LES LABORATOIRES VÉTÉRINAIRES ENCOURAGÉS À PRODUIRE DES VACCINS - La Semaine Vétérinaire n° 1889 du 05/03/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1889 du 05/03/2021

PANDÉMIE

ANALYSE

Auteur(s) : MICHAELLA IGOHO-MORADEL

En pleine épidémie et face à la multiplication des variants, l’État explore toutes les possibilités pour renforcer la production de vaccins contre la Covid-19. Les industriels de la santé animale font partie des solutions à mobiliser. À ce jour, seul le laboratoire Boehringer Ingelheim a indiqué étudier cette option.

Non, aucun laboratoire vétérinaire ne s’est formellement engagé à produire des vaccins contre le Covid-19. Du moins, pour l’un d’entre eux, Boehringer Ingelheim, cette option est encore à l’étude. Ce dernier a participé le 2 février 2021 à l’Élysée, aux côtés de Virbac, Ceva Santé animale et d’autres laboratoires pharmaceutiques humains, à une réunion au cours de laquelle Emmanuel Macron les a encouragés à participer à la production de ces vaccins. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), qui représente ici l’Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV), l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ainsi que la Commission européenne y ont également été conviées. Si cette initiative a notamment été saluée par le Syndicat de l’industrie du médicament et diagnostic vétérinaires (SIMV) comme une nouvelle concrétisation de l’approche One Health, à ce stade, certains industriels de la santé animale indiquent ne pas être en capacité de s’impliquer dans cet effort de guerre.

Ceva et Virbac n’y participeront pas

Ce sujet ne date pas d’hier comme le rappelle Jean-Louis Hunault, président du SIMV. Les industriels de la santé animale ont été consultés par l’exécutif en mai dernier concernant leurs capacités mobilisables en matière de production de vaccins. Pour répondre aux besoins grandissants en vaccins contre le Covid-19, l’État remet cette option sur le tapis. « Cette consultation fait suite à d’autres échanges qui ont eu lieu dans le passé en lien avec la crise sanitaire actuelle. Nous avons interrogé nos adhérents à ce sujet. Ceva Santé animale et Boehringer Ingelheim ont pu décrire leurs expertises, leurs capacités potentielles et leurs conditions éventuelles de contribution. Cette offre est théorique tant que nous n’avons pas le descriptif des besoins. Or, à ce jour, je n’ai pas connaissance d’un cahier des charges, adressé par l’État français aux entreprises du médicament vétérinaire. Pour l’instant, nous sommes identifiés comme acteurs potentiels », constate Jean-Louis Hunault. Ceva Santé animale et Virbac ont déjà indiqué qu’ils ne participeront pas à la fabrication de ces produits. « Aucun de nos sites de production n’est dédié à la production de vaccins en France », précise le laboratoire Ceva Santé animale, qui s’est par ailleurs engagé dans la lutte contre le Covid-19 plus spécifiquement dans la formation de chiens capables de détecter la présence du virus Sars-CoV-2, en collaboration avec l’École nationale vétérinaire d’Alfort (ENVA) et le CHU de Bordeaux.

Des contraintes techniques et réglementaires

De son côté, le laboratoire Virbac pointe des freins d’ordre technique. « Concrètement, il y a deux possibilités : la production du principe actif et la mise sous forme pharmaceutique. La production du principe actif fait appel à des procédés très spécifiques. À ce jour, nous ne disposons pas de la technologie nécessaire pour fabriquer ce principe actif. Et les transferts de savoir-faire peuvent prendre 12 à 24 mois. L’échange du 2 février avec l’exécutif portait davantage sur la mise sous forme pharmaceutique, technique que nous maîtrisons. Mais nous avons indiqué que nous ne sommes pas en capacité de répondre aux requis technico-pharmaceutiques pour faire de la sous-traitance en santé humaine. Il nous faudrait obtenir de nouvelles autorisations administratives », explique Sandrine Brunel, directrice de la communication du groupe Virbac. L’entreprise indique toutefois que son implication dans la lutte contre le Covid-19 reste totale. « Nous avons fait plusieurs dons aux professionnels de santé au niveau de notre département et fourni gratuitement des boîtes de transport de vaccins afin que les centres de vaccination des Alpes-Maritimes puissent être approvisionnés. » Seul Boehringer Ingelheim, par la voix de son président France Erick Lelouche, a indiqué qu’il est prêt à « étudier la possibilité de contribuer à certaines étapes de fabrication de vaccins Covid-19, tout en soulignant que rien n’était certain compte tenu de très fortes contraintes industrielles et réglementaires ». L’entreprise possède en effet l’un des plus grands centres de production de vaccins vétérinaires au monde, basé à Saint-Priest, dans le Rhône.

Une option étudiée

Quels sont ces obstacles réglementaires ? C’est sur ce plan qu’intervient l’ANMV, qui a été chargée avec l’ANSM d’étudier la faisabilité de cette option et d’identifier les contraintes techniques et réglementaires, afin d’anticiper un éventuel appel à contribution des entreprises du médicament vétérinaire. Jean-Pierre Orand, directeur de l’ANMV, rappelle qu’en France les bases réglementaires pour les médicaments à usage humain et les médicaments vétérinaires sont similaires, même si elles sont bien distinctes. « Les bonnes pratiques de fabrication sont les mêmes, malgré quelques spécificités. En revanche, les autorisations de fabrication de médicaments sont délivrées par deux agences différentes. Toutefois, il existe des établissements pharmaceutiques qui possèdent les deux types d’autorisations. Mais d’autres ont uniquement des autorisations délivrées par notre agence et, de ce fait, n’ont pas l’autorisation de fabriquer des médicaments à usage humain. » Ainsi, à la demande de l’État, l’ANMV échange avec l’ANSM pour faciliter la tâche aux éventuels établissements pharmaceutiques vétérinaires qui voudraient obtenir l’autorisation administrative nécessaire à la fabrication des vaccins humains sans avoir à monter un nouveau dossier.

FAUT-IL CRAINDRE DES RUPTURES ?

Et si des laboratoires vétérinaires produisaient des vaccins contre le Covid-19, faudrait-il craindre des ruptures d’approvisionnement de médicaments vétérinaires ? À ce stade, l’industrie répond par la négative. « Les vétérinaires seraient fondés à s’interroger sur le risque de ruptures que pourrait causer la mobilisation de lignes de production vers les vaccins Covid-19. Ce ne sera jamais le cas. Aujourd’hui, nous avons des vaccins qui sont indispensables pour assurer la santé publique vétérinaire, par exemple le vaccin contre la fièvre catarrhale ovine. Cette potentielle contribution des industriels de la santé animale n’ajoutera pas une crise à la crise sanitaire actuelle », rassure Jean-Louis Hunault, président du SIMV avant de rappeler que le cœur de métier des entreprises du médicament vétérinaire est de servir les vétérinaires. De son côté, Jean-Pierre Orand, directeur de l’ANMV a rappelé qu’il est important d’étudier l’impact d’une telle option sur la production de vaccins vétérinaires, « le vaccin vétérinaire étant une catégorie de médicament sujette aux ruptures que ce soit pour les animaux de compagnie ou de rente ». Il indique qu’il sensibilisera l’ANSM afin que cet aspect soit pris en compte dans sa décision finale.

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