MÉCANISMES IMPLIQUÉS DANS LA SÉLECTION GÉNOMIQUE SUR LA RÉSISTANCE AUX MAMMITES - La Semaine Vétérinaire n° 1887 du 19/02/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1887 du 19/02/2021

RECHERCHE

PRATIQUE MIXTE

FORMATION

Auteur(s) : CLOTHILDE BARDE

CONFÉRENCIERS

RACHEL LEFEBVRE, université Paris-Saclay, Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), AgroParisTech.

PIERRE GERMON, université de Tours, infectiologie et santé publique (ISP), Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE).

Article rédigé d’après la conférence présentée le 3 décembre 2020 lors du congrès des 3R, Rencontres recherches ruminants.

En élevage laitier, les mammites restent un problème sanitaire et économique majeur, avec une incidence moyenne de 40 % de vaches atteintes1. Bien que les effets environnementaux soient prépondérants sur ce caractère, sa variabilité génétique est également importante. La sélection génomique sur la résistance aux mammites est donc un levier pour réduire cette incidence. Depuis 2012 l’index « santé de la mamelle » est disponible en France et intégré dans les objectifs de sélection des races laitières. Il combine les index de score cellulaire somatique (SCS) et de mammites cliniques (MC) en s’appuyant sur la forte corrélation génétique existant entre ces deux caractères (0,59 en race normande et 0,70 en race holstein)2. Cependant, les mécanismes biologiques impliqués dans les différences génétiques restent peu connus. Selon les données actuelles, il semblerait que la capacité d’une vache à déclencher son système immunitaire rapidement et efficacement lors d’une infection soit une voie à explorer pour expliquer la résistance aux mammites. C’est pourquoi, pour répondre à ces questions, une sélection divergente sur la résistance aux mammites a été conduite par une équipe de chercheurs de l’Institut national de la recherche agronomique et de l’environnement (INRAE)3 en races holstein et normande.

Une sélection génétique plus efficace

À l’échelle des populations, il s’agit de vérifier l’efficacité de la sélection et de tenter de l’améliorer grâce à la détection de nouvelles régions génomiques ayant un effet sur la résistance aux mammites. À cet égard, la divergence génétique sur la résistance aux mammites a été induite en créant deux lignées à partir de taureaux d’insémination, choisis sur leurs index SCS et MC et classés en deux catégories : RES (résistant) et CTL (contrôle). Le protocole s’est déroulé de 2012 à 2019 et a inclus 362 vaches - 215 holstein et 147 normande -, conduites ensemble et phénotypées de la même façon sur les deux premières lactations (L1 et L2). En première lactation, une identification bactériologique par polymerase chain réaction (PCR)4 des germes présents dans le lait a été réalisée trois fois et à chaque MC. De plus, les valeurs de comptage des cellules somatiques du lait (CCS) ont été transformées en SCS. À l’issue de l’expérimentation, les chercheurs n’ont observé aucune différence significative de production de lait entre lignées intra race, ce qui est en accord avec la sélection pratiquée. De plus, les vaches des lignées RES présentent un SCS moyen significativement plus faible que les vaches CTL dans les deux races et pour les deux lactations. En L1 et en L2, l’effet attendu sur les MC est aussi retrouvé dans les deux races avec des vaches RES moins affectées. Grâce à la divergence créée dans chaque race, la différence moyenne observée entre les vaches RES et CTL est de 0,7 point de SCS et de 10 % d’incidence de MC, ce qui est conforme aux résultats attendus (0,75 point de SCS et environ 7 % d’incidence de MC) et témoigne donc de l’efficacité de la sélection.

Un échantillon trop limité

Toutefois, la réponse à la sélection a été contrastée avec un résultat inverse observé sur les mammites des vaches normande en L1. En effet, les vaches Holstein RES ont montré l’effet attendu avec - 23 % de vaches affectées (p = 0,001) contre + 5 % de normandes RES affectées (p = 0,025). D’après les chercheurs, le résultat peut s’expliquer en partie par des effectifs plus faibles en race normande dans cette étude, mais également par la très faible héritabilité des MC et par une moindre précision des prédictions génomiques par rapport à la holstein. Pour observer la différence attendue, il faudrait donc sélectionner les animaux sur un nombre de générations plus important. Par ailleurs, les résultats des bactériologies ont montré que les vaches RES ont une mamelle plus saine tout au long de la lactation : 21 % des échantillons positifs chez les vaches RES vs 34 % chez les CTL. Mais les deux lignées ne présentent pas de profil bactériologique différent, « suggérant que la résistance ne serait pas liée à une résistance à un pathogène particulier ». En parallèle, les chercheurs ont tenté de détecter les prédicteurs indirects (précoces et accessibles) de l’infection et d’étudier le niveau de réponse inflammatoire (cinétique de recrutement des cellules immunitaires dans le lait et caractérisation). Pour cela, 49 vaches - 22 RES et 27 CTL - ont été retenues. Afin de réaliser les épreuves inflammatoires, les quartiers ont été sélectionnés : absence de bactéries dans le lait 24 heures avant injection et comptage cellulaire inférieur à 10 000 cellules par ml de lait la semaine précédant l’épreuve. À 5 semaines post-vêlage, une endotoxine stimulant le système immunitaire a été injectée dans un quartier par vache. Cette molécule, issue de la paroi des bactéries à Gram négatif telles qu’Escherichia coli, permet de déclencher une réponse inflammatoire qui mime celle observée dans les premières étapes d’une mammite à E. coli. La comparaison des données obtenues pour les vaches RES et CTL a montré que la production laitière a été diminuée de façon équivalente entre les vaches des deux groupes. De plus, dès 4 heures, une réponse inflammatoire d’intensité équivalente est observée dans les deux groupes avant que, 8 heures post-injection, une diminution statistiquement significative de la quantité d’IL-6 dans le lait soit observée chez les vaches « résistantes ».

Un contrôle de l’inflammation chez les vaches résistantes

Ce résultat suggère donc que les vaches du groupe « résistantes » sont capables de mieux contrôler la réponse inflammatoire, une fois celle-ci enclenchée. Ainsi, lors d’une infection par un agent pathogène, une réponse plus forte entraînerait de plus forts dommages tissulaires alors que l’agent infectieux serait déjà éliminé. En effet, lors d’infections expérimentales, la charge bactérienne commence à décliner alors que la réponse inflammatoire n’est pas encore à son pic. Une vache plus résistante aux mammites serait donc plus apte à mieux contrôler l’infection pour éviter les dommages tissulaires néfastes à la production laitière. Comme l’ont conclu les chercheurs, bien que ces informations soient très prometteuses, l’analyse génétique devra donc être poursuivie pour identifier d’éventuels variants génétiques associés à une meilleure résistance aux mammites. D’autres phénotypes restent également à explorer pour identifier des marqueurs de résistance. Des analyses supplémentaires sont d’ailleurs en cours pour étudier la relation génétique entre résistance aux mammites et réponse inflammatoire, ainsi que le lien avec le métabolisme énergétique.

1. Fourichon C., Beaudeau F., Bareille N. et coll., Incidence of health disorders in dairy farming systems in western France, Livest. Prod. Sc., 2001;68 (2-3):157-170.

2. Domaine expérimental du Pin (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, INRAE), étude financée par Apis-Gene.

3. PathoProof Mastitis PCR Assay, Finnzymes Oy, Espoo, Finlande.

4. Govignon-Gion A., Dassonneville R., Baloche G. et coll., Multiple trait genetic evaluation of clinical mastitis in three dairy cattle breeds, Animal, 2016;10 (4): 558-565.

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