LE GRAPIPRANT CONTRE L’ARTHROSE - La Semaine Vétérinaire n° 1892 du 26/03/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1892 du 26/03/2021

AINS

PRATIQUE CANINE FÉLINE NAC

FORMATION

Auteur(s) : MORGANE DEBUIGNE*, MAUD-ALINE CHESNEL**

Fonctions :
*résidente ECVAA, praticienne au CHV Atlantia, Nantes (Loire-Atlantique)
**Dipl. ECVAA, praticienne au CHV Atlantia, Nantes (Loire-Atlantique)

Disponible en France depuis 2019, le grapiprant appartient à une nouvelle classe d’antiinfl ammatoires non stéroïdiens (AINS) qui possède une AMM pour le traitement de l’arthrose légère à modérée chez le chien. Le traitement de l’arthrose est multimodal et chronique, et passe par l’administration d’AINS. Cependant, ces derniers présentent des effets secondaires qui peuvent limiter leur utilisation chronique. Le mode d’action du grapiprant, en aval des cibles des AINS classiques, promet une innocuité au long cours. Le point sur les études disponibles sur cette molécule.

Mode d’action

Le grapiprant est la première molécule commercialisée d’une nouvelle classe d’AINS : les piprants. Il s’agit d’inhibiteurs compétitifs sélectifs du récepteur EP4 à la prostaglandine E2 (PGE2) (voir schéma). Celle-ci est un médiateur clé de l’inflammation. Elle contribue à la douleur inflammatoire par le biais de la sensibilisation des neurones nociceptifs. Les AINS traditionnels, en inhibant l’activité des cyclooxygénases (COX), diminuent la production des prostaglandines à partir de l’acide arachidonique. Mais ces prostaglandines sont également essentielles au maintien de la perfusion rénale et de l’homéostasie digestive, reproductrice et vasculaire (coagulation). La PGE2 exerce ses effets via 4 récepteurs : EP1, EP2, EP3 et EP4. C’est le récepteur EP4 qui médie majoritairement la sensibilisation périphérique et centrale et l’inflammation dues à la PGE2. En agissant sélectivement sur ce récepteur, le grapiprant inhibe les effets inflammatoires et nociceptifs de la PGE2. Hautement sélectif pour EP4, le grapiprant n’altère pas la production des prostaglandines, contrairement aux AINS classiques. Son profil d’innocuité théorique est donc favorable car il préserve l’essentiel des fonctions homéostatiques des autres prostaglandines et de celles de la PGE2 médiées par les récepteurs EP1, EP2, et EP3.

Profil d’innocuité

En raison de son mécanisme d’action, le grapiprant n’est a priori pas contre-indiqué chez un chien souffrant de comorbidité telle qu’une insuffisance rénale ou hépatique, un avantage compte tenu de la population souvent âgée concernée par l’arthrose. Des précautions d’usage sont néanmoins mentionnées dans le RCP du médicament : « À utiliser avec prudence chez les chiens souffrant de troubles hépatiques, cardiovasculaires ou rénaux préexistants ou d’une affection gastro-intestinale ». Un suivi étroit est donc requis, d’autant plus que les études de terrain ont jusqu’à maintenant été exclusivement réalisées chez des animaux en bonne santé. Les effets indésirables liés à l’utilisation du grapiprant ont été évalués dans une étude de sécurité sur 9 mois1, dans laquelle les chiens recevaient jusqu’à 50 mg/kg de grapiprant (25 fois la dose prévue dans l’AMM). Seuls des épisodes de diarrhée ou de vomissements modérés et passagers, sans atteinte de l’état général, ont été rapportés. Aucune anomalie histologique des tissus (digestifs, rénaux, hépatiques, etc.) et aucune anomalie sanguine notoire n’ont été détectées. Une diminution de la calcémie totale, des protéines totales et de l’albumine sérique est tout de même notée, mais sans répercussion clinique. En pratique, la durée du traitement sur l’AMM est de 28 jours, avec la recommandation de suivre régulièrement l’animal en cas de traitement plus long. Une large étude de terrain rapporte également des signes digestifs modérés (diarrhée, vomissements transitoires)2, sans conséquence clinique. Les signes digestifs liés à l’utilisation du grapiprant semblent davantage liés à la forme galénique qu’au principe actif car ils n’apparaissent pas associés à des lésions de la muqueuse. Les récepteurs EP1 et EP3 jouent un rôle important dans la protection de la muqueuse gastro-duodénale. Cependant, EP4 participe aussi à la protection de la muqueuse en stimulant la sécrétion de bicarbonates et de mucus. Il est donc légitime de s’interroger sur la sécurité d’utilisation du grapiprant en cas de lésion gastro-duodénale préexistante. Aucune donnée ne permet actuellement de vérifier ou d’infirmer cette hypothèse. En conséquence, une période de « lavage » d’au moins une semaine est conseillée lors du passage d’un AINS classique à un piprant, en particulier si l’animal a présenté des signes d’intolérance à l’AINS traditionnel.

