IAHP : « LE VIRUS A TOUCHÉ L’ÉPICENTRE DE LA PRODUCTION DE CANARDS » - La Semaine Vétérinaire n° 1887 du 19/02/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1887 du 19/02/2021

ÉPIZOOTIE

PRATIQUE MIXTE

Auteur(s) : TANIT HALFON

Si plusieurs facteurs de risque expliquent la diffusion de l’influenza aviaire hautement pathogène dans le Sud-Ouest de la France, la densité d’élevages de la zone touchée, associée aux dérogations aux claustrations, a fortement aggravé l’évolution de l’épizootie. Explications avec Gilles Salvat et Nicolas Eterradossi de l’Anses.

Plus de deux mois après le début de l’épizootie d’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) en France, quel premier bilan peut-on tirer de cette crise ? Le point avec Gilles Salvat, directeur de la santé animale et du bien-être animal, et Nicolas Eterradossi, directeur du laboratoire de Ploufragan-Plouzané-Niort, de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), qui intervient en appui du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation depuis le début de la crise.

Pour la crise de 2016-2017, en un mois et demi - de fin novembre à mi-janvier -, 153 foyers avaient été confirmés. Pour la crise actuelle, pour la même période de temps - de début décembre au 22 janvier -, ce sont 388 foyers domestiques qui ont été déclarés. La plus grande contagiosité annoncée du virus explique-t-elle cette cinétique ? Quels sont les autres facteurs qui y ont contribué ?

Gilles Salvat : Les deux crises ne présentent la même dynamique d’infection. En 2017, la zone de la Chalosse, dans les Landes, à haute concentration d’élevages, n’a pas été touchée en premier. Cette année, au contraire, le virus a touché l’épicentre de la production de canards, d’autant plus que cette période est propice aux fortes concentrations d’animaux à gaver pour les fêtes de fin d’année. Ce décalage explique que la contagiosité n’est pas perçue de la même manière, malgré le fait que le virus en cause soit apparenté1 à ceux ayant circulé en Europe en 2016-2017. En clair, cette année, on se rend mieux compte du caractère contagieux du virus qui est peut-être par ailleurs encore plus contagieux si on se réfère aux mortalités massives enregistrées sur la faune sauvage en mer Baltique et en mer du Nord, grandes zones de rassemblement d’oiseaux migrateurs. En outre, organiser l’abattage des foyers et autour des foyers, ainsi que l’élimination des cadavres en grand nombre dans un temps très court, et dans des conditions sanitaires et de protection animale satisfaisantes, est déterminant. Mais difficile à organiser dans l’urgence quand les foyers se multiplient. Par ailleurs, les dérogations à la claustration des volailles accordées durant la période à risque ont clairement contribué à l’introduction du pathogène en élevage, via l’exposition à l’avifaune sauvage contaminée, et à sa diffusion.

Nous avions identifié ce facteur de risque dans un avis rendu en 2017. Enfin, si les notions de biosécurité étaient globalement absentes lors des deux dernières épizooties, les choses se sont améliorées depuis, mais probablement pas suffisamment pour contenir la contagion.

Nicolas Eterradossi : La cinétique d’excrétion virale a également participé à la dynamique de l’infection. En effet, le pic d’excrétion virale se fait quelques jours avant toute manifestation clinique - cela a été aussi le cas en 2017. Ces animaux excréteurs asymptomatiques ont donc le temps de contaminer leur environnement, avant que l’on se rende compte de leur statut, contribuant à la diffusion du virus. De plus, leur niveau d’excrétion virale est important. Ce que l’on constate cette année est une atteinte très marquée de l’avifaune sauvage, avec des niveaux de mortalité dans le nord de l’Europe bien plus important que ce qui avait été observé lors de l’épizootie de 2017. Cette ultra-contamination de la faune sauvage est un autre facteur suggérant une forte contagiosité du virus.

G. S. : Pour aller plus loin, nous aurons besoin de disposer des données de l’ensemble des investigations épidémiologiques, qui serviront à alimenter nos modèles de propagation de la maladie.

La France est le pays européen qui totalise le plus grand nombre de foyers domestiques. Pourquoi ?

G. S. : Avec la Hongrie, la France est le premier État européen producteur de canards gras, et le virus a touché un des grands bassins de production du pays. Ceci dit, si on compare la situation française au nombre d’animaux abattus, d’autres pays rentrent aussi dans la course, puisque des élevages de très grande taille ont été touchés, notamment en Suède et en Pologne.

