« L’AVICULTURE DE LOISIR EST UN MAILLON À RISQUE » - La Semaine Vétérinaire n° 1878 du 04/12/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1878 du 04/12/2020

IAHP

PRATIQUE MIXTE

Auteur(s) : TANIT HALFON

Les travaux de recherche de la chaire de biosécurité aviaire de l’École nationale vétérinaire de Toulouse ont permis de progresser dans la connaissance des facteurs de risque de transmission de l’influenza aviaire hautement pathogène. Ils ont montré l’importance d’adapter la gestion du risque, en fonction de la situation d’élevage. Rencontre avec le responsable du département, Jean-Luc Guérin.

Pour l’hiver 2020-2021, l’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) fait son retour en France, avec un premier foyer confirmé le 16 novembre en Haute-Corse, et un deuxième le 19 novembre dans les Yvelines. Dans ce contexte, Jean-Luc Guérin, professeur en aviculture et médecine aviaire à l’École nationale vétérinaire de Toulouse et responsable scientifique de la chaire de biosécurité aviaire de l’école, fait le point sur l’avancée de ses recherches sur la maladie, dont les premiers résultats permettent d’éclairer les évènements sanitaires en cours.

Quel bilan pouvez-vous tirer de vos travaux de recherche ?

Dans le cadre général de nos recherches, notre objectif est de valoriser toutes les données relatives aux dernières épizooties d’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP). Parmi nos axes de travail, nous avons entrepris de faire un état des lieux des pratiques de biosécurité en élevage. Par bien des aspects, relatifs notamment à la gestion des sas, la gestion des flux, ou encore la présence de clôtures, elles se sont considérablement améliorées depuis l’épizootie de 2015-2016. Les arrêtés biosécurité, et les contrôles associés, y ont contribué, mais les professionnels se sont montrés très proactifs sur ces questions. Par la suite, nous avons cherché à déterminer les principaux facteurs impliqués dans l’observance de la biosécurité. Il en ressort trois grands profils de pratiques, largement fondés sur le profil sociopsychologique des éleveurs : il y a des éleveurs qui sont compétents en biosécurité et engagés dans ces actions ; ceux qui ont un niveau de connaissances plus faible et considèrent cela moins utiles ; et enfin des éleveurs sensibles au stress. Ce constat fait qu’il est nécessaire d’adapter son discours au profil de son interlocuteur, par exemple un éleveur sensible au stress doit faire l’objet d’un accompagnement positif. Cela vaut pour les techniciens d’élevage, pour les vétérinaires, et pour les services de l’État, dans le cadre de leurs missions de contrôle. C’est un projet qui est porté chez nous par Mattias Delpont dans le cadre de sa thèse d’université, avec l’encadrement de Mathilde Paul, épidémiologiste dans l’équipe, et de Jean-Pierre Vaillancourt (université de Montréal). Un autre axe de recherche a été d’analyser le rôle des mouvements de volailles dans la diffusion des virus influenza, en se basant sur les données de l’épizootie de 2016-2017. Nous avons notamment montré que dans les élevages de canards, les facteurs de risque majeurs s’avèrent être les failles dans les zonages des exploitations, et dans le transport des animaux. Au final, nous avons pu montrer qu’il est possible d’élaborer des cartes de risque d’extension de la maladie, permettant de visualiser les niveaux de connectivité entre élevages. Si ces liens entre les élevages s’inscrivent dans une dimension géographique, cet aspect n’est pas su sant pour appréhender le risque d’extension : il faut aussi tenir compte de l’appartenance de l’élevage à une organisation de production. Cette méthode, développée par Claire Guinat et Mathilde Paul dans l’équipe, pourra être utile pour le gestionnaire de risque puisqu’elle permet d’analyser plus finement le risque de dissémination du virus. On pourrait même imaginer avoir des cartes de mouvement des animaux, en temps réel, en utilisant les données GPS des transporteurs. Cela montre l’importance du partage des données d’élevage. Pour la filière foie gras, je pense que les professionnels sont prêts à envisager une surveillance en temps réel. Enfin, un axe de recherche sur les basses-cours, porté dans le cadre de la thèse d’université de Marie Souvestre, a montré qu’elles n’avaient pas fortement contribué à la dissémination du virus H5N8 lors de la dernière épizootie : le sur-risque existe uniquement si elles ont des liens directs avec des élevages commerciaux. Il faut bien retenir qu’il existe une grande diversité de profils d’éleveurs et de pratiques, y compris au sein d’une même famille professionnelle, associées à différents facteurs de risque. J’estime qu’il faut sortir de la posture simpliste qui définit des bonnes et des mauvaises pratiques de biosécurité. Il y a des profils de risque différents, à nous d’adapter les recommandations concernant la biosécurité mais aussi les axes de contrôle.

Quelles sont les grandes questions en suspens ?

Un enjeu majeur de la recherche sera de mieux étudier le lien entre les compartiments sauvage et domestique. D’autant plus que l’élevage avicole en plein air est en plein essor. Nous avons lancé une première étude sur l’interface entre élevages de canards et avifaune sauvage, en couplant des approches d’écologie des oiseaux et de microbiologie moléculaire. L’étude des dynamiques virales entre les oiseaux migrateurs et commensaux est aussi un axe important de recherche pour les années à venir. En effet, le risque que les migrateurs contaminent directement les élevages est faible. C’est la faune commensale qui sera contaminée, et qui, à son tour, pourra transmettre le virus. Cette question est portée dans l’équipe avec Guillaume Le Loc’h, maître de conférences en médecine zoologique et santé de la faune sauvage.

Que peut-on dire des premiers foyers détectés en France ? Une détection dans le compartiment domestique, non précédée de cas dans la faune sauvage, était-elle prévisible ?

L’enquête est encore en cours pour identifier l’origine de la contamination, mais la bonne nouvelle est que les secteurs géographiques concernés ne sont pas à haute densité de volailles, c’est plutôt rassurant. L’autre bonne nouvelle, c’est que le système d’alerte fonctionne. Ceci dit, je ne suis pas vraiment surpris, car nous avons montré que l’aviculture de loisir, avec ses multiples petits lots semi-professionnels associés à des flux d’animaux très nombreux, est un point faible vis-à-vis du risque IA. Cet épisode montre bien qu’il est essentiel d’impliquer l’ensemble des familles professionnelles pour la gestion du risque influenza aviaire.

La vaccination serait-elle pertinente ?

La vaccination de masse n’aurait pas de sens, en particulier d’un point de vue économique, excepté si la propagation du virus devenait incontrôlable. Dans ce cas, on pourrait se poser la question d’une vaccination d’urgence, en substitution de l’abattage préventif. À ce stade, nous faisons face à des introductions ponctuelles pour lesquelles la stratégie la plus pertinente reste de tester, tracer et abattre.

Dans ce contexte, que conseiller aux vétérinaires ?

Il faut prendre conscience que ce ne sont pas uniquement les vétérinaires exerçant en filières avicoles qui sont concernés. Tout vétérinaire qui s’occupe de volailles, notamment de l’aviculture de loisir, a un rôle à jouer. C’est un vrai enjeu professionnel, et un vrai enjeu de formation. Le projet de la chaire pour les prochaines années intégrera davantage la valence pédagogique, que ce soit pour la formation vétérinaire initiale ou continue, ou pour contribuer à la formation des éleveurs, professionnels ou non. À ce sujet, nous proposons depuis cette année une formation à l’école sur la poule de compagnie.

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