HOLTERS GLYCÉMIQUES : DES OUTILS D’AVENIR POUR LA PRISE EN CHARGE DU DIABÈTE SUCRÉ - La Semaine Vétérinaire n° 1874 du 06/11/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1874 du 06/11/2020

ENDOCRINOLOGIE

PRATIQUE CANINE FÉLINE NAC

Auteur(s) : TANIT HALFON

Démocratisés en médecine humaine, les systèmes de mesure du glucose en continu trouvent aussi leur place dans le suivi du diabète sucré des carnivores domestiques. Parmi eux, le récent FreeStyle Libre est un outil dont les particularités pourraient favoriser l’adoption de ces systèmes en pratique quotidienne.

En médecine humaine, la prise en charge du diabète a fortement progressé avec le développement de dispositifs de mesure en continu du glucose (MCG). Les premiers systèmes ont été commercialisés par l’entreprise Medtronic à la fin des années 1990. En France, ce n’est que quelques années et dispositifs plus tard, en 2007, que la Haute Autorité de santé émet un avis favorable à l’utilisation des holters glycémiques pour les patients diabétiques sous insuline, en complément de l’autosurveillance via les glycémies capillaires. Ces outils accroissent la qualité de vie des patients et le contrôle de leur maladie. Ces progrès n’ont pas échappé à la médecine vétérinaire, et plusieurs études pour valider l’usage de ces systèmes de mesure ont été réalisées au début des années 20001. Comment fonctionnent-ils ? Ils se basent sur la mesure de la glycémie sous-cutanée. « Il existe une relation de proportionnalité entre les concentrations de glucose interstitiel et de glucose sanguin. Bien que ce lien ne soit pas encore finement évalué chez les carnivores domestiques, on estime qu’il y a un décalage2 de 15 à 20 minutes entre les deux », explique Dan Rosenberg, responsable du service de médecine interne de Micen Vet (Créteil). Cette particularité est à prendre en compte, notamment lors de variations rapides de la glycémie. D’une façon plus générale, la précision analytique de ces dispositifs est imparfaite et le clinicien doit être conscient de ces imperfections.

Une électrode couplée à une enzyme

La mesure de la glycémie interstitielle est permise par une enzyme, la glucose oxydase, qui va générer un courant électrique lorsqu’elle rencontre une molécule de glucose, l’intensité du courant étant proportionnelle à la quantité de glucose. Cette enzyme se trouve au niveau d’une micro-électrode insérée par voie sous-cutanée : c’est la partie capteur du dispositif. Associé à un émetteur, ce capteur transmet de manière continue les données à un récepteur-moniteur qui les stocke.

« Les premiers systèmes étaient difficilement compatibles avec un usage courant en médecine vétérinaire, du fait d’une durée de vie limitée – 12 à 24 heures pour un capteur – et d’un prix totalement prohibitif. Ainsi, le premier implant de Medtronic coûtait 80 euros, auquel il fallait ajouter plusieurs milliers d’euros pour le reste du système. Néanmoins, c’est ce système qui a permis de valider l’usage du CGMS chez le chien, le chat et le cheval », note Dan Rosenberg. Actuellement, de nombreux autres dispositifs3 existent sur le marché, avec des durées de vie du capteur bien plus longues, mais ils n’ont pas été associés au même flux de publications vétérinaires. Parmi eux, un nouveau système se démarque, il s’agit du FreeStyle Libre d’Abbott.

Un nouveau système flash d’autosurveillance

« Le principe est qu’il faut “flasher” le capteur, pour récupérer les informations, en passant à sa proximité un boîtier spécifique ou son téléphone portable, avec l’application adaptée, souligne Dan Rosenberg. Ce scan permet de récupérer de manière rétroactive les 8 dernières heures de jeu de données. » Dans ce système, dit flash glucose monitoring (FGM), le capteur fait donc également office de transmetteur. Son principal avantage est une longue durée de vie du capteur : 14 jours (« lorsqu’il n’est pas décroché par l’animal bien évidemment ») contre un jour à une semaine maximum pour les autres. Le système est fermé, c’est-à-dire qu’il ne nécessite pas d’étalonnage (en renseignant des valeurs de glycémies capillaires) comme les autres dispositifs de MCG, « ce qui constitue à la fois un avantage de simplicité et un désavantage car il n’est pas possible de recalibrer un dispositif générant un biais de mesures ». Enfin et surtout, le dispositif est accessible financièrement. « L’implant coûte environ 40 € HT, le lecteur 80 €, mais si on utilise son portable, l’application est gratuite », détaille Dan Rosenberg. Attention toutefois : le capteur enregistre en continu et fonctionne uniquement sur des plages de 8 heures. Si on ne récupère pas les données, les anciennes seront donc progressivement écrasées par les nouvelles.

