MÉDECINE LÉGALE VÉTÉRINAIRE : UNE FORMATION NÉCESSAIRE - La Semaine Vétérinaire n° 1890 du 12/03/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1890 du 12/03/2021

DOSSIER

Auteur(s) : ANNE-CLAIRE GAGNON

L’UTILITÉ DE LA MÉDECINE LÉGALE VÉTÉRINAIRE A RÉCEMMENT ÉTÉ MISE EN LUMIÈRE LORS DES SOUPÇONS DE MUTILATIONS DES CHEVAUX, SOULIGNANT LA CARENCE DE L’APPRENTISSAGE SPÉCIFIQUE DES PRATICIENS. À L’INSTAR D’AUTRES PAYS, SON ENSEIGNEMENT PREND FORME EN FRANCE.

La médecine légale vétérinaire n’a pas de définition, puisqu’elle est une partie de l’anatomie-pathologie. En clientèle, le vétérinaire peut être en présence, lors d’une consultation, d’un animal auteur d’une agression (qui peut être de la légitime défense, par exemple lors de coups, zoophilie, etc.), victime ou témoin de violences au sein d’un foyer où d’autres violences domestiques sont commises. Enfin l’animal peut être présent sur une scène de crime, et les compétences légistes d’un vétérinaire peuvent être requises par les officiers de police judiciaire. Le rôle du praticien dépasse donc le champ des soins vétérinaires stricts, avec une dimension technique, juridique, psychologique, de santé publique à laquelle il doit être préparé, dans un contexte réglementaire à bien comprendre. Les enseignants pathologistes aimeraient pouvoir bénéficier de formations spécifiques en médecine légale, autrement qu’en apprenant sur le terrain et par compagnonnage, puisqu’à ce jour aucun ne bénéficie, par exemple, d’un accès à la formation en ligne dispensée par l’université de Floride, sauf à le faire de sa propre initiative, sur son temps libre et ses fonds propres.

Des autopsies qui aident à révéler la vérité

À ce jour, dans la dynamique provoquée par la suspicion des mutilations de chevaux, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et le Réseau d’épidémiosurveillance en pathologie équine (Respe) se sont mobilisés avec les enseignants d’anatomo-pathologie, qui peuvent être joints, en cas de besoin, par les vétérinaires praticiens.

Tout vétérinaire est habilité à réaliser lui-même ou lors d’une réquisition judiciaire une autopsie. Comme pour toute activité, la pratique quotidienne permet d’acquérir de l’expérience et de l’expertise. Lors d’un examen post-mortem de l’animal, le rôle du vétérinaire est d’établir un rapport clair, objectif et intelligible de ses constatations, sans jugement ni spéculation. Les juges apprécient, lorsque le cadavre est entier, si le rapport d’autopsie peut statuer sur la cause du décès et le moment de sa survenue (la datation par des examens bactériologiques y aide). Le jargon médical est à bannir, même si on peut préciser les termes scientifiques appropriés entre guillemets. Loin d’être limité aux animaux domestiques, en médecine légale le vétérinaire intervient également dans le domaine de la faune sauvage : il existe d’ailleurs une formation certifiante spécifique aux États-Unis. Dans le domaine de la médecine légale, le vétérinaire travaille souvent en collaboration avec des entomologistes – les asticots et autres parasites sont des indicateurs utiles à la datation – et des experts en balistique, toujours précieux. La coordination des analyses est essentielle, lors d’agression par arme, par exemple, avec l’analyse des éléments biologiques de la victime en premier, puis celle de la trajectoire de la balle. Les clichés photographiques réalisés sur le lieu où a été retrouvé l’animal et les notes relatives à l’environnement sont également importants. Ce travail relève plus de la police scientifique en France, et des vétérinaires spécialisés dans la discipline dans les pays où les formations et diplômes existent.

Une des difficultés sur le terrain tient au délai entre la réalisation de l’autopsie et la découverte du cadavre dans un pré, par exemple. Les examens d’imagerie sont très utiles, mais l’interprétation ante et post-mortem est différente.

