LE BIEN-ÊTRE ANIMAL ET L’AVENIR DE L’ÉLEVAGE - La Semaine Vétérinaire n° 1874 du 06/11/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1874 du 06/11/2020

COLLOQUE

PRATIQUE MIXTE

Auteur(s) : ANNE-CLAIRE GAGNON*, CLOTHILDE BARDE**

La Fondation droit animal, éthique et sciences (LFDA) a réuni le 22 octobre plusieurs associations, experts et acteurs de l’élevage, en présence du ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, Julien Denormandie, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, pour des débats constructifs. Une véritable première.

Améliorer l’information des consommateurs par un étiquetage adapté des aliments d’origine animale est l’un des outils en faveur du bien-être animal (BEA) qui devrait être développé, a indiqué Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, à l’occasion du colloque sur le BEA en élevage organisé par la Fondation droit animal, éthique et sciences (LFDA)1 le 22 octobre dernier dans le grand amphitéâtre de la Sorbonne.

Une demande sociétale pressante

Comme l’a rappelé Louis Schweitzer, président de la LFDA, « la demande sociétale est très forte ; elle doit être comprise et entendue par le secteur de l’élevage. Agir pour le BEA n’est pas agir contre l’élevage. » Or, selon Elsa Delanoue, agronome, seule la médiatisation de la controverse actuelle sur l’élevage est récente, les débats existant depuis déjà longtemps. Ainsi, la crise de l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) en 2000 a créé une rupture de confiance profonde du consommateur, réactivée à chaque nouvelle crise. Le citoyen a une vision de l’élevage traditionnel, avec des animaux en plein air, en liberté. Les pratiques douloureuses (écornage, castration) lui sont insupportables en raison de la souffrance induite. D’ailleurs, « le vétérinaire mixte, véritable médiateur entre les citadins et les éleveurs, place désormais aussi l’animal et son bien-être au cœur des préoccupations de santé grâce aux nouvelles données des neurosciences sur le sujet », a souligné notre confrère Michel Baussier. Comme indiqué par Alain Boissy – chercheur en éthologie à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et de l’environnement (INRAE) et directeur du Centre national de référence pour le bien-être animal –, les recherches actuelles veulent désormais comprendre la nature des consciences animales, par une approche interdisciplinaire, éthologique, neurocognitive et philosophique.

BEA : un bien public global

Toutefois, même si dans les pays développés, la stagnation de la consommation carnée va de pair avec les préoccupations du consommateur en matière de BEA, reste à savoir si le consommateur sera cohérent avec ses attentes et prêt à payer le surcoût du BEA ou, s’il faut, comme Julien Denormandie l’a obtenu lors des négociations de la politique agricole commune (PAC) 2021-20272, que le BEA soit un critère pour obtenir des subsides délivrés par Bruxelles. Pour Séverine Fontaine, directrice qualité des filières animales de Carrefour, il s’agit d’une attente partagée des consommateurs et des actionnaires, avec au moins deux actions prioritaires fortes : l’arrêt des cages pour les poules pondeuses et un étiquetage pour les volailles mentionnant l’origine des produits et leur parcours. « La transition est possible, en travaillant tous ensemble, comme la démarche de Carrefour avec les éleveurs et les ONG, pour offrir une meilleure qualité de produits », a-t-elle indiqué.

BEA, un continuum vital

Outre l’étiquetage, comme l’a souligné notre confrère Jean-Pierre Kieffer, président de l’Oeuvre d’Assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA), appuyé par Michel Baussier (avis du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires), il convient de « laisser la science prendre la place devant l’obscurantisme » en imposant l’étourdissement systématique avant l’égorgement. De plus, au sein des élevages, les éleveurs sont déjà engagés dans le BEA, a indiqué Christiane Lambert, de la Fédération vationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). Ainsi, les instituts techniques ont déjà rédigé des fiches sur le BEA par espèce, avec des indicateurs qui permettent à chaque éleveur de réaliser des autocontrôles, avant d’être contrôlés indépendamment. À l’horizon 2022, tous les élevages de vaches allaitantes devraient ainsi avoir mis en place le diagnostic BEA. Cependant, les investissements sont lourds pour les éleveurs et, avec la concurrence déloyale des viandes importées – 70 % des poulets mangés dans les cantines et dans l’armée française viennent de l’importation –, il est, selon la FNSEA, nécessaire de privilégier la consommation française. À cet égard, la fédération est d’ailleurs en pleine discussion avec les ministères de la Santé et de l’Agriculture pour la mise en place d’un système de « couponing », comme aux États-Unis.

Pédagogie du soft law

D’un point de vue réglementaire, selon Muriel Falaise, juriste, une grande loi BEA serait la bienvenue lors de la présidence européenne par la France. Mais les lois et règlements ne font pas tout. Prenant deux exemples très parlants, notre confrère Loïc Dombreval a montré comment la vidéosurveillance dans les abattoirs, rejetée par les parlementaires, a été mise en place à titre expérimental dans six abattoirs de façon volontaire. De la même façon, alors que la réglementation pour abolir le broyage des poussins a été refusée, le message est passé, conduisant Didier Guillaume, l’ancien ministre de l’Agriculture, à annoncer en janvier dernier la fin du broyage, sous la pression et mobilisation des consommateurs et des producteurs. Là où une loi arrive trop tôt, la transition avec des essais sur le terrain est beaucoup plus pédagogique, et infiniment supérieure à des lois jamais mises en application, selon ces intervenants.

Des questions toujours en suspens

Ce colloque a donc été l’occasion de recueillir les attentes d’un ensemble d’acteurs qui, comme l’a indiqué Christiane Lambert, ont débattu de façon constructive et apaisée. Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, a d’ailleurs dénoncé les paradoxes des consommateurs français, voulant plus de liberté pour les animaux d’élevage, mais pas aux portes de leur maison, de la qualité mais sans en payer le prix. Un des enjeux de l’élevage est donc de gagner en souveraineté, selon lui. « C’est un débat entre ruraux et néoruraux qui se joue actuellement, et les questions sur l’élevage et les abattoirs sont le visage de cette opposition », a-t-il conclu.

1. www.bit.ly/35Yga58

2. www.bit.ly/2JpQbvC

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