COVID-19 : IMPACT ÉCONOMIQUE ET SOCIAL DANS LES CLINIQUES - La Semaine Vétérinaire n° 1868 du 25/09/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1868 du 25/09/2020

DOSSIER

Auteur(s) : CHANTAL BÉRAUD

LA PROFESSION VÉTÉRINAIRE N’A PAS ÉTÉ TROP IMPACTÉE ÉCONOMIQUEMENT PAR LA CRISE SANITAIRE. UNE EXCEPTION POURTANT, LES CLINIQUES EN CANINE. DURANT LE CONFINEMENT, ELLES ONT VU UNE BAISSE DE LEUR CHIFFRE D’AFFAIRES. ET COMPENSER CETTE PERTE LORS DU POST-CONFINEMENT N’A PAS ÉTÉ POSSIBLE POUR TOUT LE MONDE. QUANT À L’AVENIR, IL DEMEURE INCERTAIN. ANALYSES ET TÉMOIGNAGES DE PRATICIENS LIBÉRAUX.

Je ne sais pas s’il existe déjà des statistiques officielles sur le sujet, mais dans mon secteur géographique le bouche-à-oreille entre vétérinaires en canine semble indiquer que la situation économique n’est pas catastrophique pour la grande majorité des cliniques », témoigne une vétérinaire établie dans le sud de la France, qui souhaite rester anonyme. « Nos chiffres d’affaires en revanche sont loin d’avoir évolué de manière identique durant le confinement. Il y a eu, me semble-t-il, une majorité de confrères qui ont respecté comme moi les conseils donnés par l’Ordre de restreindre nos actes. Mais cela n’a malheureusement pas été suivi par tout le monde : en effet, il y a dans ma zone quelques praticiens libéraux qui se vantent publiquement d’avoir augmenté leur CA de 25 % durant la période du confinement strict ! Ils ont donc profité de la crise sanitaire pour piquer des clients à d’autres vétérinaires qui, eux, adoptaient une attitude citoyenne davantage responsable. Et comme ces consignes de restriction d’actes étaient à suivre « en notre âme et conscience », j’imagine qu’on ne pourra même pas engager de poursuites contre ces confrères indélicats. » « Oui, vraiment, conclut la vétérinaire, à bien y réfléchir, la situation actuelle me laisse un goût amer, car je ne suis pas de tout certaine de récupérer à terme tous mes clients qui sont partis chez ces confrères indélicats durant le confinement. La seule bonne nouvelle, si je peux ainsi m’exprimer, c’est que pour l’heure en tout cas notre profession est loin d’être la plus durement frappée, économiquement parlant. Maintenant, la grande question qui demeure, c’est de savoir si notre pays va avoir ou pas à traverser dans les mois à venir une grave crise économique, qui exercera ensuite forcément un impact négatif sur notre profession, par ricochet… ».

Plus de travail en post-confinement

« J’ai des amis dans la restauration, dans le domaine de la culture et, oui, pour eux, la situation est très compliquée. Comparativement parlant, notre profession est bien moins touchée », estime également de son côté Sabine Arbouille, vétérinaire en canine à Mont-de-Marsan, dans les Landes. Elle a en revanche constaté, en gardant un contact déjà précédemment bon avec des clientèles voisines, que dans sa région « tous les confrères ont globalement bien respecté les consignes de restriction d’actes durant la période du confinement. Dans notre structure de 3 associés plus une salariée, au pire de la crise, ne venait travailler à la clinique qu’un seul vétérinaire au lieu de trois, afin de respecter la distanciation physique dans la clinique, même si cela faisait de grosses journées… Avec moins de consultations effectuées, notre chiffre d’affaires durant un mois et demi a chuté d’environ 30 %, et nous n’avons donc pas pu toucher d’aide de l’État en compensation puisqu’il fallait atteindre une diminution de plus de 50 % ! Heureusement, nous avions un peu de trésorerie pour tenir… Ensuite, nous avons travaillé d’arrache-pied en faisant plus de volume et davantage d’heures durant les 6 premières semaines du post-confinement. En étant 3 associés, c’était possible de réagir ainsi, mais ce « rattrapage » n’a vraisemblablement pas pu être réalisé j’imagine par les praticiens qui travaillent en solo, et qui ne peuvent donc pas cumuler autant d’heures supplémentaires à eux seuls. » Enfin, actuellement, sa clinique est revenue à hauteur d’un CA « qui tourne à peu près à la normale ».

Pour quelle estimation nationale ?

