QUOI DE NEUF EN MÉDECINE INTERNE ? - La Semaine Vétérinaire n° 1887 du 19/02/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1887 du 19/02/2021

DOSSIER

Auteur(s) : TAREK BOUZOURAA

CES DERNIÈRES ANNÉES, LES INNOVATIONS EN MÉDECINE VÉTÉRINAIRE PERMETTENT D’ENVISAGER UNE OPTIMISATION DES PROCÉDURES DIAGNOSTIQUES ET THÉRAPEUTIQUES. QUANT AU BIEN-ÊTRE DES ANIMAUX ET À L’IMPACT PSYCHOSOCIAL DES MALADIES CHRONIQUES SUR LEUR QUALITÉ DE VIE ET CELLE DE LEUR MAÎTRE, ILS FONT L’OBJET D’UNE ATTENTION GRANDISSANTE. APERÇU NON EXHAUSTIF DES OUTILS DE DEMAIN.

Les évolutions de la médecine vétérinaire sont permanentes. Les progrès sont notables dans le domaine des diagnostics et des traitements, principalement en oncologie, endocrinologie et gastro-entérologie. Au-delà de l’aspect technique de l’exercice, un nouveau mode de pensée éthique et tourné vers l’accompagnement du malade et de sa famille voit le jour et appelle à l’emploi de nouveaux outils lors du diagnostic et du suivi.

La « biopsie liquide », un outil mini-invasif

À l’aide des modèles de cancérologie chez l’humain, plusieurs équipes collaborant avec des vétérinaires oncologues développent actuellement des outils diagnostiques mini-invasifs nécessitant une simple prise de sang, d’urine ou de tout autre fluide (épanchement, salive, sécrétions, etc.). Le but, identifier directement des cellules tumorales circulantes ou des macromolécules telles que l’ADN ou l’ARN (microARN) tumoraux. Cette procédure permettra un dépistage précoce d’un cancer ou d’une récidive. Elle autorisera également la caractérisation d’un processus métastatique, l’identification du profil des mutations arborées par la tumeur en place, la distinction des stades précancéreux et cancéreux, mais également un suivi thérapeutique rapproché. Avec à la clé un allègement des démarches diagnostiques, et ainsi probablement une meilleure adhésion des propriétaires. Même si ces méthodes porteuses demeurent majoritairement accessibles en recherche académique, leur développement laisse envisager leur accessibilité en pratique courante dans un futur proche pour le dépistage précoce et le suivi des cancers urogénitaux, des lymphomes multicentriques, voire des sarcomes histiocytaires, comme l’ont expliqué Fiona Thomson, chercheuse en oncologie humaine à Glasgow, et Lise Nikolic Nielsen, vétérinaire spécialiste en médecine interne à Copenhague, lors du dernier congrès de l’European College of Veterinary Internal Medicine (ECVIM).

Des alternatives à la chirurgie

Les tumeurs solides du bas appareil urinaire sont fréquentes chez les animaux de compagnie, particulièrement chez le chien. Lors de carcinome du bas appareil urinaire chez le chien, les options classiquement employées combinent une exérèse chirurgicale « oncologique », si elle est réalisable, associée à l’administration de molécules anti-cancéreuses (principalement à dose maximale tolérée avec des sels de platine ou de la mitoxantrone avec prescription d’anti-inflammatoires non stéroïdiens à activité anti-Cox2, voire en administration métronomique associant du chlorambucil à un anti-Cox2). L’emploi d’un protocole de radiothérapie est également envisagé dans certains cas inopérables. Une réponse clinique à ces protocoles est attendue en moyenne dans 50 à 70 % des cas, avec le plus souvent une rémission partielle ou le maintien d’une maladie stable. Cependant, des rechutes à partir de 4 à 7 mois après le diagnostic initial justifient souvent l’arrêt des soins ou des adaptations thérapeutiques. À nouveau, dans la continuité des soins de pointe accessibles en cancérologie humaine, plusieurs centres vétérinaires spécialisés en oncologie associent leurs compétences à celles des chirurgiens employant déjà des techniques opératoires mini-invasives afin de mettre à jour des procédures abouties. Au dernier congrès de l’ECVIM, la session de l’ European Society of Veterinary Oncology (ESVONC) a été presque entièrement dédiée aux premiers retours relatifs aux procédures mini-invasives en oncologie vétérinaire. William Culp, spécialiste en chirurgie vétérinaire à l’université de Davis, y a présenté les nouvelles approches interventionnelles que sont la chimiothérapie intra-artérielle au site tumoral et l’embolisation artérielle. La chimiothérapie intra-artérielle sur le site tumoral offre une approche minutieuse et sélective de la zone traitée. Elle permet également de réduire l’exposition aux agents cytotoxiques et ainsi leurs potentiels effets indésirables. Les premières études menées chez des chiens atteints de carcinomes vésicaux font état d’une efficacité et d’une innocuité encourageantes par rapport à une prise en charge par chimiothérapie intraveineuse classique, avec même un effet anti-tumoral plus important (réduction du calibre de la tumeur plus importante) et moins d’effets indésirables systémiques. Lors de carcinomes prostatiques, l’embolisation artérielle permet de réduire significativement le flux sanguin au parenchyme prostatique et d’en réduire le calibre, ce qui réduit donc les signes cliniques et améliore le statut et la condition de l’animal.