N. E. : Il faut également tenir compte des modes de production. Par exemple, un élevage de poules pondeuses implique de nombreuses allées et venues, en premier lieu pour le ramassage des œufs, en découle un haut niveau d’interactions entre opérateurs. Un élevage d’un million de poules pondeuses en Suède ou de 900 000 poules en Pologne, cela implique forcément beaucoup de passages.

Pourquoi la stratégie vaccinale n’est-elle pas envisagée ?

N. E. : La vaccination est interdite dans l’Union européenne, du fait des limites inhérentes aux premières technologies des vaccins. En effet, il faut d’abord avoir une très bonne corrélation entre la souche virale utilisée dans le vaccin et la souche circulante. Dans le cas contraire, on peut avoir des animaux partiellement protégés, mais qui continuent à multiplier le virus, pour atteindre des niveaux parfois voisins de ceux retrouvés chez les animaux non vaccinés. Pour détecter une telle situation, si l’on n’a pas la possibilité de faire la différence entre des animaux infectés et des animaux vaccinés sur la base de leur réaction sérologique, il faut en passer par un programme de dépistage virologique massif. Tout cela explique l’existence des restrictions au commerce international au départ des pays utilisant une stratégie vaccinale. Actuellement, de nouvelles technologies vaccinales capables d’inhiber l’excrétion virale sont en train d’émerger, et l’Agence travaille dessus pour évaluer dans quelle mesure de tels vaccins pourraient ou non compléter une stratégie de contrôle. Ceci dit, même si ces vaccins étaient disponibles aujourd’hui, il faut du temps pour mettre en place une campagne de vaccination et obtenir une immunité suffisante, le délai minimum est de cinq à six semaines. Cela veut dire qu’il faudrait donc s’y prendre plusieurs mois à l’avance, avant la période à risque, ce qui complique le choix de la souche vaccinale. Je rappelle, par exemple, qu’avant l’épizootie de 2015-2016, une souche H5N6 hautement pathogène circulait au sein de l’avifaune sauvage en Europe de l’Est. En théorie, il aurait pu être logique de choisir cette souche pour le vaccin, sauf que ce sont d’autres souches qui ont été associées à l’épizootie. Outre ces enjeux techniques, encore faut-il que les intérêts de tous les acteurs des filières convergent, et aussi que les consommateurs acceptent la vaccination. N’oublions pas non plus qu’il faudra convaincre la Commission européenne.

G. S. : Pour les échanges commerciaux, une négociation avec les pays tiers est en théorie toujours possible. Mais je rappelle qu’il a fallu trois ans de travail intense de la Direction générale de l’alimentation pour réussir à faire accepter à certains de nos partenaires commerciaux, le concept de régionalisation. Gagner cette confiance est un travail diplomatique de longue haleine. Mais il ne faudrait pas qu’on laisse croire que la vaccination est la solution pour tout. La base reste la biosécurité, le confinement, etc., et pourquoi pas la vaccination en période de crise.

Pensez-vous que nous ayons tiré les leçons des précédentes crises ?

G. S. : Depuis les deux premières épizooties, nous avons fait des progrès, en termes de biosécurité d’abord mais aussi de détection de la circulation des virus influenza avec l’obligation de dépistage des lots de palmipèdes avant mouvement. Il faudra faire le même exercice pour cette crise. À l’Anses, nous nous sommes engagés à faire un retour d’expériences et nous prendrons le temps qu’il faut pour émettre des recommandations. Nous allons également alimenter la recherche pour mieux comprendre cette épizootie, et identifier les situations les plus à risque (densité, nombre d’élevages, zone géographique, conditions pédoclimatiques, etc.). Ceci dit, malgré nos recommandations faites après la crise de 2016-2017, la situation d’aujourd’hui est assez comparable. Il me semble donc que la réponse à apporter n’est pas seulement scientifique, mais de l’ordre aussi de l’organisation des filières, des contraintes économiques, etc.

1. Le sous-type viral majoritairement identifié est le H5N8 appartenant au clade 2.3.4.4b. Il est apparenté aux virus H5N8 qui ont circulé en Égypte en 2018-2019 et en Europe et Asie en 2016-2017. Source : Plateforme nationale d’épidémiosurveillance en santé animale (ESA).

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