DIAGNOSTIC ET TRAITEMENT DE LA DÉMODÉCIE : LE CONSENSUS DE LA WAVD - La Semaine Vétérinaire n° 1867 du 18/09/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1867 du 18/09/2020

DERMATOLOGIE

PRATIQUE CANINE FÉLINE NAC

FORMATION

Auteur(s) : TANIT HALFON

AUTEURS

ADRIEN IDEE, résident en dermatologie à VetAgro Sup, MARION MOSCA, maître de conférences en dermatologie à VetAgro Sup, DIDIER PIN, professeur de dermatologie à VetAgro Sup.

La démodécie a fait l’objet d’un consensus1 récent de la World Association for Veterinary Dermatology (WAVD). Cette dermatose est due à la prolifération et à l’action pathogène d’acariens du genre Demodex. Ce sont des organismes commensaux de nombreux mammifères, qui vivent principalement dans le follicule pileux ou parfois dans la couche cornée. Ils sont acquis durant les premiers jours de vie, par contact avec la mère. Cette dermatose peut toucher des animaux en bonne santé (formes juvéniles du chien, démodécie à D. gatoi du chat, ou toutes formes de démodécie de l’adulte) et serait parfois liée à un désordre immunitaire ou une maladie sous-jacente. Chez le chien, trois Demodex sont décrits : D. canis, le plus fréquent, D. injai, et D. cornei. Chez le chat, sont observés D. cati, le plus fréquent, D. gatoi, et une troisième espèce sans nom.

Facteurs prédisposants

Une prédisposition raciale a été rapportée pour la démodécie juvénile canine (american staffordshire terriers, staffordshire bull terriers, sharpeï, bouledogues français, bulldogs anglais, chiens de type pit-bulls et sealyham terriers) et à D. injai (terriers), rappelle l’association. L’existence de races prédisposées suggère une origine génétique, mais les études génétiques se révèlent peu concluantes, laissant plutôt supposer une origine polygénique.

Pour les formes adultes du chien, des maladies chroniques (leishmaniose, hyperadrénocorticisme, néoplasie, babésiose, ehrlichiose) ou une immunodépression iatrogène (corticothérapies, chimiothérapies) sont des facteurs prédisposants dans un petit nombre de cas. Chez le chat, l’utilisation de corticoïdes, un diabète, un xanthome ou un carcinome épidermoïde in situ sont décrits comme facteurs prédisposants.

Pathogénie

La pathogénie de la démodécie canine reste obscure et pourrait varier selon l’espèce, la race et l’âge. Une aberration immunitaire temporaire pourrait permettre la multiplication des demodex. En particulier, des déficits en lymphocytes T CD4+ et en récepteurs Toll-like (TLR-2, TLR-4, TLR-6) sont rapportés. Les signes cliniques apparaissent après la prolifération des acariens et dépendent de leur degré de prolifération.

Symptômes

La différence entre formes localisée et généralisée était subjective et difficile à définir. Cette différence n’a plus lieu d’être, puisque le traitement acaricide est le même et les traitements associés dépendent de la profondeur des lésions.

Initialement, une alopécie, nummulaire, à croissance centrifuge, peu inflammatoire, avec érythème modéré, est observée, parfois associée à des papules, des comédons ou des squames. Ces lésions peuvent être focales ou multifocales et devenir coalescentes. Des manchons pilaires, une dilatation du follicule pileux, une hyperpigmentation de l’ostium folliculaire à l’origine d’une couleur gris ardoisé, peuvent être visibles. Il s’agit de lésions à forte valeur diagnostique. La pododémodécie se caractérise par une alopécie, une hyperpigmentation et un érythème interdigité, souvent associé à des pustules folliculaires, des furoncles, des ulcères et des croûtes. Elle est souvent douloureuse. Le prurit est généralement absent, excepté pour les formes à D. cornei ou compliquées d’infections bactériennes. Des pustules ou furoncles peuvent apparaître après ces proliférations, accompagnés de squames, de croûtes, de suintements et de fistules. Une atteinte sévère peut entraîner une adénopathie, un abattement, de la fièvre, voire une septicémie.

