LA LYMPHOCYTOSE B POLYCLONALE, UN NOUVEAU SYNDROME CHEZ LE BOULEDOGUE ANGLAIS - La Semaine Vétérinaire n° 1889 du 05/03/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1889 du 05/03/2021

RECHERCHE

PRATIQUE CANINE FÉLINE NAC

Auteur(s) : TANIT HALFON

Elle toucherait en priorité les jeunes bouledogues anglais mâles, en association avec une splénomégalie ou des masses spléniques, et une hyperglobulinémie. Cette découverte montre qu’une lymphocytose à cellules B chez un bouledogue anglais n’est pas forcément révélatrice d’un processus tumoral sous-jacent.

Un bouledogue anglais présentant une lymphocytose à cellules B n’est pas forcément atteint de leucémie lymphoïde chronique à cellules B (LCCB), mais peut être sujet à un syndrome non connu à ce jour, la lymphocytose B polyclonale, a révélé une récente étude américaine, publiée dans le Journal of veterinary internal medicine (ACVIM)1. Cette découverte, si elle est confirmée par d’autres études, apparaît comme une avancée médicale majeure puisqu’elle permettrait d’éviter les surdiagnostics, et donc les traitements inutiles, voire les euthanasies. C’est un enchaînement de découvertes fortuites qui a permis d’aboutir à ce résultat. En menant des recherches sur la LCCB, les chercheurs ont d’abord mis en évidence que le bouledogue anglais, comparé à des races canines croisées, présentait des spécificités lors d’une suspicion de la maladie. Outre la lymphocytose (> 5 000 cellules/µl avec des lymphocytes B exprimant le CD21 comptant pour plus de 60 % de la population lymphocytaire2), ces chiens étaient significativement plus jeunes au moment du diagnostic, avec notamment une fréquence plus grande d’hyperglobulinémie. « Cette présentation unique nous a amenés à nous demander si cette race présentait une forme différente de LCCB, ou une autre maladie touchant les cellules B », ont expliqué les chercheurs. D’autres analyses de laboratoire ont également conforté ce questionnement. Pour y répondre, les chercheurs ont lancé une étude rétrospective basée sur l’analyse de données de laboratoire, recueillies entre septembre 2010 et août 2019. Au total, ils se sont intéressés à 84 cas de lympho cytose à cellules B CD21+ (> 724 CD21 + cellules/µl) sur 195 dossiers de bouledogues anglais répertoriés. Ces cas ont été comparés à plusieurs groupes d’animaux : des bouledogues anglais en bonne santé, des chiens d’autres races en bonne santé également, et enfin des chiens de petit format (autre que boule dogues) atteints de leucémie lymphoïde chronique.

Une prédisposition génétique ?

Il ressort que 58 chiens sur 83, soit 70 %, présentent un test de clonalité3 défavorable à l’existence d’un processus tumoral. La comparaison entre les animaux avec profil clonal et les autres profils (« non clonal ») met en évidence que les cas « clonal » sont significativement plus représentés par des animaux âgés et les cas « non clonal » par des mâles. Autres différences significatives : les cas « clonal » présentent une plus faible expression de CD21 et une plus grande de CD25. La lymphadénopathie périphérique était aussi plus commune dans les cas « clonal » que les autres. En revanche, aucune différence n’a été mise en évidence pour ce qui est de la présence de l’anémie, de la thrombocytopénie, de la splénomégalie (ou masses spléniques) et pour l’hyperglobulinémie. Par ailleurs, l’immunophénotypage des populations lymphocytaires a montré que les cas étudiés étaient caractérisés par une expression faible de CD25 et de CMH de classe II, par rapport aux 3 autres groupes de chiens. A contrario, les cas étudiés présentaient une hausse significative de l’expression du CD21 par rapport à ces mêmes groupes. Pour les chercheurs, ces résultats sont en faveur de l’existence d’un syndrome de lymphocytose polyclonal B du bouledogue anglais (PBLEB pour polyclonal B-cell lymphocytosis of English bulldogs) caractérisé par « un plus grand nombre de lymphocytes B à profil non clonal dans le sang ». Ce syndrome « affecte fréquemment les jeunes mâles et est communément associé à une splénomégalie ou à des masses spléniques, et à une hyperglobulinémie, à IgA avec ou sans IgM », et avec « une expression faible de CD25 et de CMH de classe II ». En médecine humaine, sont également décrits deux états de lymphocytoses B polyclonales, avec pour l’un d’entre eux, la description de cas familiaux suggérant une prédisposition génétique. S’ils diffèrent par plusieurs aspects des cas décrits chez le chien dans cette étude, « ils mettent en lumière la possibilité de l’existence de mutations ou anomalies chromosomiques pouvant altérer l’homéostasie lymphocytaire ». Par ailleurs, les auteurs n’excluent pas la possibilité que cet état évolue vers un processus tumoral pour certains chiens, en lien notamment avec le constat que les cas avec « profil clonal » sont plus âgés que les autres. Ils recommandent donc de réaliser un suivi de ces animaux. À ce stade, il n’est pas exclu que d’autres races canines soient concernées par ce syndrome, bien que ces premiers résultats penchent pour une prédisposition génétique spécifique au bouledogue anglais.

1. Rout E.D., Russell Moore A., Burnett Robert C. et coll., Polyclonal B-cell lymphocytosis in English bulldogs, J Vet Intern Med., 2020;34:2622-2635.

2. Les molécules CD (pour cluster differenciation) sont des glycoprotéines membranaires exprimées par les lymphocytes B matures. Elles sont utilisées pour l’immunophénotypage des cellules immunitaires.

3. Le test de clonalité permet d’identifier le profil des populations lymphocytaires, en amplifiant une région génomique spécifique des lymphocytes codant pour les récepteurs aux antigènes. Lors de processus tumoral, le profil est dit clonal, c’est-à-dire qu’on observe une prolifération d’un seul clone de lymphocytes. Autrement, on parle de profil polyclonal.

DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL DE LA LYMPHOCYTOSE

D’autres maladies, ou états physiologiques, peuvent expliquer une lymphocytose persistante chez le chien ou le chat : un état de stress (espèce féline et jeunes animaux en particulier), les maladies inflammatoires chroniques (dont anémie hémolytique à médiation immune), maladies infectieuses et vectorielles (ehrlichiose, leishmaniose, FelV/FIV), les syndromes lymphoprolifératifs, les thymomes, l’hyperthyroïdie féline, l’hypoadrénocorticisme et la vaccination. Une étude rétrospective de 2015 a aussi montré que le pyomètre pouvait induire une lymphocytose. De plus, une lymphocytose physiologique est décrite chez les jeunes animaux jusqu’à l’âge de 18 mois, avec un retour progressif à la normale. Enfin, la présence de variations dans la morphologie des cellules sanguines, ou la présence d’érythroblastes en grande quantité, peut amener des automates à afficher des résultats faussement positifs : il est donc fortement conseillé de confirmer la lymphocytose par frottis sanguin. Tout ceci dit, la lymphocytose reste un phénomène rare en clinique.

1. www.bit.ly/2ZXkoqY

Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr