REPENSER NOTRE MODÈLE DE GOUVERNANCE DE LA SANTÉ - La Semaine Vétérinaire n° 1892 du 26/03/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1892 du 26/03/2021

ONE HEALTH

ANALYSE

Auteur(s) : LORENZA RICHARD

Décloisonnement, prévention, recherche, communication sont quelques-uns des objectifs qui ont été fixés lors de la journée Une seule santé, en pratique ?, organisée en streaming notamment par VetAgro Sup le 17 mars dernier, un an jour pour jour après le début du premier confinement.

Demain, nous devrons mieux prévenir pour avoir moins souvent à guérir », a déclaré Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, en préambule à la journée1 Une seule santé, en pratique ?, organisée en streaming notamment par VetAgro Sup le 17 mars dernier, dont l’objectif était de « proposer des solutions concrètes pour décliner l’approche « Une seule santé » en décloisonnant les expertises et en additionnant les compétences ». La crise du Covid-19, dont le rapport de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) d’octobre 2020 indique qu’elle a été déterminée par les activités humaines, a montré à la fois le pouvoir de la santé publique et sa faillibilité. Elle pose la question de notre capacité à prévenir d’éventuelles prochaines pandémies, sachant que, selon ce même rapport, plus de 400 microbes sont apparus chez l’homme au cours des cinq dernières décennies et que 70 % des maladies émergentes seraient des zoonoses. Le concept « Une seule santé » découle du constat des enjeux majeurs liés à l’interdépendance de la santé humaine avec les santés des animaux, des plantes et des écosystèmes, et de la nécessité de mieux les comprendre. « Les zoonoses émergentes nous rappellent que nous sommes liés aux autres êtres vivants, et nous mettent face à nos responsabilités en tant qu’humains », a rappelé Gwenaël Vourc’h, directrice de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). Il est cependant encore difficile de définir la santé environnementale, et la finalité actuelle de la santé publique est quasiment toujours la santé humaine.

Transversalité et interdiscipliniarité

Cette vision anthropocentrée a également été évoquée lors d’une table ronde organisée entre l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE), l’Office français de la biodiversité (OFB), l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et l’Académie nationale de médecine (ANM). Un certain corporatisme est également déploré par les intervenants. Bien que certains systèmes de santé publique vétérinaire de gestion des épizooties ne soient pas transposables au système de santé humaine, un changement de vision est nécessaire. Une transversalité et une interdisciplinarité entre les différentes communautés scientifiques et médicales doivent se mette en place dans la perspective « Une seule santé », pour un partage des connaissances et l’élaboration de partenariats, impliquant également des acteurs privés. Il est essentiel qu’elles travaillent ensemble régulièrement, afin d’agir de façon plus efficace au moment des crises, et de pouvoir prévenir ces crises. La prévention est en effet un axe indispensable à privilégier. Pour Jean-François Mattei, de l’Académie nationale de médecine, « le ministère de la Santé est davantage un ministère des soins » car la prévention ne dépasse pas 3 % des investissements destinés à la santé. « La formation des médecins est également peu tournée vers la prévention, alors que la mission qui se trouve devant nous est d’éviter que les personnes tombent malade. Il convient ainsi de créer des passerelles entre les différents enseignements pour apprendre à parler un langage commun et à construire des objectifs communs, afin d’élaborer un seul corps de santé dans l’intérêt d’une seule santé », propose-t-il.

Des demandes concrètes

Les politiques semblent être désormais prêts à écouter les recommandations des scientifiques. Élisabeth Toutut-Picard, députée, présidente du Groupe santé-environnement (GSE), indique en effet qu’il est ressorti d’une commission parlementaire diligentée à l’Assemblée nationale fin 2020 un sentiment général d’impuissance collective face à des enjeux « Une seule santé » encore mal connus, notamment par manque d’une instance de coordination au niveau national et territorial et de ponts entre les différentes professions. De plus, elle assure que le quatrième plan national santé environnement (PNSE4), en cours de finalisation par le GSE, tiendra compte des critiques qui ont fusé en raison de l’écart constaté entre l’affichage des objectifs des plans précédents et l’effectivité des actions.

Ces recommandations, présentées à l’issue de sept ateliers ayant réuni des experts autour d’une thématique – microbiote, biocide, faune sauvage, agriculture et alimentation, territoire, formation internationale – font écho aux questions soulevées par les tables rondes. Elles se recoupent en thèmes communs : recherche, connaissances, prévention, formation et éducation, communication et mise en réseau, évolution de gouvernance, évaluation et indicateurs, ressources humaines, matérielles et financières, et enfin évolution des pratiques, désignée comme changements transformateurs.

Changer de paradigme

Ainsi, au nom des organisateurs de cette journée1, Pierre Souvet, président de l’Association santé environnement France (ASEF), déclare au gouvernement, aux parlementaires et aux élus locaux, qu’il « est urgent de passer à l’action en changeant de paradigme pour mettre en place des actions préventives. La France doit se doter de mesures législatives et réglementaires pour mener résolument une politique de santé publique prenant en compte le concept “Une seule santé”, à traduire par des actions concrètes, transversales et pluridisciplinaires. » Cela repose sur la mise en place d’une stratégie nationale « Une seule santé », impliquant l’ensemble des ministères dans le cadre d’un pilotage renforcé au plus haut de l’État s’appuyant sur une recherche pluri disciplinaire.

De plus, une nouvelle gouvernance territoriale doit être mise en place à travers des plans d’action territoriaux basés sur un diagnostic local de la situation. Une formation initiale et continue « Une seule santé » doit être dispensée en tronc commun aux professionnels (médecins, vétérinaires, agronomes, élus publics, etc.) et la population doit être sensibilisée par une communication pédagogique à une culture de la prévention. Enfin, le coût de l’inaction par manque de prévention doit être évalué, en retirant les subventions aux activités impactant l’environnement, y compris dans les pratiques médicales et vétérinaires, et en les redistribuant notamment à la recherche et aux collectivités territoriales pour des plans soutenant les transitions écologiques des activités humaines.

« Nous appelons donc à une stratégie nationale, européenne et internationale “Une seule santé” », poursuit-il. Celle-ci doit se traduire par des politiques publiques ambitieuses, avec des effets dès que possible dans nos territoires, et la mise en place rapide de lieux de gouvernance interministérielle et de réflexion interdisciplinaire. En résumé, « il s’agit de passer de l’hygiène du XIXe siècle à la santé “Une seule santé” du XXIe siècle. »

1. Fédération des syndicats vétérinaires de France (FSVF), France nature environnement (FNE), Humanité et Biodiversité, Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB), Association santé environnement France (ASEF) et VetAgro Sup.

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