La démodécie à D. injai, décrite majoritairement chez les terriers et leurs croisements, se caractérise par une séborrhée marquée du dos, et, parfois, un érythème, une hyperpigmentation, une alopécie et des comédons.

Chez le chat, les lésions de la démodécie à D. cati sont similaires à celles de D. canis chez le chien. Une alopécie, de l’érythème, des squames et, parfois, des croûtes sont présents. Le prurit est variable. La démodécie à D. gatoi, quant à elle, est contagieuse, et son principal signe clinique est le prurit, qui peut être intense. Une dépilation et des excoriations apparaissent, secondairement, sur l’abdomen et le tronc principalement.

Diagnostic

Le diagnostic repose sur la réalisation de raclages cutanés profonds, jusqu’à la rosée sanguine. Il est réalisé à l’aide d’une lame de scalpel émoussée. La lame est trempée dans de l’huile minérale ou du lactophénol, juste avant le raclage. Des raclages de plusieurs zones lésionnelles tondues (papules, pustules, érythème ou alopécie), dans la direction de pousse du poil, en pressant la peau, doivent être réalisés. Un trichogramme ou un calque cutané, à l’aide d’un morceau de scotch, d’un pli de peau pressé entre le pouce et l’index, peuvent être réalisés dans les zones difficiles à racler. Le prélèvement est recueilli sur une lame et recouvert d’une lamelle. L’examen microscopique doit se faire à faible grossissement (objectif x4 ou x10), condensateur baissé, diaphragme fermé, en utilisant de l’huile minérale, de la paraffine ou du lactophénol. L’ensemble de la lame doit être parcouru de manière systématique. Un comptage des parasites permet un suivi de l’efficacité du traitement. L’examen cytologique de calques cutanés et de calques par apposition (pustules ou furoncles) permet d’évaluer les complications bactériennes.

Traitement

Certaines formes de démodécie, en particulier les démodécies des chiens jeunes à faible nombre de lésions, guérissent spontanément. Si la résolution n’est pas spontanée ou dans les autres cas, le traitement chez le chien repose sur l’administration d’isoxazolines, qui présentent de meilleurs profils d’innocuité et d’efficacité que les molécules précédemment recommandées (lactones macrocycliques, amitraze), estime la WAVD. Les isoxazolines commercialisées en France, à l’exception du lotilaner, ont une AMM pour cette indication chez le chien2. Le traitement des complications bactériennes par topiques antiseptiques (shampoings, lingettes, pommade antibiotique) est su sant pour les pyodémodécies à infection bactérienne de surface ou superficielle. L’utilisation d’antibiotiques systémiques doit être réservée aux pyodermites profondes diffuses sévères (et suivre les recommandations d’usage des antibiotiques par voie systémique). L’efficacité du traitement doit être évaluée mensuellement, cliniquement et par examen direct du produit des raclages cutanés des mêmes sites que lors du diagnostic. Le traitement doit être poursuivi a minima jusqu’à deux raclages négatifs à 1 mois d’intervalle.

L’exclusion des individus affectés de la reproduction a perdu sa raison d’être depuis l’apparition des isoxazolines. De plus, l’utilisation de fluralaner de manière préventive chez la chienne gestante réduit l’apparition de démodécies juvéniles chez ses chiots. Le pronostic de la démodécie canine est bon depuis l’arrivée des isoxazolines, et son incidence semble diminuer (prévention antiparasitaire à l’aide de ces molécules fréquente).

1. Mueller R. S., Rosenkrantz W., Bensignor E. et coll., Diagnosis and treatment of demodicosis in dogs and cats, Clinical consensus guidelines of the World Association for Veterinary Dermatology, Vet Dermatol., 2020, vol 31 (1).

2. Note des auteurs : Chez le chat, les essais cliniques des isoxazolines sont encourageants, et il semble raisonnable d’utiliser ces molécules malgré l’absence d’AMM pour les démodécies félines en France.

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