Enfin, et c’est une des clés dans les récents cas rapportés de suspicions de mutilations sur les chevaux, l’analyse génétique de l’ADN est essentielle pour déterminer la part de l’humain et du non-humain, de même que la morphologie des lésions – la liste des charognards et de leurs signatures de déprédation est longue. Actuellement, en France, ce sont les laboratoires de la police judiciaire et scientifique qui assurent les séquençages génétiques sur des prélèvements réalisés par les vétérinaires pathologistes, réquisitionnés sur les scènes de crime.

Ailleurs, la médecine légale vétérinaire peut permettre de résoudre des cold cases, ou affaires classées, grâce au recueil et à la bonne conservation des pièces. Ainsi en Californie, le laboratoire de génétique vétérinaire de l’université de Californie, à Davis, est parvenu à analyser, trois ans après le crime, 13 poils de chien qui avaient été trouvés sur le plaid dans lequel la victime avait été enveloppée. Deux poils permirent l’identification complète de l’ADN d’un chien, qui conduisit à confondre le meurtrier.

Une toute jeune discipline

Même si l’anatomo-pathologie vétérinaire, dont relève la médecine légale vétérinaire, a été pratiquée avant même la médecine vétérinaire, avec l’anatomie comparée et la possibilité de réaliser des observations de cadavres d’animaux et leurs dissections, la discipline est véritablement enseignée depuis 1876, au Canada. Le Collège américain des pathologistes vétérinaires (ACVP pour American college of veterinary pathologists) est créé en 1949, et celui de la Société européenne de pathologie vétérinaire (European society of veterinary pathology pour ESVP) en 1994. En 1959, le Collège américain reconnaît la sous-discipline de médecine légale vétérinaire et ne crée le Collège spécifique qu’en 2000. C’est donc une toute jeune discipline sur le plan international.

L’ECPVS a mis en place en 2018 pour les membres déjà titulaires du board, un certificat européen en médecine légale vétérinaire, avec cinq premiers diplômés fin août 2020, sur présentation de dix de leurs dossiers, avec discussion de trois d’entre eux lors de l’examen avec les membres de la commission de l’ECPVS qui a créé le diplôme. Les membres de la commission ne font pas tous partie du collège européen. Ce diplôme européen donne au récipiendaire une preuve officielle de « compétence » auprès des tribunaux où ils sont appelés à exercer. Denise Remy, comme ses collègues, attire l’attention sur le fait qu’il s’agit d’un simple diplôme (une option du board) européen de médecine légale vétérinaire, avec une reconnaissance de facto (validation des acquis de l’expérience).

Distinguer diagnostic et rapport

La médecine légale vétérinaire est une discipline qui se construit en fonction des besoins des autorités judiciaires. En eff et, de la qualité du rapport de médecine légale vétérinaire établi par le vétérinaire dans sa fonction de légiste va dépendre d’une part l’ouverture même de l’enquête (lors de maltraitances constatées au cours d’une consultation), d’autre part la possibilité de conduire correctement un procès (qui repose souvent sur la qualité des preuves recueillies par le vétérinaire). Une enquête réalisée auprès de 200 procureurs américains1 (publiée en 2019) a souligné qu’ils estimaient nécessaire une meilleure formation des équipes vétérinaires en médecine légale. Du côté des professionnels vétérinaires l’attente est également importante : en 2013 comme en 1999 déjà2, les étudiants américains vétérinaires interrogés disent manquer de préparation pour appréhender les cas de maltraitances animales, la discipline n’étant pas dans le corpus de la formation générale. Même les vétérinaires praticiens expérimentés comme les vétérinaires anatomo-pathologistes eux-mêmes estiment que leur formation n’est pas suffisante face aux cas auxquels ils sont confrontés, comme en témoigne ce cas auquel a été confrontée une jeune consœur, sensibilisée à la question du lien entre les maltraitances. Lors d’une visite mordeur pour un chien qui a mordu un enfant, elle apprend du tuteur de celui-ci et détenteur de l’animal que le chien aurait subi des actes de nature zoophile de la part de l’enfant. Ce dernier a été placé suite à l’incarcération de son père pour suspicion d’actes pédophiles. L’enfant, manifestement traumatisé, présente un risque pour l’autre enfant du foyer et pour le chien. En l’occurrence, l’enfant est à la fois auteur des violences sur l’animal mais aussi victime manifeste de violences préalables. La présence d’un autre mineur – la protection des enfants s’impose à tout citoyen – permet légalement la levée du secret professionnel pour le vétérinaire. Le tuteur, qui a vu les gestes de l’enfant sur le chien, peut également solliciter un certificat médical vétérinaire attestant des traumas physiques et émotionnels présentés par le chien, permettant de mobiliser les services sociaux. Néanmoins, les contacts avec la DD (CS) PP ont été laborieux (appels nombreux avant d’avoir une réponse).

