spécificité de 98,8 %. Il est à noter que cette sensibilité augmente dans les formes viscérales (59,4 %) et pulmonaires (77 %). Pour le lymphome, le suivi de 4 chiens a montré que la cinétique de l’ADNtc reflétait la réponse à la chimiothérapie : une réponse clinique est en effet associée à une rémission moléculaire (absence de détection d’ADNtc), alors qu’en cas de réponse partielle au traitement, on détecte toujours de l’ADN tumoral résiduel dans le plasma. De plus, dans un cas clinique, après une phase de rémission moléculaire, de l’ADN résiduel a été de nouveau détecté une quarantaine de jours avant la récidive clinique (adénomégalie palpable). Ces résultats sont prometteurs mais appellent à d’autres études avec un plus grand nombre d’animaux pour conforter l’usage de la biopsie liquide en clinique. Pour le sarcome, par exemple, il faudrait savoir à quel point cette méthode permet une détection précoce du processus tumoral par rapport à la détection clinique. Pour le lymphome, la question est de savoir comment intégrer le test au parcours soin et, surtout, quel est son bénéfice. En détectant précocement une récidive, améliore-t-on la survie de l’animal ?

Des limites à dépasser

Des limites sont aussi à dépasser avant de pouvoir envisager un usage sur le terrain, notamment en lien avec la performance du test. Par exemple, il est plus difficile d’identifier des amplifications de gènes, que des mutations. La performance du diagnostic dépend aussi de la récurrence des mutations spécifiques d’un cancer : par exemple, les mutations PTPN11 ne sont observées que dans 50 % des cas de sarcomes, mais plus fortement dans les formes viscérales. Améliorer la sensibilité du test pour le sarcome pourrait passer par rechercher une combinaison de mutations spécifiques de la tumeur. Se pose aussi la question du coût : il faut compter dans les 150 euros de manipulation pour la recherche de mutation pour le sarcome ; 200 euros pour développer l’outil spécifique pour le lymphome auxquels s’ajoutent les 150 euros d’analyse ponctuelle.

Vers une médecine personnalisée

Malgré ces limites, les usages globaux en clinique de l’ADNtc se dégagent. D’abord comme aide au diagnostic, notamment pour les tumeurs difficiles d’accès pour la biopsie ou pour les animaux non anesthésiables pour la biopsie. Ensuite, pourquoi ne pas intégrer ce genre de test à des bilans de santé (check-ups) pour certaines races canines connues pour être à risque de développer un cancer spécifique. Ceci dit, l’analyse histologique restera toujours l’examen de choix pour le diagnostic d’une tumeur. Un autre usage est celui de l’évaluation de l’efficacité du traitement. Enfin, pour la surveillance pendant la phase de rémission pour détecter précocement les récidives. À l’instar de ce qui existe déjà en médecine humaine, cela pourrait aussi, à terme, aider à adapter le traitement. En effet, lors de l’évolution d’un processus tumoral, les cellules tumorales acquièrent des mutations leur conférant des résistances aux thérapies (phénomènes d’échappement au traitement). La détection de ces mutations, via l’ADNtc, aiderait alors à réorienter le traitement (et éviter une nouvelle biopsie). Tout cela ouvre un peu plus la voie à une médecine personnalisée.

1. Travail de thèse d’Anaïs Prouteau (www.go.nature.com/39pcGLs).

2. Le PARR est une technique de PCR permettant d’amplifier une région génomique spécifique des lymphocytes, qui va coder pour les récepteurs aux antigènes (immunoglobuline pour les lymphocytes B et récepteur T pour les lymphocytes T).

Si vous souhaitez participer aux travaux de recherche de l’Institut, vous pouvez contacter l’équipe Génétique du chien (CNRS/université de Rennes) par mail : cani-dna@univ-rennes1.fr ou benoit.hedan@univ-rennes1.fr.

DES TESTS SONT DÉJÀ SUR LE MARCHÉ

D’autres équipes de recherche travaillent sur la biopsie liquide. Il a déjà ainsi été montré qu’il était possible de détecter de l’ADNtc chez les chiennes atteintes de carcinomes mammaires ainsi que pour les adénocarcinomes pulmonaires et les carcinomes prostatiques et urothéliaux. Dans ce dernier cas, un test diagnostic est déjà accessible en France : il s’agit de la recherche de la mutation V595E du gène BRAF, à partir d’un échantillon urinaire. Cette mutation est présente dans 80 % des carcinomes prostatiques et dans 36 à 87 % des carcinomes transitionnels de la vessie et de l’urètre. Ce « BRAF test » présente une spécificité de 100 % et une sensibilité variable mais globalement bonne (60-80 %). La recherche s’intéresse aussi à d’autres types de marqueurs. Aux États-Unis, par exemple, le Nu. Q™ Cancer Test (société Volition) se fonde sur la mesure du taux de nucléosomes circulants. Selon le laboratoire, ce taux est bas chez les chiens sains et élevé chez les chiens atteints d’hémangiosarcomes (Se 89 %, Sp 100 %) et de lymphomes (Se 74 %, Sp 100 %) permettant d’envisager le test pour détecter de façon précoce les chiens malades. Attention cependant, de manière générale, certains biomarqueurs tumoraux non spécifiques ont tendance à augmenter lors de processus inflammatoires ou infectieux, à voir donc si cela est bien pris en compte dans les études publiées par les laboratoires commercialisant ces tests.

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