SUS À L’ANTIBIORÉSISTANCE DES BACTÉRIES DANS L’ENVIRONNEMENT - La Semaine Vétérinaire n° 1868 du 25/09/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1868 du 25/09/2020

PRÉVENTION

PRATIQUE MIXTE

FORMATION

Auteur(s) : CLOTHILDE BARDE

CONFÉRENCIER

JEAN-YVES MADEC, unité antibiorésistance et virulence bactériennes, Anses laboratoire de Lyon. Article rédigé d’après la conférence organisée lors du congrès de la société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV) du 15 au 17 mai 2019.

Limiter l’impact sur l’environnement des traitements antibiotiques vétérinaires est un enjeu d’agro-écologie majeur et complexe. En effet, bien que l’Homme joue un rôle dans l’enrichissement de l’environnement en antibiotiques et en bactéries résistantes, l’antibiorésistance y est déjà naturellement présente, dans des proportions que nous sommes loin de connaître. Dans la nature, des antibiotiques sont produits par de multiples micro-organismes, tels que les bactéries et les champignons. Ils ont une activité antimicrobienne mais interviennent aussi souvent dans de nombreuses autres fonctions cellulaires. Or, des gènes dits « d’antibiorésistance » se retrouvent dans de nombreux sous-compartiments environnementaux. Cependant, en dépit de ce phénomène naturel, l’Homme peut déséquilibrer les écosystèmes naturels par l’usage massif des antibiotiques en médecine humaine et vétérinaire. La question est donc désormais de limiter ces impacts.

Réduire l’usage d’antibiotiques en médecine vétérinaire

L’une des façons les plus efficaces reste, selon Jean-Yves Madec, de limiter l’usage des antibiotiques en médecine vétérinaire, dont il est clairement démontré qu’il a un impact sur les flores commensales (notamment digestives) des animaux, et donc sur l’excrétion des bactéries résistantes dans le milieu extérieur. En effet, les antibiotiques ont tous, à des degrés divers, une élimination digestive même lors d’administration par voie injectable. Selon les estimations, entre 20 et 90 % des antibiotiques administrés aux animaux sont éliminés en l’état dans le tube digestif. Ces molécules entrent alors en contact avec une flore microbienne très abondante sur laquelle s’exerce une pression de sélection. Les bactéries résistantes sont ensuite excrétées par l’animal et se diffusent dans l’environnement. Plusieurs études ont d’ailleurs permis d’analyser les proportions de bactéries résistantes (et leur nature) en aval d’élevages, d’hôpitaux ou de stations d’épuration1. Elles ont révélé que ces sites, qui concentrent l’élimination de bactéries résistantes sélectionnées dans le tube digestif des hommes et des animaux, enrichissent l’environnement en antibiorésistance. La nature des bactéries et des gènes de résistance est alors souvent corrélée à la nature de leur source.

De nouveaux antibiotiques « plus verts »

Par conséquent, l’excrétion fécale de ces bactéries résistantes étant quasi-inévitable, des « antibiotiques verts »2 devraient être privilégiés, indique Jean-Yves Madec. Il s’agit de molécules plus hydrophiles, éliminées en priorité par voie urinaire, ce qui limite l’impact sur les communautés bactériennes de l’animal avant excrétion - l’urine étant stérile. Or, dans l’attente de ces médicaments, le conférencier recommande que le vétérinaire tienne compte des données pharmacocinétiques des différents antibiotiques possibles, pour choisir celui de moindre impact digestif dans le cadre de sa prescription d’antibiotiques.