Vétérinaire canin à Guerlesquin, dans la région de Brest, Thierry Chambon est un bon observateur de la situation d’ensemble, de par ses multiples fonctions : il est en effet vice-président de la Fédération vétérinaire européenne (FVE), fait partie du conseil d’administration du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL) et est également administrateur auprès de la Caisse autonome de retraites et de prévoyance des vétérinaires (CARPV) et désigné par l’U2P (Union des entreprises de proximité) au Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants. Il analyse ainsi la crise sanitaire déjà écoulée : « Durant le confinement, la situation a été à peu près identique pour les vétérinaires partout en Europe. En France, les praticiens qui travaillaient essentiellement avec des animaux de rente ont été relativement moins touchés que ceux qui exercent en canine. Sur la période stricte du confinement allant jusqu’au 11 mai, la baisse du chiffre d’affaires en canine est estimée à moins 30 %. Mais notre profession étant globalement bien organisée, une partie des professionnels a pu profiter du rebond d’activité qui s’est développé par la suite et a travaillé dur pour récupérer la perte du CA enregistrée lors de la période de confinement. Évidemment, tout le monde n’a pas pu cependant y parvenir… Je sais par exemple qu’environ une centaine de vétérinaires, plus en difficulté que les autres, ont sollicité une aide financière supplémentaire auprès de leur caisse de retraite, puisque la CARPV a augmenté à cet effet les sommes dédiées à son fonds d’action sociale. Il ne s’agit en fait pas d’une aide systématique, mais d’une aide ciblée. » Et de leur côté, des syndicats ont également mis en place des cellules d’écoute psychologique.

Les vétérinaires, des oubliés de la crise économique ?

Si la crise sanitaire n’a pas impacté trop fortement la situation économique de la plupart des cliniques, c’est selon Thierry Chambon, « parce que notre profession a pu bénéficier, comme les autres employeurs, des mesures de chômage technique, partiel ou total, accordées par l’État. Et j’ai moi-même, avec d’autres, travaillé au sein de l’U2P1 pour que les professions libérales ne soient pas les oubliées des aides gouvernementales ! Côté vétérinaires, la CARPV a par exemple accepté le report des cotisations allant d’avril à juin. Les vétérinaires font aussi partie de la liste des professions qui peuvent bénéficier d’une exonération de leurs cotisations sociales, s’ils ont une baisse de 80 % de leur chiffre d’affaires, ce qui a peut-être été le cas, j’imagine par exemple pour des vétérinaires dont les activités principales ne sont pas urgentes - ostéopathes, comportementalistes, etc. »

Par ailleurs, Thierry Chambon rappelle aux praticiens que l’UNAPL a publié dès juin le Guide pratique Covid-19, à télécharger gratuitement sur son site Internet2, pour que les chefs d’entreprise connaissent toutes les mesures à prendre vis-à-vis de leurs salariés, ainsi que les aides auxquelles ils étaient éligibles. Il ajoute que, sur le site de l’Urssaf, un logiciel est à disposition des praticiens, qui voudraient déclarer leurs revenus prévisionnels, afin d’adapter leurs cotisations à ces mêmes revenus prévisionnels. Sait-il si des vétérinaires ont également fait appel à la formule des prêts garantis par l’État ? « Je ne le sais pas. Mais, concernant le reste de l’économie, les banques ont a priori répondu présentes à cette demande, alors que les assurances ont elles été plutôt aux abonnés absents. »

L’ avenir, à envisager avec sérénité ?

« Heureusement, je n’ai pas l’impression que la crise ait trop fortement impacté négativement les confrères et consœurs de notre profession », estime pour sa part Émeric Lemarignier, vétérinaire président d’Argos Groupe, un réseau désormais implanté dans 7 métropoles, avec pour effectif 42 vétérinaires et une cinquantaine d’auxiliaires. Et le président de poursuivre : « J’envisage donc très sereinement le futur de notre réseau, organisé en grappes denses de cliniques de proximité. La crise a démontré qu’en étant proches et en travaillant ensemble au niveau d’une agglomération, nous pouvions mieux gérer les difficultés liées aux mesures de précautions sanitaires - arrêt de travail pour protéger les personnels à risque, quatorzaine préventive, etc. Nous n’avons pas ressenti de baisse d’activité, bien au contraire, seule l’expansion de notre réseau a été ralentie car je ne pouvais pas aller à la rencontre de mes consœurs et confrères. Cependant, notre manière de fonctionner à bien sûr été impactée au quotidien avec l’ensemble des mesures barrière à respecter… Un autre point marquant est l’essor rapide des outils digitaux que nous utilisons, afin de permettre la communication, l’échange et la convivialité malgré la distanciation sociale qui nous est imposée. »

L’avenir sera-t-il aussi serein que cela ? Difficile à dire tant qu’un vaccin n’est pas trouvé et face à une dette publique qui a tout de même très fortement augmenté. Jusqu’où et jusqu’à quand une partie du monde, pays soi-disant riches compris, peuvent-ils vivre à crédit ? Et quand ce virus sera « vaincu », ne risque-t-on pas d’en voir périodiquement émerger d’autres, tant que les gouvernements ne s’engageront pas dans une vision One Health globale, intégrant santé humaine, animale mais aussi, urgemment, environnementale ?

