RÉSOLUTION DES CONFLITS : LES VOIES POUR TROUVER UN TERRAIN D’ENTENTE - La Semaine Vétérinaire n° 1866 du 11/09/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1866 du 11/09/2020

DOSSIER

Auteur(s) : MICHAELLA IGOHO-MORADEL

LA GESTION DE CONFLITS DES VÉTÉRINAIRES EST INSCRITE DANS LE CODE DÉONTOLOGIE. AVANT DE PASSER PAR LA CASE JUDICIAIRE OU DISCIPLINAIRE, LES PARTIES DOIVENT RECOURIR À LA VOIE AMIABLE AFIN D’ÉVITER D’ARRIVER AU DÉPÔT D’UNE PLAINTE. UNE FAÇON DE DÉSENGORGER LES CHAMBRES DE DISCIPLINE MAIS SURTOUT DE REVENIR À UN ESPRIT DE CONFRATERNITÉ.

Des divergences, des incompréhensions peuvent mener à des conflits et une rupture du dialogue entre confrères et/ou consœurs. Face à un différend, le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (CNOV) rappelle que le premier réflexe à avoir est de chercher sa résolution amiable. « Les vétérinaires sont tenus, avant toute action devant les juridictions disciplinaires, civiles ou administratives, de rechercher une solution consensuelle à leur litige. » Il s’agit d’une obligation déontologique énoncée par l’article R. 242-39 du code de déontologie : « Les vétérinaires se doivent mutuellement assistance, conseil et service. Si un désaccord professionnel survient entre des confrères, ceux-ci doivent d’abord chercher une conciliation. En cas d’échec de la conciliation, ils sollicitent une médiation ordinale auprès du président du conseil régional de l’Ordre. » Le recours à un mode de résolution amiable des différends est donc un préalable à la saisine du juge, au risque de voir toute demande rejetée. Écoute ordinale, conciliation, médiation ordinale, chambre arbitrale vétérinaire sont autant d’outils mis à la disposition des vétérinaires pour parvenir à une issue amiable sans entrer sur le terrain judiciaire. Mais face à toutes ces voies, il n’est pas toujours simple de s’y retrouver. Décryptage.

La résolution amiable plébiscitée

Le règlement amiable des conflits est plébiscité afin de désengorger les tribunaux. Tel est l’un des objectifs de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle. Ce texte impose le recours à la conciliation et la médiation avant d’opter pour la voie judiciaire. En effet, son article 4 exige une tentative de conciliation par un conciliateur de justice préalablement à la saisine du tribunal d’instance pour certains litiges. Le Gouvernement rappelle que cette loi présente un double intérêt : « Recentrer les juridictions sur leur cœur de compétence et restaurer le dialogue. Tout en assurant la sécurité juridique, l’objectif est de proposer aux justiciables comme aux juridictions une solution durable, rapide et à moindre coût. » Cette vision s’applique également à la profession vétérinaire. Le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires propose ainsi aux confrères tout un panel d’outils et de techniques pour régler leurs différends à l’amiable. Ce dossier traite uniquement des conflits entre vétérinaires.

La conciliation, régler le conflit par des échanges confraternels

En cas de conflits entre pairs, l’écoute ordinale est sans doute le premier service proposé. Les élus des conseils régionaux peuvent constituer une source d’apaisement pour des vétérinaires qui vivent une ou des situations conflictuelles. Cet outil peut s’avérer utile pour désamorcer un conflit avant qu’il ne s’envenime. Il y a aussi la conciliation vétérinaire entre confrères. La recherche de la conciliation est un devoir déontologique comme le martèle la Chambre nationale de discipline, qui rappelle que l’article R. 242-39 du code de déontologie « impose de tenter de résoudre à l’amiable le conflit entre confrères en cause ». Pour Corinne Bisbarre, chargée de la commission Action sociale du CNOV, son rôle est d’amener les vétérinaires à reprendre le dialogue, sans systématiquement avoir besoin de faire appel à l’Ordre. « C’est ce qui se faisait autrefois de façon informelle. C’est le fameux coup de téléphone, le fait de se réunir pour tenter de mettre les choses à plat entre personnes intelligentes et censées, avec des échanges cordiaux et confraternels pour essayer de régler le problème. » Toutefois, si le conflit est compliqué, un tiers conciliateur peut être recommandé. Les parties ont la possibilité d’en choisir sur une liste de conciliateurs tenue à jour par le CNOV. Il peut s’agir de vétérinaires, avocats, vétérinaires à la retraite, anciens juges ou plus largement des personnes formées à la conciliation. « Nous essayons de motiver les élus ordinaux à faire la promotion de cette liste pour que d’autres personnes que des vétérinaires s’incrivent. » Le conciliateur inscrit sur cette liste doit s’engager à appliquer la charte ordinale du conciliateur1. À l’issue de la conciliation, qu’elle connaisse ou non une issue favorable, un procès-verbal est établi.

