COVID-19 : L’OPPORTUNITÉ D’UNE POLITIQUE « ONE HEALTH » EN FRANCE ET DANS LE MONDE ? - La Semaine Vétérinaire n° 1883 du 22/01/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1883 du 22/01/2021

DOSSIER

Auteur(s) : CHANTAL BÉRAUD

LES MOIS PASSÉS ONT CRUELLEMENT RÉVÉLÉ LE MANQUE DE COORDINATION DES POLITIQUES POUR METTRE EN ŒUVRE UNE RÉPONSE « ONE HEALTH » EN MATIÈRE DE SANTÉS ENVIRONNEMENTALE, ANIMALE ET HUMAINE. POURTANT, AU-DELÀ DES FIASCOS, NOTRE INTELLIGENCE COLLECTIVE SE MOBILISE SUR LE SUJET, AVEC DES OUTILS ET DES IDÉES QUI S’AMORCENT POUR LUTTER CONTRE LA PANDÉMIE EN COURS, ET CELLES QUI POURRAIENT SUIVRE…

Les mois écoulés ont montré, notamment en France, combien le concept de « One Health » demeurait encore trop souvent une douce utopie, et non une réalité sur le terrain. Ainsi François Meurens - qui à Oniris, depuis 2015, exerce une activité d’enseignement en microbiologie/immunologie et au sein de l’UMR BioEpAR (Biologie, épidémiologie et analyse de risque en santé animale) de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) une activité de recherche - rappelle qu’à l’inverse de notre pays, c’est, beaucoup plus tôt, en fait dès le début de la crise sanitaire, que la chancelière allemande, Angela Merkel, prête une oreille attentive aux recommandations du vétérinaire de formation Lothar H. Wieler, président de l’institut Robert-Koch de Berlin. Et d’ajouter : « Toujours en Allemagne, mais également en Belgique, aux Pays-Bas, en Italie, en Espagne, au Canada et dans d’autres pays, les laboratoires vétérinaires (diagnostic de recherche, public et privé) ont rapidement été sollicités pour participer à l’effort diagnostic et à la recherche sur le Sars-CoV-2. » Alors que la mise en marche en France a été plus que laborieuse1. Par ailleurs, il a été fait appel de manière extrêmement marginale aux vétérinaires qui s’étaient pourtant inscrits en masse pour participer à la réserve sanitaire.

Santés humaine et animale autrefois liées

Cette plus grande séparation disciplinaire, en France, entre médecine humaine et médecine vétérinaire est, selon François Meurens, « d’autant plus surprenante que la glorieuse histoire scientifique de notre nation est jalonnée d’avancées majeures réalisées par des scientifiques complets qui passaient allègrement des agents pathogènes animaux aux agents pathogènes humains ». Et de citer les noms de Louis Pasteur, Jean-Baptiste Auguste Chauveau, Gaston Ramon, Alexandre Yersin, Louis Thuillier… « Ces biologistes, vétérinaires et médecins appréhendaient le monde de la microbiologie de façon large et sautaient joyeusement d’une discipline à l’autre. Ces pionniers faisaient du coup déjà vivre le concept “One Health” avant sa formalisation au début des années 2000 dans le monde anglo-saxon. »

Tisser de nouveaux liens ?