Alléger le suivi des malades

Ces dernières années, une approche complémentaire des soins a émergé en endocrinologie vétérinaire. Celle-ci a notamment été initiée et guidée par les équipes du Royal Veterinary College (RVC) à Londres et de Stijn Niessen, spécialiste en médecine interne. Ce dernier a souligné l’intérêt de comprendre et accompagner les familles des animaux de compagnie présentant une endocrinopathie chronique. Son équipe travaille également en collaboration avec d’autres centres spécialisés pour simplifier et alléger le suivi des malades sans réduire la qualité des soins. Ils participent également au développement des nouvelles approches ainsi que des outils technologiques connectés désormais à disposition du clinicien en pratique courante pour faire participer les propriétaires au suivi. La définition du succès thérapeutique diff ère selon le point de vue. Par exemple, lors d’un diabète sucré, les visions du clinicien et des propriétaires peuvent diverger quant aux objectifs ciblés. En effet, contrairement à ce que vise le vétérinaire (la stabilité « glycémique »), les propriétaires recherchent un « bon état général » (résolution de la polyurie et de la malpropreté urinaire, reprise d’appétit, d’activité et des interactions avec les congénères). C’est cet objectif de satisfaction que doit viser le clinicien. En eff et, la qualité et le confort de vie du chien diabétique ainsi que la perception de son bien-être par ses propriétaires faciliteront la coopération en équipe et augmenteront les chances de réussite thérapeutique. Entre 2010 et 2012, Stijn Niessen a mené 2 études pionnières sur l’élaboration d’un score de bien-être chez le chat et le chien lors de diabète sucré. Il devient alors primordial pour le clinicien de recentrer son approche sur la qualité de vie des animaux. De nouveaux outils arrivent désormais sur le marché et facilitent cette approche. Très récemment, la même équipe a publié un score similaire chez le chien présentant un hypercorticisme dans un même but d’optimisation et d’amélioration de la prise en charge, du suivi et de l’écoute du malade et de ses maîtres.

L’aide des outils connectés

Les applications de smartphone autorisent, après la pose d’un dispositif cutané, une évaluation continue de la glycémie durant plusieurs jours. La pose du matériel est aisée et n’engendre pas de douleur. Par ailleurs, l’emploi de ces dispositifs permet de réduire le coût des soins en évitant les visites de suivi et les hospitalisations de jour pour courbe de glycémie. En eff et, le coût « client » cumulé du capteur (utilisable 14 jours) et du lecteur (usage théoriquement indéfini), ne dépasse habituellement pas 40 euros TTC pour une évaluation de 2 semaines (dispositif FreeStyle Libre)1. Les applications sont gratuites et faciles d’usage.