La médiation ordinale ou résoudre le conflit sans perdant

En cas d’échec de la conciliation, le code de déontologie indique que les confrères doivent solliciter une médiation ordinale. Le rôle du médiateur, neutre, indépendant et impartial, consiste à « permettre la reprise du dialogue entre les parties » sans entrer dans le fond du conflit. Pour lancer ce processus, une demande formelle par lettre recommandée avec accusé de réception ou un mail, également avec avis de réception, qui contient notamment un exposé du conflit, doit être envoyés au président du conseil régional de l’Ordre. « Il vérifie que les vétérinaires ont bien tenté de se concilier et constate ou non l’échec du proces sus. Le cas échéant, il organise une médiation et nomme un ou plusieurs médiateurs », détaille Corinne Bisbarre. La médiation ordinale est prise en charge par l’Ordre jusqu’à concurrence d’un certain temps de travail d’élu. « La médiation est réussie à condition que les parties soient d’accord pour entrer dans le processus. Le médiateur est là pour faciliter la reprise du dialogue et ne suggère pas de solution, sinon ce n’est plus une médiation mais une conciliation. » Le médiateur informe le président de l’Ordre des suites de la plainte. Mais le contenu de la médiation reste confidentiel. En cas d’échec ou de réussite de la médiation, un procès-verbal est rédigé. Si le processus échoue, trois possibilités s’offrent aux parties. Le conflit peut se transformer en litige et aller vers une plainte disciplinaire, être instruit par la justice ou alors présenté devant la future chambre d’arbitrage vétérinaire.

La chambre arbitrale, la solution experte

Le CNOV définit l’arbitrage comme une procédure qui « a pour objet de trancher rapidement et en équité des litiges graves entre des vétérinaires inscrits au tableau de l’Ordre ». Selon Corinne Bisbarre, la création de la chambre d’arbitrage vétérinaire2 est une volonté ordinale et une réponse à une demande sociétale de sortir du tout judiciaire et d’aller vers la résolution alternative des conflits. L’accès à l’arbitrage peut se faire en amont d’un litige, par le biais d’une clause compromissoire, ou après sa survenance, grâce à un compromis d’arbitrage. La convention d’arbitrage prévoit que les parties s’en remettent au jugement de la chambre arbitrale et s’engagent à l’appliquer. Il est à noter que l’arbitrage est à la charge des personnes qui le demandent. Cette procédure présente plusieurs avantages : elle est souvent plus rapide que le processus judiciaire civil, le jugement est émis par des vétérinaires qui ont une connaissance du métier et « jugent en équité ». « La chambre d’arbitrage est en train d’être constituée et sera composée d’élus ordinaux vétérinaires formés à l’arbitrage. Ainsi, une fois mise en place, les vétérinaires auront à leur disposition tous les outils possibles pour régler leurs différends », indique la conseillère de l’Ordre.

1. www.bit.ly/3lP3RPs

Lire p. 13 à 16 de la revue de l’Ordre national des vétérinaires n°72 de novembre 2019.