Efficacité

Le grapiprant a montré une efficacité supérieure à un placebo2 dans une étude prospective randomisée sur 285 chiens de propriétaires souffrant d’arthrose. Les résultats obtenus sont comparables à ceux généralement décrits pour les AINS traditionnels. On notera toutefois que ces larges études de terrain - études d’efficacité mais également de sécurité - ne sont pas indépendantes. À ce jour, aucune étude ne permet de comparer directement le grapiprant à un AINS classique sur la douleur arthrosique du chien. Dans des modèles expérimentaux de douleur articulaire aiguë, le grapiprant a une efficacité nettement inférieure à celle du firocoxib3 ou du carprofène4. Ces résultats semblent paradoxaux compte tenu du mode d’action de ces molécules. Mais ces études comparatives utilisent un modèle de douleur aiguë induite expérimentalement, ce qui n’est pas comparable à un chien arthrosique, chez qui la douleur chronique fait intervenir divers mécanismes de sensibilisation centrale. De plus, ces travaux de recherche s’appuient uniquement sur des évaluations fonctionnelles (tapis de marche) sans effectuer de scores comportementaux de douleur. Des données supplémentaires sont nécessaires pour pouvoir comparer l’efficacité du grapiprant à un autre AINS.

Suivi

Au vu des résultats des études effectuées sur ces chiens en bonne santé, le traitement avec du grapiprant peut être prescrit de manière chronique sans limite de temps, sans suivi particulier si l’animal est en bonne santé et ne présente aucun signe clinique. En cas de baisse d’état général, il conviendra de vérifier les paramètres biologiques susceptibles d’être altérés par le grapiprant : calcémie, albuminémie et protéines totales sériques. Tout animal présentant des comorbidités devra être régulièrement suivi.

1. Rausch-Derra L., Huebner M., Rhodes L., Evaluation of the safety of long-term, daily oral administration of grapiprant, a novel drug for treatment of osteoarthritic pain and inflammation, in healthy dogs, Am J Vet Res., 2015 ; 76 (10) : 853-859.

2. Rausch-Derra L., Huebner M., Wo ord J. et coll., A prospective, randomized, masked, placebo-controlled multisite clinical study of grapiprant, an ep4 prostaglandin receptor antagonist (PRA), in dogs with osteoarthritis, J Vet Intern Med., 2016 May ; 30 (3) : 756-763.

3. García de Salazar Alcalá A., Gioda L., Dehman A. et coll., Assessment of the efficacy of firocoxib (Previcox®) and grapiprant (Galliprant®) in an induced model of acute arthritis in dogs, BMC Vet Res., 2019 Aug 29 ; 15 (1) : 309.

4. Budsberg S.C., Kleine S.A., Norton M.M. et coll., Comparison of two inhibitors of E-type prostanoid receptor four and carprofen in dogs with experimentally induced acute synovitis, Am J Vet Res., 2019 ; 80 (11) : 1001-1006.

Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr