ANTIPARASITAIRES : DES CHERCHEURS INQUIETS - La Semaine Vétérinaire n° 1892 du 26/03/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1892 du 26/03/2021

ÉCOTOXICOLOGIE

PRATIQUE CANINE FÉLINE NAC

Auteur(s) : CHANTAL BÉRAUD

Parce qu’il s’agit de traitements individuels administrés à relativement faible dose aux animaux de compagnie, il était jusqu’à présent majoritairement supposé que les produits anti-puces et anti-tiques les concernant nuisaient peu à l’environnement. Mais est-ce vraiment le cas ? De plus en plus de vétérinaires se posent la question à travers le monde.

Le fipronil et l’imidaclopride, déjà interdits d’utilisation pour l’agriculture en Angleterre, continuent en revanche d’y être administrés couramment pour les chiens et les chats, via leurs traitements antiparasitaires. Pourquoi ? « Cela est dû au fait que, jusqu’à présent, on supposait qu’ils généraient peu d’impacts environnementaux car il s’agit de traitements individuels sur les animaux de compagnie », explique la vétérinaire Rosemary Perkins1, ils sont donc appliqués à moindre dose qu’en lots en rurale. Avec son collègue de l’université de Sussex (Angleterre) Dave Goulson, professeur en biologie, ils viennent cependant publiquement de recommander une réévaluation scientifique des nuisances sur l’environnement qu’ils génèrent.

Des cours d’eau anglais contaminés

Leur demande fait suite à leur dernière recherche commune2, au cours de laquelle ils ont analysé les données collectées par l’Agence de l’environnement sur les voies fluviales, entre 2016 et 2018. Il en résulte que la présence du fipronil a été détectée dans 98 % des échantillons d’eau prélevés, contre un taux de 66 % pour l’imidaclopride. Par ailleurs, dans l’article paru dans Science of the Total Environment - cosigné avec Martin Whitehead, de l’hôpital vétérinaire de Chipping Norton, et Wayne Civil, de l’Agence de l’environnement -, ils notent que « le taux moyen de concentration du fipronil dans les échantillons prélevés par l’Agence de l’environnement dans les rivières anglaises excède au quintuple le seuil de sécurité lors d’exposition chronique. S’agissant de l’imidaclopride, dans la plupart des rivières, il pose un risque modéré, mais il se révèle être à haut risque environnemental dans sept des vingt rivières faisant partie de l’échantillon. »

« Le fait que nous trouvions que nos rivières anglaises sont couramment et chroniquement contaminées avec ces deux produits chimiques ainsi que par des mélanges de leurs dégradations toxiques est profondément préoccupant. Car tant le fipronil que l’imidaclopride sont très toxiques pour tous les insectes et d’autres invertébrés aquatiques. Différentes recherches ont en effet déjà démontré que ces deux pesticides neurotoxiques sont associés au déclin de l’abondance des communautés d’invertébrés aquatiques », commente Dave Goulson. « D’autres recherches montrent également que le fipronil se dégrade ensuite en des sous-composés qui sont malheureusement encore plus persistants et toxiques dans l’environnement que la molécule de base du fipronil elle-même ! », avertit Rosemary Perkins.

Leur étude démontre aussi que les plus hauts niveaux de pollution découverts l’ont été immédiatement en aval des stations d’épuration d’eau, ce qui vient conforter l’hypothèse selon laquelle des quantités significatives de pesticides contaminent l’environnement après avoir transité par les eaux usées domestiques. Qui elles-mêmes seraient notamment contaminées après avoir été mises en contact avec des résidus de traitements anti-puces et anti-tiques administrés sur des chiens ou des chats. Comment ? La contamination via les égouts pourrait se faire en baignant des animaux de compagnie qui ont été traités en spot-on externe avec des produits antiparasitaires contenant du fipronil. Que le propriétaire se lave les mains après avoir administré de tels traitements ou après avoir caressé son animal traité3 seraient autant d’autres portes d’entrées possibles de contamination des eaux usées humaines domestiques.