TÉMOIGNAGE

ISABELLE CADILHAC

Praticienne et médiatrice ordinale

Parmi tous les ordres professionnels, l’Ordre des vétérinaires est le seul à avoir inscrit dans son code de déontologie la notion de médiation ordinale lors des différends entre confrères. Ce processus renvoie à des valeurs humanistes puisqu’il pose pour postulat que les êtres humains opposés dans un conflit ont la capacité de trouver leur solution, celle qui leur sera propre et non celle qui leur sera imposée. Auparavant, conception selon moi beaucoup plus paternaliste, on faisait des tentatives de conciliation : le conciliateur, en vertu d’une sagesse autoproclamée, étant celui qui propose une solution aux parties. Les confrères, qui souvent acceptent d’entrer en médiation uniquement parce que c’est une obligation déontologique avant de pouvoir porter plainte, s’attendent très souvent à cette attitude et demandent au médiateur de prendre parti, d’arbitrer en quelque sorte le conflit. Ce qui est contraire à l’esprit même de médiation. Les débuts d’une médiation demandent souvent beaucoup de pédagogie, cette dernière étant à la fois bien connue et méconnue. Néanmoins, l’esprit de solution à l’amiable, en particulier la médiation, est en train de se développer dans l’espace juridique de nos sociétés modernes. Je suis contente de participer à cette pollinisation : parvenir à un accord en médiation c’est avoir deux confrères qui vous disent merci, contrairement aux autres solutions où il y a toujours un gagnant et un perdant.

La source profonde du conflit est souvent à rechercher dans le non-dit

TÉMOIGNAGE

FRÉDÉRIC DECANTE

Praticien rural en Lozère. Il a suivi la formation à la médiation dispensée par l’AFVE

Lors de la formation à la médiation, les jeux de rôles font comprendre avec pertinence toute l’importance de faire émerger la source profonde du conflit, souvent à rechercher dans le non-dit. On développe un regard qui facilite la compréhension de nombreux mécanismes du conflit à travers différents angles de vues. La mécanique du jeu permet en effet de comprendre pourquoi le médié ne parvient pas spontanément à exprimer le fondement même du conflit. Jouer le rôle du médiateur permet de se rendre compte de la difficulté de faire aboutir le processus qui va permettre in fine la médiation. Cette pratique est assez complexe. Elle demande effacement de soi et qualité d’écoute.

DES SOURCES DE CONFLITS DIVERSES

Les conflits en milieu professionnel peuvent être sources d’anxiété et de stress pour les personnes qui y sont exposées. Ces tensions sont de différentes natures et peuvent avoir comme source un manque de dialogue comme le souligne Corinne Bisbarre. En structure vétérinaire, des conflits entre employeurs et employés, qui ne touchent pas aux prud’hommes, portent souvent sur l’organisation du travail ou encore les obligations de chacun sur le fonctionnement de la clinique. Des tensions peuvent également apparaître entre associés sur l’organisation du travail, la répartition des revenus, l’attribution des gardes, ou encore les investissements à réaliser.

LE PETIT LEXIQUE UTILE

Arbitrage : procédure de règlement des litiges par recours à une ou plusieurs personnes privées appelées arbitres.

Arbitre : personne privée chargée d’instruire et de juger un litige à la place d’un juge public, à la suite d’une convention d’arbitrage.

Clause compromissoire : clause insérée dans un contrat par laquelle les parties s’engagent à recourir à l’arbitrage pour les différends qui surgiraient entre elles.

Conciliation : action qui vise à rétablir la bonne entente entre des personnes dont les opinions ou les intérêts s’opposent. Il peut s’agir d’une négociation directe ou avec l’aide de tiers.

Conciliateur : le conciliateur est la personne chargée, à titre bénévole, de faciliter, en dehors de toute procédure judiciaire, le règlement amiable de certains conflits privés.

Conflit : différend entre des parties, qui peut trouver une issue avec ou sans l’intervention d’un tiers.

Compromis d’arbitrage : convention par laquelle deux ou plusieurs personnes décident de soumettre un litige déjà né à l’arbitrage d’un tiers.

Litige : on parle de litige lorsqu’une personne ne peut obtenir amiablement la reconnaissance d’une prérogative qu’elle croit avoir et envisage de saisir un tribunal pour lui soumettre sa prétention. Le terme, bien que très large, est synonyme de procès.

Médiation : technique de règlement des différends définie comme « le fait de servir d’intermédiaire, en particulier dans la communication ».

Médiateur : tierce personne désignée, avec l’accord des parties, en vue de trouver une solution au conflit qui les oppose.

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