L’emploi de ces moyens techniques a également été développé au dernier congrès ECVIM par Chen Gilor et Federico Fracassi, spécialistes en médecine interne. Durant sa conférence, le premier formule des commentaires sur la précision des outils de mesure « en temps réel » qui reste en règle générale acceptable chez le chien avec cependant un décalage entre les valeurs de glycémie plasmatique habituellement relevée par prise de sang et interstitielle rapportée par les capteurs intradermiques des dispositifs testés. Il soutient l’intérêt du dispositif FreeStyle Libre pour des cas de diabète non-compliqué. Le second renforce l’intérêt de cet outil, y compris lors de crise diabétique acido-cétosique. Chen Gilor a également abordé l’apport potentiel dans le futur d’une pompe à insuline (Omnipod) qui semble adaptée à la prise en charge des chiens diabétiques bien que son coût puisse constituer une limite à son emploi : la prise en charge associant le placement de la pompe, son entretien et son suivi peut atteindre 1 000 euros TTC.

Des nouveaux axes thérapeutiques pour le diabète

Bien que les études soient peu nombreuses et souffrent de limites non négligeables, l’emploi des molécules hypoglycémiantes (sécrétagogues de l’insuline ou analogues du glucagon-like peptide-1, GLP-1, entre autres) pourrait revêtir un intérêt complémentaire en renforçant l’efficacité des manœuvres diététiques chez le chat diabétique ou prédiabétique. Cet axe de prise en charge reste complexe à explorer, notamment pour des raisons éthiques, mais fera probablement l’objet d’une attention toujours grandissante dans les prochaines années. Par ailleurs, tout comme en médecine humaine, les inhibiteurs des cotransporteurs sodium-glucose 2 (SGLT-2) augmentent l’intensité de la glycosurie et optimiseraient alors le contrôle glycémique lors de diabète sucré. La vélaglifl ozine est une molécule dont les premiers retours pharmacologiques soutiennent, en eff et, une capacité à contrôler l’hyperglycémie chez le chat diabétique, sans aucune activité insulinique. Cet axe thérapeutique présenterait un intérêt prometteur lors de diabète sucré chez le chat, dont la pathogénie n’implique pas nécessairement de carence insulinique absolue.

Alicam, une capsule endoscopique révolutionnaire

Les capsules endoscopiques sont employées en gastro-entérologie humaine depuis plusieurs années pour faciliter le diagnostic morphologique des lésions gastro-intestinales. Ces dispositifs ont fait l’objet de plusieurs études soulignant leur applicabilité, puis leur intérêt en médecine vétérinaire. La capsule Alicam est ingérée puis chemine le long du tube digestif. Dès son expulsion dans les selles, elle est récupérée et les images sont analysées via un logiciel dédié, puis synthétisées et mises à disposition du clinicien. Le principal intérêt de cette capsule chez l’humain reste l’exploration de saignements viscéraux occultes et inexpliqués, notamment ceux à l’origine d’anémie par carence martiale à terme. Il reste à en définir les indications précises et son utilité chez les animaux de compagnie.

Immunohistochimie et profil de clonalité

L’analyse histologique conventionnelle (optique) n’offre pas toujours la possibilité d’obtenir un diagnostic de certitude lors d’entéropathie chronique. L’apport de l’immunohistochimie via l’application d’immunomarquages permet désormais d’approfondir la démarche face à des cas équivoques. En effet, chaque lignée cellulaire exprime des marqueurs de différenciation et de maturation spécifiques qui permettent d’en identifier l’origine. L’immunohistochimie présente un intérêt évident en gastro-entérologie des animaux de compagnie : elle permet d’orienter le pathologiste lors d’hésitation entre une entéropathie chronique et un lymphome initialement suspectés à la microscopie optique, principalement chez le chat. Les rares études disponibles, et certains protocoles en cours, évoquent néanmoins que l’immunohistochimie présente des limites analytiques, principalement en lien avec les profils d’expression d’anticorps parfois similaires entre plusieurs lignées. En effet, certains processus s’accompagnent de profils d’expressions « aberrants » tandis que certains marqueurs ne sont pas spécifiques d’une seule lignée. Ainsi, l’étude de la clonalité, reposant sur l’application de méthode de polymerase chain reaction (PCR), permettrait de renforcer la précision du diagnostic histologique. L’analyse PCR vise à révéler les différents profils et combinaisons des gènes codant pour les récepteurs aux lymphocytes T et les chaînes lourdes des IgM des lymphocytes B. Le test est nommé en anglais polymerase chain reaction for antigen receptor rearrangements (ou PARR). Cette méthode optimise la distinction d’une population clonale par rapport à une population hyperplasique ou inflammatoire. Lors de suspicion de lymphome intestinal ou d’entérite chronique lymphoplasmocytaire, la PARR révélera une seule « bande » d’amplification PCR chez les patients présentant une infiltration néoplasique (un seul clone lymphocytaire et donc un seul type de récepteurs amplifié) ou alors plusieurs « bandes » d’amplification PCR chez les patients présentant une inflammation sur leurs biopsies. Cette méthode, encore au stade de recherche en médecine vétérinaire, est également employée pour la caractérisation fine des leucémies et dans certains processus infectieux équivoques (borréliose, leishmaniose). La PARR n’a pas une pertinence absolue mais son emploi conjointement à l’immunohistochimie et l’histologie conventionnelle permettra d’améliorer la qualité diagnostique dans des situations cliniques complexes.

