DÉCRYPTAGE DU TÉMOIGNAGE DE STÉPHANIE COUPEL, Vétérinaire praticienne à Elven (Morbihan) - La Semaine Vétérinaire n° 1890 du 12/03/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1890 du 12/03/2021

DOSSIER

Notre consœur témoigne dans trois cas qui font l’objet d’un commentaire dédié. Attention, les faits relatés ci-dessous contiennent des éléments pouvant heurter la sensibilité.

Cas n° 1

« 11 h du matin, la gendarmerie appelle pour solliciter mon intervention dans le cadre d’une plainte déposée par une femme contre son mari. Au téléphone, le gendarme évoque des sévices sexuels impliquant un chien. J’apprendrais par la suite que l’homme a violé sa femme en utilisant le chien. On m’explique qu’on attend de moi un examen du chien et que c’est la dame qui l’amènera. Elle sera accompagnée par les gendarmes jusqu’à ma salle de consultation, mais je serais seule ensuite avec elle.

Ma première réaction est d’obtenir des informations sur ce que je dois rechercher, ce que je dois faire ou éviter de faire : je ne suis pas expert judiciaire, et je veux faire de mon mieux, éviter de commettre une erreur, tant dans mon examen que dans la rédaction de mon compte rendu. « Primum non nocere », toujours…

J’ai vu arriver cette femme et ce chien, encadrés par deux gendarmes en civil, dans ma clinique. La douleur, la détresse, la honte et le chagrin qui émanaient de ces deux victimes étaient difficilement soutenables. Ils me marqueront longtemps. Autant de violence et de perversité, autant de douleur et de honte, qui s’imposent aussi brutalement dans un quotidien déjà chargé de stress et d’émotions sont difficiles à gérer. »

Commentaire : La zoophilie est un crime dont le nombre va croissant. La description des prélèvements à effectuer peut être consultée dans la thèse de Marjolaine Baron1. C’est aux vétérinaires à recueillir, sur réquisition judiciaire, les éléments de preuve sur l’animal, qui vont permettre à la justice de faire son travail (établir ou non la culpabilité). Il y a donc une urgence technique à travailler avec un haut niveau de compétences, dans un contexte émotionnel complexe. Pour autant ce n’est pas au vétérinaire de confirmer les faits, mais de recueillir les éléments biologiques et cliniques pertinents.

Le référent Protection animale (PA) de la direction départementale (de la cohésion sociale et) de la protection des populations (DD (CS) PP) est l’interlocuteur réglementaire que le praticien peut appeler, sans risque d’enfreindre la levée du secret professionnel. Chaque conseil régional

de l’Ordre des vétérinaires a également un référent PA, dont les coordonnées sont sur leur site. Les enseignants des services d’anatomopathologie sont joignables pour tout conseil sur la réalisation des prélèvements.

Cas n° 2

« Il y a quelques semaines, une autre cliente a appelé à 18 h 30, juste avant la fermeture, pour avoir un rendez-vous pour sa chienne qui tremblait depuis 3 h du matin, sans autre signe clinique. Malgré un rendez-vous pris pour le lendemain 13 h, elle m’a rappelée à 21 h, puis à 0h30, pour me demander ce qu’elle pourrait donner à sa chienne qui tremblait toujours, égrenant la longue liste de ses neuroleptiques, mais en refusant de venir en urgence à la clinique. Elle s’est finalement présentée à l’heure de son rendez-vous initial. Je n’ai pas pu la recevoir moi-même ; elle est restée une heure avec ma jeune consœur, puis avec mon ASV, leur expliquant que la chienne faisait des crises d’angoisse quand son compagnon la brutalisait, qu’elle avait prévenu les gendarmes, qu’elle voulait partir, mais ne savait ni à qui demander de l’aide ni où aller. Je sais bien qu’elle s’est tournée vers la clinique parce qu’elle me trouve sympathique et que je lui rappelle une vétérinaire avec qui elle avait noué des liens amicaux par le passé. Mais que pouvions-nous faire ? L’héberger à la clinique ? »

Commentaire : Ce cas souligne l’assistance que recherche une personne vulnérable, elle-même victime comme sa chienne, d’un conjoint violent et le questionnement éthique qu’il peut provoquer pour l’équipe vétérinaire. La chienne, en tant que témoin des violences perpétrées sur sa propriétaire, fait un stress post-traumatique important, qui permet à sa propriétaire de parler à un tiers. Tous les professionnels de santé, et même les simples secrétaires de mairie, sont invités par la Miprof (mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains) à apporter leur aide aux femmes victimes de violence. À ce jour, et malgré des demandes de la part d’AMAH, la Miprof ne reconnaît pas la place des vétérinaires dans son dispositif. Les nouvelles dispositions législatives, en cours de discussion au Sénat désormais, devraient autoriser, comme pour les médecins, la levée du secret professionnel afin de permettre aux vétérinaires de « porter à la connaissance du procureur de la République toute information relative à des sévices graves, sévices à caractère sexuel ou à un acte de cruauté envers un animal mentionnés aux articles 521-1 et 521-1-3 du Code pénal, constatés dans le cadre de son exercice professionnel. »

L’association AMAH va rendre public prochainement un Guide du repérage des maltraitances chez l’animal et l’humain. contact@amah-asso.org

Parce que ces situations sont particulièrement lourdes psychologiquement, Vétos Entraide et le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires ont adhéré à l’association SPS (soins aux professionnels en santé) qui dispose d’une plateforme nationale d’appel d’écoute disponible pour tous les professionnels de santé. Les vétérinaires et les ASV peuvent appeler des psychologues qui prennent en charge les appels de manière anonyme et bienveillante au : 0 805 23 23 36.

Cas n° 3

« Il y a quelque temps, nous avons reçu en consultation un chaton avec une vilaine plaie circulaire autour du cou : un collier gardé trop serré trop longtemps… Ça arrive parfois, est-ce de la maltraitance ? De la négligence ? Un bête accident ? Nous l’avons fait revenir jusqu’à cicatrisation, mais quoi faire d’autre ? »

Commentaire : La question de l’identification des lésions se pose ici, avec celle de la formation des praticiens à la discipline de la médecine légale. La négligence, la méconnaissance des besoins, l’emprise, la détresse économique sont autant de paramètres à appréhender en une seule consultation.

1. Baron Marjolaine, La zoophilie dans la société : Quel rôle le vétérinaire peut-il tenir dans sa répression ?, thèse d’exercice, médecine vétérinaire, École nationale vétérinaire de Toulouse-ENVT, 2017, 118 pages. www.bit.ly/3sIBUeS

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