Le rôle du praticien face aux violences faites aux animaux

Si dès 1902 on trouve trace en Allemagne d’études sur les violences sexuelles faites aux animaux, ce sont les travaux fondateurs d’Hélène et Robert Munro, en Afrique du Sud, qui soulignent le lien entre les violences faites aux animaux et les violences domestiques, plaçant le vétérinaire au cœur d’un problème de santé publique. Les éléments diagnostiques des violences et maltraitances subies par les animaux sont publiés en 2001, avec la description des lésions, suivis par d’autres travaux de Phil Arkow et Frank Ascione aux États-Unis, notamment qui ont souligné et documenté le lien entre toutes les violences domestiques au sein d’un même foyer. Le diagnostic des cas quotidiens par les praticiens comme des situations exceptionnelles lors de crimes, par les spécialistes, exige une formation rigoureuse. En Europe, seule l’université vétérinaire d’Utrecht a un centre d’expertise en médecine légale vétérinaire3. Aux États-Unis, c’est l’université de Floride qui dispense en ligne une formation de grande qualité. La mise en place par VetAgro Sup de la formation en médecine légale vétérinaire devrait permettre à la France de combler son retard, au moment où les législateurs appellent à renforcer la lutte contre les maltraitances.

1. Lockwood R., Touroo R., Olin J. et coll., The Influence of Evidence on Animal Cruelty Prosecution and Case Outcomes : Results of a Survey, J Forensic Sci., 2019 Nov;64(6):1687-1692. www.bit.ly/3rlPeFO Munro R, Ressel L, Gröne A. et coll., European Forensic Veterinary Pathology Comes of Age, J Comp Pathol., 2020;179:83-88. www.bit.ly/2OnF2hi

2. Parry N.M.A. et Stoll A., The rise of veterinary forensics, Forensic Sci Int., 2020;306:110069. www.bit.ly/3qfzD9v

3. Lire La Semaine vétérinaire n° 1767 du 8 juin 2018, page 10.

PRINCIPAUX ITEMS DE L’ENSEIGNEMENT DU UF’S MAPLES CENTER FOR FORENSIC MEDICINE

Le centre de médecine légale de l’université de médecine de Floride est la seule institution à délivrer un master et un certificat de médecine légale vétérinaire, après 2 à 3 années d’enseignement en ligne1.

– Aborder et traiter une scène de crime impliquant un animal. Nombreux équipements : laboratoires, méthodologie d’observation, recueil des données, documentation, photographies, recherche d’éléments de preuves, conservation des éléments, recherche des éléments biologiques (sang, fluides, toxicologie), notion de chimie, balistique, archéologie et ostéologie médico-légale, reconstruction de la scène d’un crime.

– Principes scientifiques et légaux de médecine légale.

– Lien entre cruauté envers les animaux et violence interpersonnelle : maltraitance animale et loi, comportements criminels, cruauté envers les animaux et cruautés envers les enfants, les personnes vulnérables (femmes, personnes âgées), prévention, actions possibles, rôle du vétérinaire.

– Médecine légale vétérinaire (étude de cas, évolution).

– Entomologie médico-légale.

1. www.bit.ly/38cAUYy et bit.ly/3qccxQV

Pour en savoir plus :

– Créée en 2008, l’International veterinary forensic sciences association (IVFSA) compte 130 membres de 16 pays diff érents, dont la France. L’IVFSA organise avec les associations de protection animale un congrès annuel. www.ivfsa.org

– Notre consœur Melinda D. Merck a été pionnière dans cette discipline. Veterinary forensics : animal cruelty investigations, Blackwell publishing, 2007.

– Practical veterinary forensics par David Bailey, CABI, 2016.

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