TRAFIC DES ANIMAUX DE COMPAGNIE : LE BRAS DE FER EUROPÉEN - La Semaine Vétérinaire n° 1880 du 18/12/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1880 du 18/12/2020

DOSSIER

Auteur(s) : MICHAELLA IGOHO-MORADEL

CHAQUE ANNÉE, DES DIZAINES DE MILLIERS DE CHIOTS SORTENT D’« USINES-ÉLEVAGES » SITUÉES EN EUROPE DE L’EST AFIN D’ÊTRE VENDUS ILLÉGALEMENT À L’OUEST. LA FRANCE ET L’UNION EUROPÉENNE TENTENT D’ENDIGUER CE COMMERCE ILLICITE QUI RAPPORTE GROS. DANS LEUR STRATÉGIE POUR OBTENIR L’APPUI DES PAYS DE L’EST, LES VÉTÉRINAIRES JOUENT UN RÔLE CENTRAL.

Entre 50 000 et 100 000 chiots entreraient en France chaque année grâce à des documents falsifiés. Ces trafics se font au sein même de l’Union européenne. En juillet dernier, une centaine de chiots déshydratés et affamés ont été découverts par la douane volante de Mulhouse dans une camionnette slovaque. Quelques mois plus tôt, en février, 71 chiots (des bichons, des bulldogs ou encore des spitz) ont été saisis par les brigades de recherche de Sarreguemines et de Metz. Dans cette affaire, sept personnes ont été interpellées. En général, ces chiots sont achetés entre 150 et 300 euros dans des pays d’Europe de l’Est et revendus entre 1 000 et 1 500 euros au minimum dans l’Hexagone. Un trafic très lucratif qui fait face à une réglementation européenne très éclatée en la matière. Face à l’urgence, la France engage un bras de fer pour faire bouger les lignes, face à des pays de l’Est encore peu impliqués dans la lutte contre les ventes illicites de chiots et de chats.

Un commerce des plus profitables

Les chiots en provenance de l’Union européenne doivent être âgés de plus de 3 mois et 21 jours, être identifiés par puce électronique et disposer d’un vaccin antirabique à jour. L’animal doit avoir un passeport européen fourni et rempli par un vétérinaire d’un État membre s’il vient d’un pays de l’UE ou de Suisse. Les chiots en provenance d’États tiers doivent être identifiés par puce électronique et également disposer d’un vaccin antirabique à jour. Le chiot doit également être muni d’un certificat sanitaire délivré par l’État tiers, mais celui-ci est régulièrement falsifié, ce qui facilite le trafic de chiots. Selon le rapport1 d’information, déposé en septembre dernier par la Commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale, sur la protection du bien-être animal au sein de l’Union européenne, les pays les plus exportateurs de chiens sont entre autres la Hongrie, la Slovaquie, la Bulgarie, la Russie et l’Ukraine. Dans ces pays, la plupart des chiots sont issus d’élevages commerciaux à grande échelle, également appelés « usines à chiots ». Ces trafics peuvent avoir des conséquences sanitaires graves et les chiots importés illégalement sont en général sevrés trop jeunes alors qu’ils sont en pleine phase de « socialisation ». « Si le sevrage a lieu trop tôt, cela a pour conséquence de créer des troubles comportementaux chez l’animal une fois l’âge adulte atteint, tels que la peur ou l’agressivité. Cela crée une augmentation du nombre de chiens abandonnés chaque année par leurs propriétaires (environ 100 000) », indique le rapport. « Le trafic illégal d’animaux, domestiques ou sauvages, est un des plus profitables d’Europe après ceux des narcotiques et des armes. Les Pays-Bas sont le pays de transit le plus important, où les chiens venant de l’est de l’Europe sont placés sur le marché Nord-Ouest. La Roumanie joue le même rôle pour le Sud de l’Europe. Les pays sources les plus importants sont la Hongrie, la Lituanie, la République tchèque, la Pologne, la Slovaquie, la Serbie et la Roumanie », explique Iwona Mertin, responsable du programme des animaux de compagnie chez Eurogroup for Animals.

Des intérêts divergents entre les pays

« C’est un trafic très important, lucratif, et les peines encourues sont très faibles. Nous ne parvenons pas à l’endiguer car il y a un manque de collaboration entre les États membres. C’est une source financière importante pour des pays de l’Est », dénonce Typhanie Degois, députée de Savoie et rapporteure pour la Commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale. Elle parle aussi d’un dumping économique. « Il y a des éleveurs en France qui font très bien leur travail, de manière éthique et responsable. Or en Europe de l’Est, des chiots sont achetés entre 150 euros et 300 euros et sont vendus en France entre 1 000 et 1 500 euros. Par rapport à nos animaleries qui travaillent de façon consciencieuse, c’est une rupture d’égalité. » De son côté, Eurogroup for Animals pointe aussi une concurrence déloyale. « Les éleveurs illégaux ne payent pas de taxes sur leurs activités. Les États membres perdent ainsi des revenus pour cause de manque contrôle des élevages. Par exemple HM Revenues and Customs (rattaché à l’administration centrale au Royaume-Uni, ndlr) ont récupéré 5 393 035 £ (près de 6 millions d’euros, ndlr) en taxes non payées dans 257 cas distincts, ce qui équivaut aux salaires annuels de plus de 200 professeurs nouvellement diplômés. La demande de chiots et chatons a largement augmenté durant la crise de la Covid-19, avec des prix jusqu’à quatre fois supérieurs. » De son côté, Jacques Guérin, président du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (CNOV), dénonce la complicité de professionnels véreux. « Je vise des comportements de certains professionnels frontaliers, notamment en Belgique ou en Europe de l’Est. Des confrères qui en fonction du pays de destination de l’animal se fournissent en inserts électroniques et identifient ces animaux avec la puce du pays d’accueil avant leur export. »

Une législation européenne éclatée

Pour Typhanie Degois, la réglementation française ne suffit pas à endiguer les trafics dans l’Hexagone. Il s’agit d’un sujet dont les autorités européennes doivent se saisir. Pourtant, l’Union européenne dispose d’une législation en la matière. Ainsi le règlement n° 1/2005 sur le transport d’animaux vivants prévoit certaines dispositions qui s’appliquent aux animaux de compagnie, notamment en termes de contrôles. Il y a également la directive n° 92/65 sur les conditions d’importation de chiens et chats en provenance d’éleveurs enregistrés ou encore le règlement n° 998/2003 qui concerne certains contrôles à l’entrée de l’Union européenne. « L’arsenal juridique européen est une bonne base pour lutter contre ces trafics. Il pourrait néanmoins être complété de traçabilité des animaux, de législation rage et de bien-être animal. La création d’une base d’identification et d’enregistrement européenne améliorerait le dispositif. Il serait nécessaire de renforcer la coopération entre États membres », relève un inspecteur de la Brigade nationale d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires (BNEVP).

Des collaborations insuffisantes

Sur le terrain, des dispositifs existent pour lutter contre ces trafics. En France, les inspecteurs de la BNVEP reçoivent des signalements provenant d’associations de protection des animaux, d’inspecteurs en services déconcentrés, de vétérinaires ayant constaté des irrégularités dans l’identification ou le statut vaccinal d’un animal présenté en consultation, ou encore de leurs homologues européens. « Le réseau Food Fraud permet aux États membres depuis décembre 2019 d’échanger des informations relatives à ces trafics de carnivores via une plateforme d’échanges sécurisée et gérée par la Commission européenne. Les États membres destinataires d’un signalement sont tenus de collaborer et d’instruire les dossiers. La collaboration avec les États membres frontaliers comme la Belgique s’avère très efficace, elle mérite d’être renforcée avec d’autres pays. On note toutefois depuis l’élargissement du règlement 2017/625 sur les contrôles o ciels aux trafics de carnivores une plus forte implication dans l’ensemble des pays », indique un inspecteur vétérinaire de la BNEVP. Mais cette collaboration s’avère encore insuffisante. « Malheureusement, la législation en matière d’élevage et de commercialisation des animaux n’est pas toujours très avancée dans certains pays, [où] il n’y a pas de service d’enquêtes dédié comme la BNEVP », témoigne encore l’agent de la brigade avant d’ajouter qu’il est important d’harmoniser les règles au niveau européen, notamment en matière d’élevage et de commerce. « Les infractions qui peuvent être révélées concernent en réalité les conditions d’élevage, de commercialisation et de mouvements d’animaux non conformes à la réglementation. »

Des initiatives pour maîtriser le phénomène

Il existe des initiatives au niveau européen pour faire évoluer la réglementation actuelle. Le Parlement européen a adopté en février 2020 à une large majorité une résolution2 contre les conséquences néfastes du trafic d’animaux de compagnie. Les eurodéputés souhaitent la mise en place d’un système harmonisé européen d’identification et d’enregistrement obligatoire des chats et des chiens (deux conditions pour permettre leur traçabilité et contrôle et le respect de la législation). Tous les animaux devraient être équipés d’une micropuce posée par un vétérinaire et enregistrés dans un fichier national d’identification des animaux. Ainsi que des sanctions plus sévères contre les vendeurs, les vétérinaires et les services publics qui fournissent de faux passeports pour animaux de compagnie. Une initiative saluée par des associations de défense des animaux comme Four Paws ou encore Eurogroup for Animals. Cette dernière organisation appelle d’ailleurs la Commission européenne à inclure dans la législation les recommandations de la plateforme européenne sur le bien-être animal et à proposer un acte délégué sur l’identification et l’enregistrement des chiens et chats en réponse aux multiples sollicitations du Parlement européen. Elle considère que l’identification et l’enregistrement dans des bases de données interconnectées doivent être rendus obligatoires pour améliorer la traçabilité des animaux à travers l’Europe et minimiser le trafic illégal d’animaux de compagnie. Au niveau national, le rapport d’information de l’Assemblée nationale sur la protection du bien-être animal au sein de l’UE recommande notamment de créer une « liste noire » des animaleries qui ne respectent pas les règles ainsi que des élevages clandestins. En parallèle, elle s’accompagnerait d’un fichier européen des éleveurs agréés. Il propose aussi de créer un système européen d’identification géographique (« code pays ») et d’enregistrement obligatoire des chiens et chats et d’encadrer strictement la qualité et la compétence des personnels autorisés à poser des puces d’identification. Typhanie Degois demande la mise en place de critères objectifs pour connaître l’âge de l’animal. Elle interpelle également les instances européennes sur la nécessité de former les douaniers pour lutter efficacement contre ce phénomène. Ces derniers, parfois en sous-effectif, ne parviennent pas toujours à déceler le vrai du faux lorsque des documents leur sont présentés.

