MARKETING DES SERVICES : LE MOYEN DE SE DISTINGUER - La Semaine Vétérinaire n° 1875 du 13/11/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1875 du 13/11/2020

DOSSIER

Auteur(s) : FREDERIC THUAL

DÉTERMINANT POUR SE DIFFÉRENCIER DANS UN UNIVERS VÉTÉRINAIRE DE PLUS EN PLUS CONCURRENTIEL, LE DÉPLOIEMENT D’UNE STRATÉGIE DE MARKETING DES SERVICES S’AVÈRE ENCORE MARGINAL. À L’IMAGE D’UNE PROFESSION OÙ 40 % DES STRUCTURES DEMEURENT ABSENTES DU WEB, POURTANT DEVENU INDISPENSABLE AUX YEUX DE LA CLIENTÈLE ET… DES FUTURES RECRUES.

Ce pourrait être un cas d’école. À Saint-Marcellin, en Isère, c’est l’inadéquation d’une politique tarifaire qui a conduit la clinique Artémis à se réorganiser et à développer des services. Une notion qui ne coule pas forcément de source. Émergeant, le marketing des services serait pratiqué par seulement 10 % de la profession vétérinaire. « Vous entendez quoi par marketing des services ? », répondent presque en chœur les professionnels que l’on interroge sur la question. « C’est d’abord un état d’esprit permanent. La démarche doit être pensée très en amont et très en aval de la clinique », esquisse Hélène Villarroya, fondatrice du cabinet de consultant en management et stratégie des cliniques vétérinaires Adévet. « Du back-office au front office », ajoute Annie Chanu, maître de conférences associé, spécialisée dans le marketing des services et la relation client à l’Institut d’administration des entreprises (IAE) de Lyon. Une prise de conscience, en somme, qui impose une transformation digitale des entreprises désireuses ou contraintes de se démarquer dans un environnement de plus en plus concurrentiel. « Le mot important n’est pas digital, mais transformation, complète Grégory Santaner, fondateur de VetoNetwork, spécialisé dans la transformation digitale des entreprises. Quand on sortait de l’école, il y a quarante ans, on pensait que le paysage serait pareil en sortant. Or, aujourd’hui, ça bouge vite, très vite. Il faut être prêt à changer sinon ça peut être compliqué. » Et qu’on le veuille ou non, la maîtrise ou la délégation organisée des outils digitaux (présence sur Internet et les réseaux sociaux), préalables à tout développement de services - accueil, prise de rendez-vous, vente en ligne, transmissions de documents, téléconsultation, suivi des interventions chirurgicales au domicile, etc. - s’avèrent indispensables. « Il ne s’agit pas d’avoir un site pour avoir un site, mais il faut être pragmatique : 44 % de la clientèle consultent les avis en ligne et 29 % recherchent la page Facebook. Chaque année, un vétérinaire perd en moyenne 25 % à 30 % de sa clientèle en raison d’un décès, d’un déménagement, etc. C’est autant de clients à reconquérir », constate-t-il.

Des interactions complexes à considérer

Inspiré du marketing opérationnel (produit, prix, promotion, distribution), le marketing des services, apparu dans les années 1980, a voulu répondre aux problématiques du secteur tertiaire. « Quand vous produisez un pot de yaourt, il est fabriqué dans une usine, distribué dans une grande surface, consommé à la maison… Tout cela n’interagit pas, alors qu’un service en clinique vétérinaire est produit, distribué et consommé en même temps, au même endroit, avec des personnels soignants, des assistants, le propriétaire et l’animal qui interagissent. Le marketing des services permet de prendre en compte cette complexité », rappelle Annie Chanu. Les marketeurs illustrent cette notion avec une fleur dont le cœur représente l’acte vétérinaire, et les pétales les services. À savoir : l’information, le conseil, la prise de commande, l’accueil, la sécurité, les exceptions, la facturation, le paiement… Des aspects largement détaillés par Christopher Lovelock, enseignant en marketing des services à l’université de Yale et auteur d’une quarantaine d’ouvrages.