Revenir à un usage vétérinaire raisonné

L’ensemble des auteurs préconisent que soit menée « une recherche scientifique de réévaluation des risques environnementaux posés par l’usage des traitements antiparasitaires des animaux de compagnie », tout en encourageant les vétérinaires à ne plus en prescrire l’utilisation systématique durant toute l’année, « en se basant sur une approche plus raisonnée de l’évaluation bénéfices/risques liée à l’usage de tels produits ».

1. Perkins R., Are pet parasite products harming the environment more than we think ?, Vet Record, 2020;187 (5):197.

2. Perkins R., Whitehead M., Civil W. et coll., Potential role of veterinary flea products in widespread pesticide contamination of English rivers, Science of The Total Environment, 2021, volume 755, part 1.

3. Voir La Semaine vétérinaire no 1764 du 18 mai 2018 : Antiparasitaires externes : faut-il en avoir peur ?, article qui traite de la santé humaine.

« Il faut stimuler une prise de conscience collective ! »

TÉMOIGNAGE

FLORIANE LANORD (A 12)

Membre active de l’association ÉcoVéto

Dans la profession vétérinaire, la délivrance de ces molécules, employées en antiparasitaires tant externes qu’internes, est devenu un acte presque banal. Et pourtant, leurs conséquences sur la santé humaine et l’environnement sont graves. Conséquemment, nous, vétérinaires, ne devrions-nous pas :

- Connaître les molécules insecticides que nous employons, leur mode d’action, leurs impacts et leurs dangers avérés ou potentiels ?

- Informer les clients : en leur rappelant au moins les précautions d’emploi et les molécules auxquelles ils s’exposent ?

- S’informer sur l’animal, son environnement humain (présence d’enfants ou femmes enceintes) et son mode de vie ?

- Connaître les parasites en cause et juger du risque ?

Car, dans une société où les enjeux environnementaux prennent de plus en plus d’importance et sont une préoccupation majeure des Français, le vétérinaire ne peut plus ne pas informer les propriétaires d’animaux des molécules qu’ils font entrer dans leur habitation et qui vont s’ajouter aux pesticides déjà présents dans leur environnement. Se pose enfin également la question de notre accès à ces données. Afin que nous puissions peser le pour et le contre de ces molécules, ne devrait-on pas avoir accès à ces informations lors de notre formation vétérinaire ?1

1. Pour aller plus loin, lire les informations complémentaires sur www.bit.ly/2OEFIQ9

AGENCE EUROPÉENNE DU MÉDICAMENT (EMA) UNE CONSULTATION PUBLIQUE

Le Comité des médicaments à usage vétérinaire (CVMP) et l’Agence européenne des médicaments (EMA) ont mené jusqu’au 31 octobre 2020 une consultation publique concernant un document1 dont l’objectif est notamment d’examiner l’état des connaissances actuelles concernant l’impact des risques environnementaux des antiparasitaires vétérinaires destinés aux animaux de compagnie. En réponse aux interrogations que lui a posées La Semaine vétérinaire sur la suite de ce projet, voici ce que lui a répondu l’Agence européenne du médicament : « Neuf intervenants nous ont fait parvenir leurs commentaires à ce sujet. L’objectif d’une telle consultation publique est d’évaluer si la création d’un tel document de réflexion était considérée comme nécessaire/possible d’un point de vue scientifique. Selon le degré de complexité des commentaires reçus et en fonction de quand ils pourront être mis en œuvre, le travail sur la rédaction du document final de réflexion - travail réalisé par le CVMP et l’ERAWP2 - commencera probablement d’ici mars/avril 2021 ».

1. Pour en connaître tous les détails, télécharger ce « concept paper » sur : bit.ly/3rjllFv

2. L’Environmental risk assessment working party (ERAWP), groupe de travail sur l’évaluation des risques environnementaux, conseille le CVMP, le Comité des médicaments à usage vétérinaire, sur toutes les questions liées directement ou indirectement à l’évaluation des risques pour l’environnement des médicaments vétérinaires.

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