1. Voir La Semaine vétérinaire, no 1874 du 6 novembre 2020.

La cancérologie vétérinaire suit de très près la cancérologie humaine

TÉMOIGNAGE

FRANCK FLOCH

Dipl. European College of Veterinary Internal Medicine - Companion Animals (ECVIM-CA), spécialiste en oncologie, praticien à AniCura TrioVet (Rennes)

La cancérologie est une discipline en plein essor en médecine vétérinaire, qui suit de très près les avancées réalisées en médecine humaine, pour des bénéfices réciproques. Cela s’applique d’une part aux procédures diagnostiques, afin d’aller vers des gestes moins lourds et moins invasifs, tout en garantissant la fiabilité de ces nouveaux tests diagnostiques. Parmi ceux-ci, le développement de biomarqueurs tumoraux est prépondérant, avec une place de choix accordée à la biologie moléculaire. De façon récente, un test génétique se réalisant sur un simple prélèvement d’urine et visant à identifier une mutation du gène B-Raf lors de carcinome urothélial chez le chien a vu le jour en France, et est désormais accessible. De même, de nombreux travaux se concentrent sur la recherche des cellules tumorales circulantes ou d’ADN tumoral libre dans le sang, et, bien que cette technique reste actuellement indisponible, il ne fait nul doute qu’elle révolutionnera dans les années à venir nos méthodes de diagnostic des cancers, pour un diagnostic plus précoce et un meilleur suivi des patients. D’autre part, l’oncologie comparée permet aux cancérologues vétérinaires de bénéficier d’innovations thérapeutiques, avec une large place accordée à l’oncologie interventionnelle. Nous avons nous-mêmes collaboré dernièrement avec une équipe de radiologues interventionnels afin de mettre en place cette procédure pour le traitement des carcinomes prostatiques chez le chien, dans le cadre d’une étude préliminaire. La collaboration entre chirurgiens, radiologues, internistes, cardiologues et oncologues promet dans un futur proche la démocratisation de ces techniques mini-invasives et leur meilleure accessibilité.

Le concept « Une seule santé » doit encore être renforcé

TÉMOIGNAGE

VALÉRIE FREICHE

DESV en médecine interne des animaux de compagnie, praticienne hospitalière à l’École nationale vétérinaire d’Alfort (ENVA)

À l’instar de la médecine humaine, la médecine vétérinaire a connu de grands bouleversements au cours des vingt dernières années, particulièrement en oncologie. Dans le contexte de la pandémie actuelle, le concept « Une seule santé » doit encore être renforcé. Les deux univers que sont la médecine vétérinaire et la médecine humaine se méconnaissent encore : les liens qui les unissent doivent être cultivés et renforcés, et ce, au profit des deux espèces. L’animal de compagnie incarne un rôle social et même thérapeutique indéniable. Son rôle de sentinelle pour la santé humaine doit être valorisé. Enfin, l’étude des modèles animaux spontanés pour de nombreuses maladies endocriniennes ou néoplasiques de l’homme devra encore se traduire par des collaborations structurées entre médecins et vétérinaires. Le concept One Health s’impose aujourd’hui au monde de la recherche.

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