Pourquoi est-ce si important ? « La clientèle est incapable d’évaluer l’expertise technique d’un vétérinaire alors son choix porte sur la mise en valeur de ce savoir-faire », explique Hélène Villaroya. Une image véhiculée par Internet et les réseaux sociaux. Selon une enquête réalisée par la société Vétonetwork, pour déterminer la manière de choisir une clinique, 56 % des répondants disaient se fier au site Internet. « Or, aujourd’hui, seules 58 % des structures vétérinaires en possèdent un. Pire, depuis trois ans, cette proportion stagne », soupire Grégory Santaner. Adieu les pages jaunes, aujourd’hui, l’information se doit d’être dispensée en ligne. « Et pourtant, un site web sur deux n’est pas géré avec Google My Business, qui permet d’interagir avec les clients. Et sans avis clients, l’activité est considérée comme suspecte. L’internaute s’en détourne, et c’est une perte de business », observe Nicolas Fevrier, cofondateur du groupement d’intérêt économique (GIE) Clubvet, qui accompagne plus de 700 cliniques. « Et je ne parle pas de l’aspect qualitatif », ajoute Grégory Santaner. Ainsi « chez les moins de 35 ans, un site inesthétique, non ergonomique et non mobile compatible est majoritairement discréditant ». « Si l’on veut que ça marche, en effet, il faut raisonner la création d’un service en se demandant, non pas ce que j’ai envie de faire, mais de quoi mon client pourrait avoir besoin », rappelle Grégory Santaner.

Des freins à lever

« Le service, c’est ce que le vétérinaire fait, ce qu’il vend, comme la consultation du chien, mais ce qui lui donne de la valeur, ce sont les pétales. Pour différencier les services entre eux, on s’attache à leur environnement. Mais attention, les pétales doivent servir le cœur de la fleur et non l’étouffer », précise Hélène Villarroya. « L’objectif n’est pas de travailler sur le cœur de métier, à savoir comment le véto fait son vaccin, mais d’intervenir sur le niveau d’informations donné au client en amont, le jour J, et après… Quel conseil est associé au vaccin ? Comment se fait la prise de rendez-vous ? Comment se déroule l’accueil ? Comment se fait la facturation ? etc. » Pour amorcer cette révolution, les cabinets conseils, les GIE ou les réseaux n’ont jamais été si nombreux pour accompagner la mise en œuvre de services. « La chose à ne pas faire, c’est de nommer une personne en charge du marketing des services. Pour que tout le monde se sente concerné, la responsabilité ne doit pas être portée par une seule personne », met en garde Hélène Villarroya. Plus que la réglementation ordinale, c’est le manque de temps qui est pointé du doigt pour justifier l’absence de services, et pour cause : « Lorsque vous lancez un service innovant, il y a toujours une part d’évangélisation, notamment en B to B », souligne Christophe Le Dref, cofondateur de Vétophonie, service de régulation proposé aux professionnels pour gérer leur secrétariat. « Lors du lancement, beaucoup de freins étaient à lever dans la profession. Il faut savoir communiquer pour que, petit à petit, les vétérinaires comprennent l’intérêt de ce que l’on propose et y voient une opportunité. Hier, ils percevaient Vétophonie comme une dépense, aujourd’hui comme un investissement. Comme un service que, eux, offrent à leur client. Ils s’achètent du confort et de la qualité de vie », estime l’entrepreneur.

Comprendre comment fonctionne la clientèle

« Le problème, c’est surtout que les vétos n’ont pas été formés à ce type d’exercice et ne prennent pas le temps de se poser les bonnes questions », remarque Annie Chanu. Pour pallier ces carences marketing et entrepreneuriales, l’IAE de Lyon a lancé en 2015 un dispositif de formation continue en quatre modules, dont l’un est entièrement consacré au marketing des services. Malgré des sessions organisées du jeudi au samedi pour être le moins perturbatrices possibles, celles-ci accueillent en moyenne un ou deux auditeurs par module. « C’est grandement insuffisant par rapport aux besoins de la profession », regrette Annie Chanu. D’où la décision récente de l’ouvrir aux cinquièmes années des écoles vétérinaires. « L’enjeu, c’est aussi de faire se rencontrer des praticiens et la nouvelle génération, plus à l’aise avec les nouvelles technologies », souligne Jérôme Rive, coïnitiateur de ce programme, unique en France.