1. L’U2P, Union des entreprises de proximité, représente 2,8 millions de TPE-PME dans le secteur de l’artisanat, du commerce de proximité et des professions libérales, soit les 2/3 des entreprises françaises.

2. www.bit.ly/3iIvpEc

THIERRY CHAMBON

Vétérinaire canin à Brest mais aussi acteur et observateur européen durant la crise sanitaire

« En France, sur la période stricte du confinement allant jusqu’au 11 mai, la baisse du chiffre d’affaires en canine est estimée à environ moins 30 %. »

COMMENT VIVEZ-VOUS LA CRISE QUE NOUS TRAVERSONS ?

TÉMOIGNAGE

SAMY JULLIAND

Directeur de Lab To Field (Côte-d’Or)

La crise nous oblige à repenser l’offre de formation

Nous avons été contraints d’abandonner l’idée de tenir le congrès Lab to Field1, prévu pour novembre, et de le reporter d’un an, à novembre 2021, car il est construit en 2 journées : la première est consacrée à des conférences plénières, qui pourraient être réalisées à distance, mais l’ADN de la deuxième journée de congrès consiste en des échanges pratiques. En présentiel devaient par exemple être réalisées des démonstrations in vitro, ex vivo ou in vivo pour illustrer les étapes de sélection et développement d’un additif d’intérêt pour la santé digestive. En revanche, d’autres congrès peuvent à mon avis être maintenus, s’ils génèrent moins d’interactions en proposant principalement des interventions magistrales. La crise sanitaire nous oblige à nous réinventer, mais cela présente toutefois quelques limites.

1. Le congrès LTF, consacré aux additifs alimentaires et aux ingrédients fonctionnels (en alimentation équine), se tiendra à Dijon en novembre 2021.

TÉMOIGNAGE

YOLANDE DAVID

Vétérinaire mixte à Sens-de-Bretagne et à Antrain (Ille-et-Vilaine)

Je suis sortie épuisée du confinement !

Quand durant la période de confinement il a fallu assurer à la fois la gestion des cours des enfants à la maison et maintenir son temps de présence au cabinet, les journées étaient plus que chargées… Concernant l’exercice même de la profession, en rurale, comme on travaille à l’extérieur, ça n’a pas changé grand-chose. En revanche, en canine, cela a nécessité la mise en place de davantage d’organisation. D’ailleurs, je me suis aperçue que je ne m’accordais plus aucune pause dans ma journée ! Du coup, je peux vraiment dire que je suis sortie réellement épuisée du confinement.

TÉMOIGNAGE

SOPHIE LAURENT

Fondatrice et présidente, spécialisée en conseil, coaching et formation à CAP’VET (Gironde)

Il y a plus de charge mentale à assumer

Dans le club d’entreprises que je fréquente et où sont représentées diverses professions, de nombreux professionnels - vétérinaires compris - m’ont confié qu’ils sont arrivés épuisés à l’été ! C’est clair et on peut facilement l’expliquer… En effet, notre cerveau n’aime pas les incertitudes et tous les changements d’habitude demandent de l’énergie… Sont également créateurs de stress d’autres facteurs comme la peur de commettre des erreurs, de devoir faire face à la baisse de son chiffre d’affaires, etc. Le télétravail aussi est une nouvelle manière de collaborer qui doit être apprivoisée, par les salariés tout comme par les employeurs ! Certains patrons ont visiblement eu peur de ne plus contrôler suffisamment les choses, du coup certains ont eu tendance à faire enchaîner trop de visioconférences à leurs collaborateurs, sur un rythme du coup qui était épuisant ! Dans le monde des vétérinaires, je pense qu’il va être intéressant d’observer dans les mois à venir s’ils ont de nouvelles façons de travailler qui perdurent, et si oui lesquelles.

DAVANTAGE DE SOINS

Après le confinement, nous avons eu un rebond d’activité à la clinique. Je pense que c’est dû au fait que, durant la crise, les gens en isolation sociale forcée ont pu passer plus de temps à choyer tant leurs enfants que leurs animaux de compagnie, en se recentrant sur ce noyau affectif de proximité ! Du coup, certains propriétaires ont davantage réalisé que leur chat ou leur chien était un véritable membre de leur famille. À la clinique, après le 11 mai, nous avons donc reçu quelques nouveaux propriétaires, qu’on ne voyait pas auparavant, mais qui ont visiblement décidé de faire désormais davantage soigner leurs animaux.

GUILLAUME VICAIRE ET ÉMERIC LEMARIGNIER

Responsables associés du Groupe Argos

Ils continuent d’envisager avec sérénité l’avenir et même l’extension de leur réseau de cliniques en canine, malgré la crise sanitaire encore en cours.

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