EN FINIR AVEC LES GÉNÉRALITÉS SUR LA STÉRILISATION - La Semaine Vétérinaire n° 1867 du 18/09/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1867 du 18/09/2020

REPRODUCTION

PRATIQUE CANINE FÉLINE NAC

Auteur(s) : TANIT HALFON

À l’instar des autres disciplines cliniques, la reproduction des carnivores domestiques évolue dans le sens d’une médecine personnalisée.

Notre savoir en reproduction des carnivores domestiques est souvent davantage basé sur des savoirs empiriques non vérifi és, plutôt que des faits scientifiques. » Ce constat a été posé par Alain Fontbonne, enseignant-chercheur à l’école nationale vétérinaire d’Alfort et vétérinaire spécialiste en reproduction, dans un article1 publié en juillet dernier dans de Theriogenology. En cause : une recherche à la traîne. « La recherche en reproduction des carnivores domestiques s’est développée plus tardivement, du fait d’un manque de considération pour cette discipline. Elle était jugée comme une branche mineure de la reproduction au sens large des animaux, et des bovins en particulier, explique-t-il. De plus, les connaissances portent davantage sur les chiens que sur les chats, avec plus de 70 % des publications parues depuis les années 1980 qui les concernent. »

Pour étayer ses dires, les exemples sont nombreux (voir encadré), tel en premier lieu celui de la stérilisation chirurgicale qui serait bénéfique pour la santé. « C’est beaucoup plus complexe, ce qui est conforté par des nouvelles publications scientifiques, souligne-t-il. P ar exemple, les études montrent que les femelles Goldens Retrievers stérilisées après l’âge d’un an auraient 4 fois plus de risques de développer des hémangiosarcomes. » Pas de généralisation donc, mais une décision qui doit être prise au cas par cas, suivant la race, le sexe, le moment de l’intervention… « Loin de moi l’idée de remettre en cause la stérilisation, car cela permet un contrôle des populations et peut éviter l’installation de comportement gênant, notamment pour l’espèce féline. Mais je pense que la consultation de préstérilisation va gagner en importance. Cela rejoint d’ailleurs le concept de médecine préventive. »

« Garder un esprit critique »

Actuellement, le praticien peut déjà faire évoluer ses pratiques. « Pour la castration du chien, dans certains pays, c’est le cas par exemple en Allemagne, les vétérinaires proposent de poser d’abord l’implant d’agoniste de la GnRH car il est prédictif des changements de comportements et de pelage. La stérilisation chirurgicale ne vient que dans un second temps », explique-t-il. Une démarche qu’il applique au service de reproduction de l’école nationale vétérinaire d’Alfort (Enva). À ce stade, en pratique, il recommande d’être transparent avec les propriétaires et de rester humble face à des connaissances qui évoluent. « Si la stérilisation ne doit pas être érigée en dogme, il ne faudrait pas tomber dans l’excès inverse et ne plus stériliser certaines races comme les golden retrievers, qui seraient plus à risque de développer certaines tumeurs. À ce jour, les données ne sont pas su samment étayées pour pouvoir l’extrapoler. » Et si tout récemment l’université de Californie a publié deux nouvelles études montrant une nouvelle fois des risques associés à la stérilisation, y compris chez des chiens croisés (voir sous-papier), Alain Fontbonne indique que « cela ne fait que confirmer que la décision de stérilisation à tel ou tel âge, sur telle ou telle chienne, est quelque chose de complexe et qu’il y a une nécessité de poursuivre la recherche et l’acquisition des connaissances sur la stérilisation chirurgicale et ses effets. » À l’EnvA, s’il évoque le facteur race avec le propriétaire, il continue à pratiquer l’ovariectomie, du fait de données insuffisantes, en fin de croissance, soit juste avant les premières chaleurs le plus souvent (entre 6 mois - petites races - et 9 à 10 mois - grandes races), soit juste après, en cas de signes de vaginite. « Il faut que le vétérinaire garde son esprit critique, et se tienne informé. D’autant plus que les propriétaires ont désormais accès à tout un tas d’informations sur Internet. Le vétérinaire pourrait se voir reprocher de ne pas avoir alerté des risques rapportés dans la littérature. »

1. www.bit.ly/35qirqR

Fontbonne A., Small animal reproduction : Scientific facts versus dogmas or unverified beliefs, Theriogenology, 2020 ; 150 : 464-470.

CE QUE NOUS APPREND L’ARTICLE

Les « vérités » scientifiques sont plus complexes qu’il n’y paraît. Exemples choisis :

- Le postulat qui dit qu’une stérilisation précoce réduit significativement le risque de développer des tumeurs mammaires est basé sur une étude datant de 1969, n’ayant pas été reproduite depuis. De plus, il a été mis en évidence un risque de biais dans plusieurs autres études traitant de la question, et publiées dans des revues à comité de relecture.

Ceci dit, Alain Fontbonne reconnaît qu’au vu de son expérience, cela est plutôt vrai, même si ce n’est pas démontré scientifiquement.

- Des cas d’ovulation spontanée (ovulations sans saillie par un mâle) ont été observés chez des groupes de chattes élevées ensemble. En chatterie, les ovulations spontanées pourraient même dépasser le seuil des 87 % chez des groupes de femelles de race Domestic Shortair. Cela pourrait expliquer des cas de pyomètres chez des chattes qui vivent seules et qui n’ont pas reçu de progestatifs.

- Certaines pratiques ont été confirmées bien après leur utilisation sur le terrain. C’est le cas de la kératinisation des cellules du frottis préputial qui est réalisé chez les chiens suspectés de présenter un syndrome de féminisation paranéoplasique, et dont l’intérêt n’a été confirmé qu’en 2012.

- Peu de recherches ont été faites sur les maladies ovariennes et nos connaissances à ce sujet sont surtout basées sur des cas cliniques. Par conséquent, l’approche thérapeutique des kystes ovariens chez la chienne et chez la chatte est encore empirique.

- Des observations de terrain n’ont pas donné lieu à de travaux de recherches, comme la superfœtation chez la chatte (plusieurs fœtus de différents âges gestationnels) qui reste encore à explorer et à confirmer.

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