Dans l’Ouest, au sein du groupe Cristal, c’est la société Polynys, en charge de l’animation des réseaux Symbiavet (canine), Pegas (équine) et Cristal (mixte et rurale), qui propose une palette de services, un catalogue de formations, des plans de développement commerciaux et des focus thématiques annuels déployés autour de l’alimentation, de l’obésité, des seniors, des antiparasitaires… Si aucune étude chiffrée n’est réalisée, l’impact de ces actions est mesuré par le nombre d’annonces de recrutement relayées par le réseau. « Ce n’est pas de la croissance artificielle dûe à des rachats, mais bien de la croissance interne, et nous sommes au-dessus des statistiques nationales », assure Damien Nicol, en charge de l’animation du réseau. Au sein du GIE VetFamily, un tiers des 500 structures adhérentes en France a opté pour une solution d’accompagnement de A à Z. « Il y a un intérêt de plus en plus vif pour ces questions, estime Xavier Rosso, directeur général de VetFamiy. Certains dirigeants de clinique ont envie de comprendre comment fonctionne leur clientèle et d’être soutenus pour faire évoluer leur stratégie. Dès qu’ils goûtent à ces services, ils s’aperçoivent que ça leur simplifie la vie. Ça leur permet de gagner du temps et de l’argent. Ils conçoivent alors qu’il existe des solutions plus efficaces pour développer leur clinique. La philosophie, c’est que les gens se sentent bien dans leur clinique. Ainsi, nous testons avec certaines d’entre elles des actions de développement durable, car c’est une notion importante aux yeux des nouvelles générations. »

Mais au final, retenons que l’important est de ne pas tout faire ou de le faire parce que les autres le font… « Avant d’utiliser un chatbot, un formulaire ou un LiveChat, il faut bien réfléchir. Le choix de l’un ou l’autre aura un impact sur l’image de l’entreprise. Mettre en œuvre des plans de santé mal préparés, avec une équipe démotivée ou non impliquée n’offrira aucune rentabilité », précise Hélène Villarroya. « Des services gadgets seront toujours nuisibles à la clinique qui doit rester le cœur du métier. »

« DES SERVICES POUR REPOSITIONNER LA CLINIQUE ARTÉMIS »

« Avec huit vétérinaires, huit ASV et un gros plateau technique, nos prix étaient en inadéquation avec l’activité. Alors, nous avons calqué notre politique tarifaire sur des structures équivalentes », indique Cyrille Hays-Narbonne, l’un des cinq associés de la clinique Artémis à Saint-Marcellin, dans l’Isère. Ce fut le point de départ d’une stratégie beaucoup plus ambitieuse. « Il ne s’agissait pas d’être une clinique de luxe, mais de dire OK, nous sommes plus chers mais voilà pourquoi. Ici, par exemple, nous sommes les derniers à assurer les gardes nous-mêmes parce que nous n’avons pas envie que nos clients fassent une demi-heure de route la nuit. Et nous appelons systématiquement le propriétaire de l’animal 24 ou 48 heures après une chirurgie », égrène l’associé de la clinique Artémis, où l’on ne parle plus de vaccins mais de bilans de santé annuels ou de consultations pédiatriques, forfaitisés. La flambée des prix sur les vaccins du chat, qui n’avait jusque-là pas été répercutée, a pu être atténuée par les bilans de santé. Ces évolutions ont-elles fait fuir les clients ? Au contraire, le chiffre d’affaires a augmenté de 10 %. La prochaine étape concernera la chirurgie où des initiatives comme la gestion de la douleur n’ont jamais été valorisées.

Un travail d’équipe

Comme à chaque fois, associés, collaborateurs libéraux et ASV auront la parole pour bâtir le projet. Ce fut le cas, en mars dernier, alors que le déclin de la rurale laissait entendre une fin prochaine. « Les collaborateurs libéraux sont montés aux créneaux et ont été entendus », raconte le vétérinaire. L’externalisation de l’activité et la réorganisation des plannings des huit vétérinaires ont permis de libérer 156 jours sur l’année. « Du temps que l’on a mis à profit pour régler les tâches administratives, habituellement reléguées le soir à la maison. » Le confort de travail a été grandement amélioré.