Éviter d’amplifier l’antibiorésistance environnementale

Par ailleurs, il existe de multiples exemples de transferts naturels de gènes de résistances aux antibiotiques dans l’environnement. Ainsi, les gènes produisant les enzymes dites bêta-lactamases à spectre étendu (ou BLSE), qui confèrent la résistance aux céphalosporines de dernière génération sont présents et exprimés à très bas bruit dans le chromosome d’espèces bactériennes de l’environnement, du genre Kluyvera3. Or, même s’il a été clairement démontré que ces gènes ont, au cours du temps, été excisés de ce chromosome et transférés sur une structure génétique transférable (un plasmide), puis ont diffusé largement, notamment au sein des populations bactériennes de E. coli., les conditions de ces transferts naturels sont totalement inconnues aujourd’hui. Il est probable que l’usage des antibiotiques par l’Homme ait joué un rôle dans ce phénomène, mais il reste extrêmement difficile de le décrire de façon précise.

Influences de l’environnement

De plus, les données scientifiques manquent encore sur la pression de sélection exercée par les antibiotiques (ou leurs métabolites actifs) lorsqu’ils sont dans l’environnement. Il est connu que certains se dégradent très vite à la lumière ou à la chaleur (comme les bêta-lactamines) alors que d’autres sont très stables (comme les fluoroquinolones). Ces derniers semblent donc de nature à exercer un effet négatif durable sur les flores environnementales. Cependant, les antibiotiques, comme bon nombre d’autres molécules, sont massivement adsorbés aux particules solides du sol, conduisant certains experts à leur prédire un effet finalement minime une fois libérés dans l’environnement. Les situations diffèrent probablement également selon la nature du milieu extérieur considéré (eau, sol, etc.), montrant que le vocable d’environnement devient rapidement trop global lorsque la question se précise.

Une piste : la gestion raisonnée des effluents

À cet égard, outre la réduction de l’usage des antibiotiques, les vétérinaires peuvent aussi conseiller les éleveurs pour une meilleure gestion des effluents des élevages. Ainsi, diverses études portant sur des effluents d’élevage, épandus ou non, montrent la présence d’antibiotiques et de bactéries résistantes dans des proportions supérieures à des situations témoins. La température semble être un facteur clé de la dégradation des antibiotiques, même si d’autres facteurs ne sont pas à exclure : pH, oxygène, lumière, dégradation microbienne, etc. Le stockage et la montée en température des fumiers favorisent ainsi la dégradation des antibiotiques, et le compostage semble être une modalité très efficace de réduction des concentrations d’antibiotiques résiduelles4. De plus, les études portant sur l’impact de la méthanisation par digesteur sur la dégradation des antibiotiques semblent aussi montrer un effet important de réduction des concentrations de ces molécules.

Le vétérinaire pourra donc agir à plusieurs niveaux, à la fois dans le cadre des actes de soins quotidiens mais également dans une prise en compte globale de l’élevage et d’une discussion au cas par cas sur les modalités les plus appropriées de gestion des effluents, en prenant en considération les grandes lignes directrices présentées ci-dessus. Compte tenu de la diversité et de la complexité du compartiment environnemental, il ne s’agit pas en tout cas de déplacer la prise en charge de la problématique de l’antibiorésistance depuis la prescription vers la gestion des effluents. Il doit s’agir selon le conférencier d’un levier vertueux d’action, complémentaire à l’usage raisonné des antibiotiques en médecine vétérinaire.

1. Hocquet D., Muller A., Bertrand X., What happens in hospitals does not stay in hospitals : antibiotic-resistant bacteria in hospital wastewater systems, J Hosp Infect, 2016, 93(4):395-402.

2. Toutain P.-L., Ferran A.A., Bousquet-Melou A. et coll., Veterinary Medicine Needs New Green Antimicrobial Drugs, Front Microbiol., 2016, 7: 1196.

3. Poirel L., Kämpfer P. et Nordmann P., Chromosome-encoded Ambler class A beta-lactamase of Kluyvera georgiana, a probable progenitor of a subgroup of CTX-M extended-spectrum beta-lactamases, Antimicrob Agents Chemother, 2002, 46(12):4038-4040.

4. Sharma R., Larney F.J., Chen J. et coll., Selected antimicrobial resistance during composting of manure from cattle administered sub-therapeutic antimicrobials, J Environ Qual., 2009, 38(2):567-575.

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