ONE HEALTH, UN CONCEPT À CONCRÉTISER - La Semaine Vétérinaire n° 1869 du 02/10/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1869 du 02/10/2020

DÉBAT

ANALYSE

Auteur(s) : MICHAELLA IGOHO-MORADEL

En ces temps de crise sanitaire, la collaboration et la solidarité entre les acteurs de la santé humaine, animale et environnementale paraissent encore plus essentielles. Pourtant, au plus fort de l’épidémie du Covid-19, la stratégie One Health peine encore à trouver sa place concrète sur le terrain. À l’approche du monde d’après, des acteurs de la santé globale dessinent les contours de l’avenir de ce concept encore peu exploité. L’heure n’est plus aux tâtonnements mais aux propositions et actions efficaces.

Lors d’une prochaine pandémie, ne pas avoir préalablement œuvré à l’organisation des connexions entre les trois santés sera une faute politique ! », prévient Loïc Dombreval (A 91), député des Alpes-Maritimes, président du groupe d’études sur la condition animale de l’Assemblée nationale, lors d’un colloque digital1 sur le thème One Health (une seule santé), organisé le 22 septembre et retransmis en ligne. Alors que l’Hexagone traverse une crise sanitaire et économique sans précédent, des voix rappellent l’urgence de concrétiser sur le terrain ce concept. Scientifiques, vétérinaires, médecins, poli tiques, industriels, éleveurs… des acteurs de la santé humaine, animale et environnementale apportent des pistes d’amélioration afin que le One Health de demain devienne une réalité.

Un concept à deux vitesses

Si le concept One Health semble actuellement créer le consensus, il n’en demeure pas moins qu’il reste un long chemin à parcourir afin de l’appliquer concrètement sur le terrain. Pourtant, la crise sanitaire a montré un engagement en ce sens. Prêts de matériels, inscription à la réserve sanitaire, mobilisation des laboratoires d’analyses vétérinaires ou encore des industriels du réactif vétérinaire, au plus fort de la crise, le secteur vétérinaire a manifesté la volonté de contribuer à l’effort national, parfois avec succès. Malgré cette parenthèse heureuse, aujourd’hui la profession garde un goût amer de cette expérience et dénonce2 un concept One Health à deux vitesses. Et pour cause, son élan de solidarité n’a que peu servi. « Il faut tirer les leçons de cette crise afin que les vétérinaires soient mieux considérés, de la profession à l’industrie », insiste Jean-Louis Hunault, président du Syndicat de l’industrie du médicament et réactif vétérinaires (SIMV). Un épisode qui renvoie à des souvenirs négatifs vécus sur le terrain comme les propos3 tenus par l’ex-ministre de la Santé Roselyne Bachelot sur la biologie médicale et la biologie vétérinaire. Ou encore la différence de traitement des vétérinaires et des médecins en ce qui concerne l’antibiorésistance. « Quand on parle aux vétérinaires, on leur met des objectifs contraints. Alors que les médecins sont récompensés », dénonce Jacques Guérin, président du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (CNOV). Pour lui, il est nécessaire de clarifier la gouvernance du One Health afin que la profession trouve sa place. « Ce concept est à chaque fois brandi comme une bouée de secours. À chaque fois qu’il y a une crise sanitaire, chacun s’y raccroche. » Il déplore aussi que le monde animal soit segmenté en plusieurs ministères qui travaillent en silo.

Une stratégie peu opérationnelle sur le terrain

Un constat partagé par Laurent Perrin, président du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL). « La communication entre médecins et vétérinaires n’existe pas sur le terrain. Les vétérinaires renvoient plus souvent vers les médecins que l’inverse. » Du côté des médecins, cette absence de collaboration est également constatée. « Je n’ai jamais eu aucun cours ni aucune ouverture sur la santé animale. Nous sommes focalisés sur le corps humain. D’ailleurs, je n’ai jamais entendu parler de ce concept. Personne ne le connaît autour de moi », reconnaît le Dr. Philippe Vermesch, stomatologue et président du Syndicat des médecins libéraux (SML), en ajoutant que cette crise sanitaire a ébranlé les médecins dans leurs certitudes. Si les intervenants s’accordent sur la nécessité de concrétiser l’approche One Health sur le terrain, Jacques Guérin souligne aussi que les compétences des uns et des autres doivent être reconnues. Pourtant, il y a des domaines dans lesquels ce concept est une réalité, les milieux académique et de recherche comme l’a souligné Jean-Louis Hunault. Par exemple, des actions sont menées par le SIMV pour faciliter les passerelles entre les deux médecines comme les rencontres de recherche en santé animale, organisées chaque année au sein du Biofit ou encore sa participation au réseau français de la santé animale. Mais pour les intervenants, il faut aller plus loin pour cristalliser ce concept. Les différents secteurs doivent travailler de façon décloisonnée. Alors comment sortir de l’impasse ? En explorant des pistes d’amélioration. Toujours dans le domaine de la recherche, Jean-Luc Angot, chef du corps des inspecteurs de la santé publique vétérinaire (ISPV) et président de l’Académie vétérinaire de France, note notamment comme axe d’évolution la nécessité de faciliter la recherche sur le franchissement de la barrière de l’espèce.