Grâce à l’acquisition de nouveaux matériels, d’astreintes menées en duo, d’une réorganisation planifiée et anticipée des visites - à l’exception des vêlages qui bénéficient d’un numéro d’urgence -, la rurale a retrouvé des couleurs. Les éleveurs qui ont, dès le début, été associés à la démarche acceptent ce nouveau mode de fonctionnement. « C’est un repositionnement de notre image », assume Cyrille Hays-Narbonne, conforté par ses deux derniers recrutements. « En une semaine, j’ai reçu six candidatures quand d’autres recherchent en vain pendant six mois », se félicite-t-il-il. « Pour cela, nous avons axé l’annonce sur le plaisir de travailler en équipe plus que sur le plateau technique. C’est une notion importante pour les nouvelles générations qui tiennent à l’équilibre vie privée-vie professionnelle », souligne le praticien d’une structure où aucun des huit vétérinaires ne travaille à temps plein.

Des services pour l’image en rurale

TÉMOIGNAGE

DAVID LAFAY

Président du conseil d’administration du GIE Boischaut Sud

Nous avons déployé une quarantaine de services autour de l’ostéopathie bovine, de la dentisterie, de la cardiologie canine, des audits sur la stérilité de taureaux et la mortalité de veaux, la préparation des génisses aux vêlages… Ici, entre Châteauroux, Bourges et Guéret, nous sommes dans une zone rurale où il faut parcourir 100 ou 200 km pour trouver un spécialiste, alors les professionnels d’une dizaine de cliniques ont choisi de mutualiser des services pour renforcer leur présence et créer le besoin. Ce n’est pas avec ça que l’on gagne des mille et des cents, mais, mis bout à bout, on génère de l’activité, et surtout, cela contribue à notre image auprès de la clientèle, des labos, des fournisseurs et des jeunes, qui ont envie de nous rejoindre et de lancer un service. Ce fût le cas avec la cardiologie, que l’on est même obligé de freiner. Dernièrement, c’est une ASV qui a proposé de lancer une école d’adoption pour les chiots, qui vient d’être lancée en septembre.

L’empathie envers le client, d’abord

TÉMOIGNAGE

STEVE ROSENGARTEN

Président de VetOne

Notre objectif n’est pas de pousser la mise en place de services, mais de favoriser l’empathie client et la compréhension du parcours de soins. Les ASV, par exemple, sont formés à se mettre à la place du client, en leur apportant une solution médicale. Des initiatives peuvent naître, comme celle de cette ASV qui a adressé une carte de soutien à ce propriétaire dont l’animal venait d’être euthanasié. L’initiative a été relayée sur les réseaux sociaux par le réseau. Il ne s’agit pas, bien évidemment, de promouvoir l’euthanasie, mais de partager l’illustration d’un service qui vise la compréhension du client. Une démarche inspirante pour le collectif.

« Un service pour répondre à la demande des consultations à domicile »

TÉMOIGNAGE

CHRISTOPHE LE DREF

Cofondateur de Vetalia, Vétophonie et Dr Milou

Dr Milou, c’est le petit dernier. Après le service vétérinaire d’urgence Vetalia puis le service de secrétariat vétérinaire, Vétophonie, déployé dans près de 400 structures en France, nous avons constaté une vraie demande pour des consultations vétérinaires à domicile et ce besoin n’était pas bien adressé. Alors il y a deux ans, nous avons créé Dr Milou en région parisienne. Dès l’an prochain, nous allons dupliquer le modèle dans 30 villes françaises. C’est un service, accessible sur ordinateur ou mobile, qui permet d’être mis en relation avec un vétérinaire 7 jours sur 7, 24 heures sur 24 et de prendre rendez-vous pour une consultation à domicile, payable en ligne et ouvert aux professionnels qui veulent s’impliquer dans une démarche innovante.

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