STRONGYLICIDES DES OVINS ET CAPRINS : QUELLE UTILISATION SUR LE TERRAIN ? - La Semaine Vétérinaire n° 1891 du 19/03/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1891 du 19/03/2021

CONFÉRENCE

PRATIQUE MIXTE

Auteur(s) : CLOTHILDE BARDE

Face à un arsenal thérapeutique limité pour traiter les ovins et caprins contre les strongles gastro-intestinaux, une équipe de chercheurs de l’Anses a mis en place le projet Epribele, visant à objectiver l’utilisation pratique des traitements. Ils ont livré leurs premières conclusions lors du congrès de la SNGTV en octobre dernier.

Les éleveurs d’ovins et de caprins laitiers disposent actuellement d’un faible nombre de traitements strongylicides avec autorisation de mise sur le marché (AMM) et efficaces (absence de résistances) pour traiter les animaux en cours de lactation. Même si l’extension d’indication de l’Eprecis injectable depuis janvier 2021 vient rebattre les cartes1, chez les petits ruminants laitiers, seul l’Eprinex Multi 5 mg/ml pour-on pour bovins, ovins et caprins (Boehringer Ingelheim), médicament à base d’éprinomectine (EPN) (avermectines/milbémycines), était utilisable jusqu’à présent avec AMM pendant la lactation et avec un temps d’attente nul pour le lait, les benzimidazoles (BZD) étant à l’origine de résistances2,3,4,5 depuis de nombreuses années. Or, l’élevage des ovins et des caprins au pâturage, pratique qui conduit de façon inéluctable à l’infestation des animaux par différents parasites, notamment les strongles gastro-intestinaux (SGI), est actuellement encouragé par le développement de l’agroécologie et de l’agriculture biologique qui imposent un accès à l’extérieur.

Une utilisation hors AMM objectivée

C’est pourquoi, avec le projet Epribele6, porté par le laboratoire de Ploufragan-Plouzané-Niort de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) – unité pathologie et bien-être des ruminants –, l’Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV) – unité évaluation des médicaments chimiques et département pharmaco vigilance – et par le laboratoire de Lyon – unité épidémiologie et appui à la surveillance –, une équipe de chercheurs de l’Anses a tenté de mettre en évidence de façon objective les difficultés terrain rencontrées par les éleveurs. Ils ont livré leurs premières conclusions lors du congrès de la Société nationale groupements techniques vétérinaires (SNGTV) en octobre dernier. Les enquêtes réalisées auprès des éleveurs ont révélé qu’un certain nombre d’entre eux suspectaient des défauts d’efficacité lors d’administration par voie pour-on de l’Eprinex Multi 5 mg/ml . Pour répondre à la plus faible biodisponibilité du produit supposée par cette voie d’administration, l’EPN est alors utilisée hors AMM, par voie orale et/ ou à la dose de 0,5 mg/kg de poids vif (PV), au lieu de la dose recommandée de 1 mg/kg PV. Or, comme l’a indiqué Carine Paraud (Anses-ANMV), cette utilisation exclusive d’une seule spécialité en sous-dosage par rapport aux recommandations de l’AMM est une pratique à risque vis-à-vis du développement de résistances7.

Divers types d’usages de l’EPN

De plus, la mise en place de traitements systématiques, au tarissement ou lors de suspicion d’infestation, reste une pratique fréquente avec 43 % des éleveurs caprins et 68 % des éleveurs ovins interrogés. En élevage caprin, les traitements strongylicides sont principalement réalisés par voie pour-on (66 %) à la posologie de 2 ml/10 kg de PV alors que les éleveurs ovins laitiers utilisent majoritairement l’EPN par voie orale (69 %) et à la dose de 1 ml/10 kg de PV. De plus, 69 % des éleveurs de caprins et 80 % des éleveurs d’ovins, utilisateurs d’EPN par voie orale, rapportent l’administrer par cette voie sur le conseil de leur vétérinaire. Or, les entretiens réalisés auprès des vétérinaires ont mis en évidence leur très bonne connaissance de la réglementation du médicament vétérinaire. La résistance des SGI aux BZD et le risque de développement pour l’EPN sont aussi bien connus ainsi que les différentes façons d’y répondre. Toutefois, ces connaissances théoriques se heurtent à la réalité du terrain. En effet, les vétérinaires sont satisfaits d’avoir un produit avec une AMM pour les petits ruminants mais ils ne comprennent pas le choix de la voie d’administration pour-on qui leur semble inadaptée pour le traitement des brebis lorsqu’elles ne sont pas tondues, à risque pour l’environnement, et insuffisamment efficace sur la base d’éléments issus de travaux de recherche. C’est pourquoi, certains d’entre eux prescrivent l’Eprinex Multi par voie pour-on et recommandent oralement d’administrer par voie orale et d’autres prescrivent l’administration par voie orale. Ceux qui recommandent et/ ou prescrivent la voie orale considèrent le faire légitimement dans la mesure où des publications scientifiques viennent appuyer cette pratique en démontrant son efficacité et l’absence de résidus dans le lait dépassant la limite maximale de résidus pour l’EPN après traitement.

Ces deux enquêtes confirment donc la très large utilisation de l’EPN dans les filières de petits ruminants laitiers, souvent hors AMM. Cependant, d’autres enquêtes sont encore nécessaires pour mettre en évidence des variations d’utilisation en fonction de l’origine géographique et du bassin d’élevage.

Article rédigé d’après la conférence, Usage et efficacité des traitements à l’éprinomectine dans les élevages d’ovins et de caprins laitiers, résultats du projet Epribele, présentée par Carine Paraud (Anses-ANMV) lors du congrès de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV) du 28 au 30 octobre 2020 à Poitiers.

1. Eprecis injectable obtient une extension d’indication, lepointvétérinaire.fr : www.bit.ly/3l8iTA5

2. Chartier C., Pors I., Hubert J. et coll., Prevalence of anthelmintic resistant nematodes in sheep and goats in western France, Small Rumin. Res., 1998;29 (1):33-41.

3. Chartier C., Soubirac F., Pors I. et coll., Prevalence of anthelmintic resistance in gastrointestinal nematodes of dairy goats under extensive management conditions in southwestern France, J. Helminthol., 2001;75 (4):325-330.

4. Geurden T., Hoste H., Jacquiet P. et coll., Anthelmintic resistance and multidrug resistance in sheep gastro-intestinal nematodes in France, Greece and Italy, Vet. Parasitol., 2014;201 (1-2):59-66.

5. Bordes L., Dumont N., Lespine A. et coll., First report of multiple resistance to eprinomectin and benzimidazole in Haemonchus contortus on a dairy goat farm in France, Parasitol Int., 2020;76:102063.

6. Falzon L.C., O’Neill T.J., Menzies P.I. et coll., A systematic review and metaanalysis of factors associated with anthelmintic resistance in sheep, Prev. Vet. Med., 2014;117 (2):388-402.

7. Usage et efficacité des traitements par l’éprinomectine dans les élevages caprins laitiers, projet Epribele (idele.fr) : www.bit.ly/3lh1Agb

Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr