« UNE SEULE SANTÉ » : ASPECTS MÉDICAUX, VÉTÉRINAIRES ET ENVIRONNEMENTAUX - La Semaine Vétérinaire n° 1879 du 11/12/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1879 du 11/12/2020

COVID-19

ANALYSE

Auteur(s) : PIERRE DUFOUR

Ce 3 décembre s’est tenu un colloque en ligne rassemblant vétérinaires, médecins et biologistes, sous l’égide de l’Académie vétérinaire de France, de l’Académie nationale de médecine et avec la collaboration de la Société vétérinaire pratique de France. Il a en exergue la notion de One Health.

Le Covid-19, actualité sanitaire oblige, était le fil conducteur de ce colloque rassemblant les différentes médecines. Avec des rappels d’abord autour des coronavirus. Les Alphacoronavirus et Betacoronavirus proviendraient des chauves-souris tandis que les Gammacoronavirus et Deltacoronavirus des oiseaux. La première description d’un coronavirus a été réalisée en 1931 aux États-Unis chez la volaille (bronchite infectieuse des volailles), puis trente ans plus tard chez l’homme. « La médecine vétérinaire est en avance sur la connaissance de ces virus », explique notre confrère Jean-Luc Angot, président de l’Académie vétérinaire. « Nous n’avons pas été suffisamment sollicités malgré l’origine animale connue de la pandémie », ajoute notre confrère Moncef Bouzouaya, membre associé à l’Académie vétérinaire et professeur de pathologie aviaire à l’Ecole vétérinaire de Sidi Thabet (Tunisie). Les répercussions économiques de la bronchite infectieuse aviaire sont graves et son épidémiologie est très bien étudiée. « Du fait de son caractère saisonnier et du très fort pouvoir mutagène, une course est régulièrement engagée pour l’élaboration du vaccin », souligne-t-il.

Faune sauvage et modèles animaux

« Il est difficile de déterminer la source de l’infection de la Covid-19. Des études nous montrent 96 % de similarité génétique avec un virus présent chez la chauve-souris (il en existe 1 200 espèces), qui en est un réservoir naturel. Nos recherches se tournent vers la détection des virus capables de traverser la barrière inter-espèce » explique Zheng-Li Shi, chercheuse à l’institut de virologie de Wuhan et membre de l’Académie chinoise des sciences. « En prévention, il convient de créer des barrières entre les animaux sauvages et domestiques et entre les animaux domestiques et l’homme, et de développer des outils diagnostics précoces », indique-t-elle. « Les animaux sauvages sont une source d’infection, mais nous représentons également un risque pour eux », rappelle notre confrère Fabian Leendertz, membre associé étranger de l’Académie vétérinaire, chercheur à l’Institut Robert-Koch, en Allemagne.

Concernant les traitements « des études sur des modèles animaux sont en cours » d’après notre consœur Élodie Monchatre- Leroy, Anses Nancy, vice-présidente de la Société pratique vétérinaire.

Animaux de compagnie et d’élevages

Les chiens paraissent réceptifs au virus (cas à Hong Kong fin mars) mais non sensibles, sans transmission intra-espèce documentée. Un cas d’infection sur un chat (PCR positive), avec des signes digestifs et de la toux nécessitant une hospitalisation a été reporté, avec des propriétaires aux symptômes évocateurs duCovid-19. Les bovins semblent faiblement réceptifs, sans transmission naturelle, de même pour les porcins. Il n’y a pas de travaux réalisés sur les ovins et pas d’infection naturelle. Pour les volailles, il n’y a pas de tableau clinique lié au Covid-19, pas de réplication du virus, pas d’infection naturelle. Concernant les visons d’élevage abattus, des lésions pulmonaires ont été observées. « Ces résultats proviennent d’une synthèse bibliographique et de diff érents rapports, FAO, Anses, OIE », précise notre confrère Stephan Zientara, membre des académies de médecine et vétérinaire. « La question qui reste en suspens : à quand la prochaine émergence ? Ce sont des virus à gros potentiel évolutif, capables de passer la barrière d’espèce » souligne notre consœur Sophie Le Poder, professeur de virologie à l’École Nationale Vétérinaire d’Alfort.

Médecine humaine et gestion du Covid-19 en Chine

Le professeur Zhao Yan, chef des urgences et directeur de l’hôpital Zhongnan à Wuhan, partage son expérience : « En 2000 ans d’histoire, nous avons connu 352 épidémies majeures. » En Chine, 93 000 cas de Covid-19 sont officiellement confirmés. Le 20 janvier 2020 la Chine comptait 363 cas, début février 8 351 et 2 jours plus tard 14 892. « C’était une période très sombre pour nous, avec un déficit de matériel, sans moyen de prévention avec une progression rapide. Deux hôpitaux mobiles ont été déployés », décrit le professeur. Puis un hôpital est créé en 12 jours, avec l’aide de 3 200 médecins et infirmiers, 1 500 volon taires, venus de toute la Chine. Le 16 février, au sommet de l’épidémie, on compte 41 152 cas.

Le 11 juin, un deuxième épisode à Pékin a comme origine « des productions gelées étrangères dans un marché d’alimentation. Nous avons réagi plus rapidement : en une semaine 76 499 résidents ont été testés, 36 malades détectés. Le 14 juin, une étude épidémiologique a été réalisée sur 200 000 personnes. Nous avons réalisé 7,6 millions de tests grâce à une équipe de 9 000 personnes. L’épidémie à Wuhan a duré 118 jours ; à Pékin 38 jours ; et à Qingdao (3e épisode le 11 octobre) 4 jours. L’augmentation de la capacité de tests, le fait qu’ils soient gratuits et l’isolement ont été très efficaces, surtout concernant les cas asymptomatiques », explique Zhao Yan.

Une collaboration interacadémique pour « une seule santé »

Yves Buisson, membre de l’Académie nationale de médecine, a présenté la cellule Covid-19 qu’il préside, créée le 19 mars dernier. Elle a pour mission d’assurer une veille bibliographique, de se positionner vis-à-vis des recommandations des autorités sanitaires, d’explorer les questions soulevées aux interfaces médicales scientifiques, pharmaceutiques et vétérinaires. Ont été publiés 4 avis et 94 communiqués.

« Dans cet esprit d’une seule santé, un travail interacadémique a été réalisé (sciences, chirurgie, pharmacie, technologies, et vétérinaire). Avec l’Académie vétérinaire, le 30 mars dernier nous avons recommandé l’utilisation des laboratoires vétérinaires pour l’établissement de diagnostics, et travaillé sur les risques de santé publique liés au contact avec les animaux domestiques et au franchissement de la barrière d’espèces », précise Yves Buisson. « Ce virus nous a pris de court, ramené à l’essentiel et a mobilisé toutes les énergies », souligne Jean-François Mattei, président de l’Académie de médecine.

Enfin, notre confrère Jean-Luc Angot conclue ce colloque avec les mots de Pasteur : « Moi qui suis si peu médecin, si peu vétérinaire… Mais la science est une, c’est l’homme seulement qui en raison de la faiblesse de son intelligenc, y établit des catégories. »

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