Des usages et des perspectives d’avenir

« Le système FreeStyle Libre a été validé4 chez le chien mais pas à ce jour chez le chat », précise Dan Rosenberg. Malgré cette vacuité bibliographique, il est couramment utilisé par nombre de cliniciens dans l’espèce féline, y compris par lui. « Même si sa précision analytique n’est pas garantie à l’heure actuelle et est sans doute inférieure à certains glucomètres, le FreeStyle Libre permet de répondre à plusieurs questions : l’effet de l’insuline est-il reproductible d’un jour à l’autre ? Lorsque l’animal n’est pas stabilisé cliniquement, les injections sont-elles réalisées correctement par le propriétaire ? Lors de l’initiation du traitement, la bonne insuline et la bonne fréquence d’administration ont-elles été choisies ? » Il complète : « Avec le FreeStyle Libre, je demande au propriétaire de scanner au réveil, avant de partir au travail, en rentrant et avant de se coucher. » Même s’il convient de rappeler que les mesures obtenues via les systèmes de MCG s’accompagnent d’une précision plus faible par rapport aux méthodes habituelles, en particulier pour les mesures extrêmes, le volume de données exploitables (sur plusieurs jours) complète l’arsenal de suivi des animaux diabétiques, en particulier lorsque la question de reproductibilité de l’action de l’insuline se pose. N’oublions pas non plus le confort d’utilisation avec la baisse du nombre de prélèvement sanguin, notamment en soins intensifs ou pour les animaux agressifs. « Attention toutefois à bien avertir les propriétaires d’un fréquent biais négatif pour les mesures basses de glycémie pouvant générer une angoisse inutile lors de constat d’une hypoglycémie en réalité non présente ou moins intense. J’invite généralement les propriétaires à disposer aussi d’un glucomètre pour vérifier la réalité de l’hypoglycémie. » Dans sa pratique, Dan Rosenberg pose plusieurs dispositifs par semaine, et constate une augmentation d’usage. « Depuis 2019, je reçois de temps en temps des animaux confiés par des confrères, ayant eux-mêmes posé le capteur. Et pour la première fois en 2020, je vois même des propriétaires d’animaux qui s’équipent tout seuls », témoigne-t-il. Ce début de démocratisation s’accompagne d’une mise en garde. « Si l’outil éloigne le praticien du patient ou de son détenteur, il peut devenir dangereux : son emploi ne peut être considéré qu’après un inventaire clinique minutieux et au service d’un questionnement clinique nourri par cet inventaire. » Et de rappeler que la glycémie capillaire à domicile reste encore la pierre angulaire du suivi du diabète sucré, surtout chez le chat.

1. www.bit.ly/37FCGlw : page 79, « Tableau récapitulatif des résultats des principales études du suivi en continu de la glycémie réalisées chez l’animal », 2010.

2. En humaine, ce décalage est réduit, et inférieur à 10 minutes.

3. www.bit.ly/3jypIbE : page 14-15/S6-S7, « Tableau 1, Caractéristiques des principaux dispositifs de MCG », 2017.

www.bit.ly/35vULjy

TECHNIQUE DE POSE

Poser un capteur nécessite de tondre au préalable la zone concernée. « Le capteur se colle à la peau et j’ai l’habitude de le recouvrir d’une bande cohésive, pour réduire le risque d’arrachage du système, indique Dan Rosenberg . La tolérance est globalement bonne. La pose se fait [à l’état] vigile, sauf pour certains animaux agressifs, qui nécessitent une anesthésie. » En se basant sur des données obtenues avec MCG, il pose le capteur au niveau du cou. La validation d’un lieu d’implantation préférentiel pour FreeStyle Libre reste à établir.

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