Et François Meurens d’en déduire : « L’un des problèmes majeurs dans cette crise sanitaire est donc l’éclatement des santés animale et humaine entre de trop nombreux ministères en France, qui n’ont pas assez coutume de travailler ensemble. » Il dénonce aussi une certaine hiérarchisation des médecines : « En France, nos écoles vétérinaires sont depuis leurs origines séparées des facultés de médecine humaine. Il n’y a que lors de la soutenance des thèses vétérinaires que le président du jury doit être obligatoirement issu d’une faculté de médecine humaine. Je pense qu’il y a pour l’avenir un réel besoin d’échanges entre les facultés de médecine et les écoles vétérinaires, sous forme de cours communs de premier et deuxième cycles et d’échanges d’enseignants. D’ailleurs, en Belgique et au Danemark entre autres, un rapprochement dans ce sens a été entrepris il y a de nombreuses années déjà. » Enfin, il souligne l’intérêt « de mettre sur pied de véritables unités de recherche mixtes, à l’instar de ce qui a été fait à l’université de Liège, en Belgique, avec le Centre interdisciplinaire de recherche biomédicale (GIGA), qui est encore très investi dans la lutte anti-Covid, avec de beaux succès. » Et François Meurens de conclure : « Aujourd’hui, une collaboration large entre toutes les disciplines de la santé animale, humaine et végétale m’apparaît comme étant absolument indispensable pour prévenir, identifier ou traiter les futures émergences virales potentiellement dramatiques. Car il est maintenant crucial de mieux comprendre les sauts entre espèces du virus et les mécanismes contrôlant son adaptation à certaines espèces cibles. Il convient en effet maintenant d’éviter que le virus n’acquière un ou des réservoirs animaux stables, rendant les efforts de maîtrise de l’infection humaine encore plus complexes. »

1. Voir la Tribune libre de Richard Bonne et de Didier Montet, La Semaine vétérinaire, n° 1875, 13 novembre 2020, page 9.

Il faut politiser la question du « One Health » !

TÉMOIGNAGE

LOÏC DOMBREVAL

Vétérinaire de formation, actuel député des Alpes-Maritimes

Nous ressentons aujourd’hui le besoin d’une organisation nouvelle et conséquemment il faudra aussi une allocation nouvelle des ressources financières concernant le secteur des trois santés. Il convient également de rapprocher le monde vétérinaire de celui des médecins. Je pense que ces deux professions ont commencé à s’éloigner, notamment quand l’urbanisation des villes a entraîné une séparation d’avec le monde animal. L’homme a alors cru qu’il pouvait s’affranchir de sa relation à la Nature. Je pense donc que la prévention du risque de pandémie en France a été loin d’être optimale, notamment parce que nous avons eu trop tendance à oublier l’importance du diagnostic animal dans la Covid-19 ! Heureusement, des choses sont en train de bouger : d’une part, le Conseil scientifique devrait intégrer prochainement un vétérinaire et, d’autre part, au niveau international il y a la création d’un Haut Conseil aux trois santés.

Extrait de la visioconférence du colloque One Health Joint Action, du 17 décembre 2020, organisé par 1Healthmedia.

UNE MEILLEURE GESTION DE LA CRISE AILLEURS ?

Durant de longs mois, il a été dit que d’autres pays géraient mieux la crise sanitaire que la France. L’amplification actuelle de la pandémie incite cependant à rester modeste dans ces analyses. On peut cependant en retirer quelques retours d’expériences factuels. Lors du colloque « Covid-19 et “Une seule santé” : aspects médicaux, vétérinaires et environnementaux » du 3 décembre 2020, Jeanne Brugère-Picoux, membre de l’Académie nationale de médecine (ANM), de l’Académie vétérinaire de France (AVF) et de la Société vétérinaire pratique de France (SVPF), signalait que « des vétérinaires de formation, dont George Gao en Chine et Lothar H. Wieler en Allemagne, sont depuis le début de la pandémie associés aux décisions, aux plus hauts sommets politiques ». Également présents lors de cette visioconférence, Wang Xinghuan et Zhao Yan, du CHU Zhongnan de Wuhan, ont aussi affirmé que le confinement strict était plus facile à mettre en œuvre en Chine pour des raisons culturelles, car, ont-ils expliqué, « cela fait des millénaires qu’en cas d’épidémies, le pouvoir politique oblige les populations à se confiner ainsi ». On peut aussi penser qu’un régime totalitaire obtient plus facilement l’obéissance de la part des citoyens qu’une démocratie libérale.