1. www.bit.ly/3a4VAnn

2. www.bit.ly/34

Le vétérinaire a un rôle de sensibilisation et d’information

TÉMOIGNAGE

IWONA MERTIN

Responsable du programme des animaux de compagnie chez Eurogroup for Animals

Les vétérinaires devraient informer et conseiller les propriétaires et futurs propriétaires d’animaux sur les meilleures pratiques d’élevage et l’impact sur la santé et le bien-être des animaux. Les problèmes de santé liés à l’élevage ne doivent pas être normalisés chez les propriétaires ni considérés comme des problèmes normaux de la race. Il est également crucial que les vétérinaires enregistrent toutes les conditions médicales de l’animal dans un registre. Enfin, ils ont également un rôle de sensibilisation de la société. Les associations de vétérinaires doivent travailler avec d’autres parties, telles que les universités ou les associations d’éleveurs, ainsi qu’entre elles, pour lutter contre le trafic illégal et promouvoir de meilleures pratiques.

INTERNET, LE LIEU DE TOUS LES TRAFICS

Si les animaux sont principalement acheminés par voie terrestre, la lutte contre ces trafics est rendue difficile avec le développement de la vente en ligne. Pour Eurogroup for Animals, ce vecteur a amené par son anonymat à l’explosion du trafic illégal. « Il est estimé que 90 % des annonces de ventes d’animaux de compagnie sur les plateformes de vente en ligne et les réseaux sociaux viennent d’éleveurs illégaux. Les consommateurs sont souvent victimes de publicité mensongère et ont peu de moyens de les signaler », indique Iwona Mertin, responsable du programme des animaux de compagnie chez Eurogroup for Animals. Les membres de cette organisation travaillent à s’assurer que la nouvelle législation sur les plateformes en ligne introduise une plus grande responsabilité des plateformes telles que eBay pour la vérification des annonces, afin d’augmenter la protection des animaux de compagnie et des consommateurs. En France, la responsabilité de plateformes comme Le Bon Coin est pointée du doigt. Il suffit de taper quelques mots dans un célèbre moteur de recherche pour trouver des annonces douteuses. Typhanie Degois, députée de Savoie et rapporteure de la Commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale, souhaite responsabiliser les plateformes de vente et de revente en ligne. « Il faut leur donner les moyens de pouvoir vérifier les informations qui leur sont communiquées par les vendeurs. Il y a des trous dans la raquette. » Elle appelle à renforcer leurs conditions préalables à la vente des animaux de compagnie, et modifier ainsi la responsabilité de l’hébergeur en termes de vérification des données.

LE VÉTÉRINAIRE, CE TIERS DE CONFIANCE

Les vétérinaires praticiens jouent un rôle majeur dans la lutte contre le trafic illégal des animaux de compagnie. « Il doit alerter les autorités dès lors qu’il est confronté à des irrégularités en matière d’identification ou de certification rage. Il est garant de l’identification, a un devoir de police sanitaire, par son mandat sanitaire, notamment pour la rage. De même, il doit réaliser des visites d’élevage en tant que vétérinaire sanitaire et rédiger un certificat vétérinaire avant cession d’un carnivore domestique », rappelle un inspecteur de la Brigade nationale d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires (BNEVP). Pour l’organisation Eurogroup for Animals, la profession vétérinaire a aussi une responsabilité d’information et de sensibilisation envers les propriétaires ou futurs propriétaires, ainsi que la capacité de limiter les risques dus au trafic illégal.

Les praticiens doivent être prudents sur les certificats vétérinaires

TÉMOIGNAGE

JACQUES GUÉRIN

Président du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (CNOV)

Nous condamnons fermement ces atteintes à la protection des animaux et à leur bien-être. Les vétérinaires ont une place importance pour lutter contre ces trafics, notamment lorsque ces animaux sont amenés en consultation pour des soins vétérinaires dont la vaccination. Nous les sensibilisons afin qu’ils soient prudents sur les certificats vétérinaires qu’ils délivrent et ne légalisent pas une importation qui ne serait pas conforme, car ces animaux seraient trop jeunes ou encore non vaccinés contre la rage. Aussi, le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires est systématiquement partie civile dans toutes les affaires pénales. Si des vétérinaires sont impliqués, il y a une composante disciplinaire. Mais ces dossiers que nous voyons devant les tribunaux sont longs à traiter. Il est nécessaire que l’ensemble des services de répression au niveau européen travaille en harmonie. Cela ne peut pas être à l’initiative d’un seul pays.

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