Décloisonner les disciplines

Pour Jacques Guérin et Laurent Perrin, il est nécessaire de généraliser au niveau national les actions qui existent déjà au niveau local. « Nous avons participé à quelques colloques avec la direction générale de l’alimentation (DGAL) mais ce genre d’initiatives restent en pointillé. Il faut une volonté politique ! », martèle le président du SNVEL. Pourtant pour Loïc Evain, directeur général adjoint et chef des services vétérinaires à la DGAL, « beaucoup a été fait en matière de One Health ». « Cette approche est suivie de longue date par la DGAL. La crise de la vache folle a rappelé la nécessité de gérer la sécurité de la chaîne alimentaire de l’amont vers l’aval. Nous avons une coopération interministérielle qui est effective. » Pour porter ce concept, d’autres pistes d’améliorations doivent être explorées. Pour Jean-Luc Angot, il est nécessaire de renforcer la communication, la formation des acteurs clés ainsi que la collaboration entre les différentes plateformes nationales d’épidémio-surveillance qui existent (la plateforme en santé animale, la plateforme en santé végétale). Loïc Evain a appelé à la création de hautes études en santé globale pour avoir des approches communes et complémentaires. Philippe Vermesch soumet, quant à lui, l’idée de la création d’un réseau sentinelle constitué de médecins et de vétérinaires pour surveiller l’émergence de nouvelles maladies. Côté réglementation, Marie-Anne Barthelemy (SIMV) souligne la nécessité de fournir aux industriels un environnement favorable à l’innovation afin de faire converger médicaments humains et médicaments vétérinaires. Pour Jean-Louis Hunault, il faut sensibiliser les régions à mettre en place des programmes de soutien à l’innovation majeure dans le domaine du One Health. Autre piste, la construction d’une cartographie des sites industriels en France. « Nous avons intérêt à nous préparer à une autre crise et il faut connaître nos atouts sur le territoire national et les mobiliser », exhorte le président du SIMV.

1. www.bit.ly/2Go7uLZ

2. La Semaine Vétérinaire n° 1849, du 10/04/2020.

3. La Semaine Vétérinaire n° 1369, du 28/08/2009. www.bit.ly/2EIP2xp

Le One Health, une réalité à l’international ?

Pour Franck Bert, vétérinaire de formation et spécialiste principal de l’élevage à la Banque mondiale, la réalité du concept One Health n’est plus à démontrer au sein des organisations internationales bien que des axes d’amélioration aient été identifiés, comme l’intégration de l’environnement ou encore de la faune sauvage. « Il y a des outils de coordination, notamment entre l’OIE, l’OMS et la FAO1, qui reposent sur un accord pour travailler de façon conjointe sur des maladies telles que la rage. » Elisabeth Erlacher-Vindel, chef du nouveau service antibiorésistance et produits vétérinaires de l’OIE, confirme cette collaboration tripartite. « Nous travaillons avec l’OMS depuis au moins 15 ans sur l’antibiorésistance et collaborons avec la FAO. Nous avons un secrétariat commun. Ce n’est pas toujours sans difficulté. »

Au niveau européen, si des travaux des institutions, notamment sur l’impact des médicaments vétérinaires sur l’environnement, montrent une prise de conscience, il est encore possible d’aller plus loin en décloisonnant entre autres les directions concernées de la Commission européenne comme l’a souligné Jean-Pierre Orand, directeur de l’Agence nationale du médicament vétérinaire. Pour aborder la santé de manière globale, Roxane Feller, présidente d’Animalhealth Europe, propose aussi la création d’un conseil européen One Health.

1. OIE, Organisation mondiale de la santé animale ; OMS, Organisation mondiale de la santé ; FAO, Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture.

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