La communication santé nécessite une entière honnêteté

TÉMOIGNAGE

RICHARD BONNE

Ancien vétérinaire, inspecteur des services vétérinaires français, expert international en sécurité sanitaire des aliments

Avec Didier Montet (chercheur, expert international en sûreté sanitaire des aliments), je pense que les enseignements à tirer des mois écoulés sont de divers ordres. Notamment, même si le montant en semble trop élevé relativement à la faible probabilité d’occurrence de tels épisodes infectieux, il ne faut jamais baisser la garde en réduisant les budgets publics consacrés aux dispositions de prévention et d’expertises. Par ailleurs, les informations délivrées à la population par les autorités doivent être claires et sincères, et ne devraient en aucun cas être dissimulées ou inexactes pour couvrir les défaillances de l’État. Je pense par exemple qu’il aurait été préférable de reconnaître honnêtement la pénurie originelle de masques en France. Et que, conséquemment, mieux aurait valu lancer une campagne d’information pour permettre au plus grand nombre de gens d’en fabriquer eux-mêmes !

Par ailleurs, pour faire face à une crise aussi grave, il est nécessaire que le pays fasse appel, sans exclusion, à toutes les ressources matérielles et humaines dont il dispose, en passant sur toutes les rivalités et les défiances existant entre les services de l’État et les différentes corporations professionnelles concernées - recherche, sanitaire, médicale, vétérinaire, agronomique, écologique, psychologique, sociologique. Un gros effort de communication nationale reste également encore à faire, cherchant non pas seulement à effrayer mais aussi à rassurer nos concitoyens. À titre d’exemple, les chiffres de la mortalité liés à la Covid-19 devraient être mis en face des décès liés au diabète, à l’alcool, à la grippe ou encore au bricolage. Enfin, la défense d’intérêts privés ne doit pouvoir en aucun cas retarder la mise en œuvre des mesures d’urgence indispensables.

Faisons de la santé environnementale une priorité1

TÉMOIGNAGE

PHILIPPE JUVIN

Maire de La Garenne-Colombes (Hauts-de-Seine), chef de service des urgences de l’hôpital européen Georges-Pompidou

Notre premier axe d’action devrait être de mettre tout le poids de l’Europe unie pour limiter la déforestation. Le deuxième axe serait de doter notre pays d’un système de veille épidémiologique moderne et agile, dont il est aujourd’hui totalement dépourvu, via la surveillance des eaux usées, l’étude en temps réel et en nombre des mutations du Sars-CoV-2, etc. Le troisième axe d’action concernerait le recensement des menaces. De nombreux scientifiques ont appelé à composer un atlas des virus animaux susceptibles de constituer une menace pour la santé humaine. Ce Global Virome Project est très ambitieux et son coût est estimé entre 1,5 et 2,8 milliards d’euros sur dix ans. La France pourrait en faire un projet européen. Car en cas de passage de la barrière d’espèce, le fait d’avoir préalablement identifié et séquencé l’agent pathogène nous ferait gagner un temps précieux pour mettre au point tests, médicaments et vaccins.

1. Extrait de la Tribune libre parue dans Le Monde, le mardi 12 janvier 2021.

« Il faut revaloriser la recherche en préservant nos écosystèmes car, comme le dit l’adage, ne vaut-il pas mieux prévenir que guérir ? »

ALORS, QUI DOIT FAIRE QUOI ?

Quant à la France, son organisation est sans doute effectivement trop centralisatrice, trop administrativement cloisonnée entre différents ministères, agences et agences régionales de santé (ARS). Comme le confirme anonymement un haut fonctionnaire : « Oui, notre machine administrative est lourde, elle génère des frustrations. » Mais d’ajouter aussitôt : « Cependant, quel est le bon système ? En Allemagne, c’est souvent compliqué entre les différents Länder, en Espagne, c’est le bazar… Que l’Europe soit parvenue à s’entendre pour commander ensemble, dans l’ordre, des vaccins reste une grande victoire. »

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