LE VÉTÉRINAIRE PRATICIEN EN PREMIÈRE LIGNE - La Semaine Vétérinaire n° 1865 du 04/09/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1865 du 04/09/2020

MALTRAITANCE ANIMALE

ANALYSE

Auteur(s) : TANIT HALFON

En cas de mise en danger grave pour l’animal, le vétérinaire a l’obligation de le signaler à la direction départementale de la protection des populations. Explications.

Le code rural est clair : le vétérinaire, dans le cadre de son habilitation sanitaire, doit informer « sans délai l’autorité administrative des manquements à la réglementation relative à la santé publique vétérinaire qu’il constate dans les lieux au sein desquels il exerce ses missions si ces manquements sont susceptibles de présenter un danger grave pour les personnes ou les animaux » (article L. 203-6). En cette période où le bien-être animal est érigé en France presque comme un étendard, cette mission apparaît encore plus fondamentale. Encore faut-il bien comprendre comment s’y prendre. « Il s’agit d’un danger qui va engendrer un risque vital à plus ou moins court terme pour l’animal, explique Estelle Prietz-Ducasse, la référente nationale à la commission Protection animale (anciennement Bien-être animal) du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (CNOV). Pour les animaux de rente, il s’agit plutôt d’animaux dénutris, enfermés à l’étable ou au contraire errants dans les pâtures, sans eau, non soignés… Pour les animaux de compagnie, ce sera des plaies inhabituelles, des animaux dénutris ou présentés systématiquement en stade terminal par exemple. Dans tous les cas, il faut bien garder en tête que le signalement doit être fait lorsqu’une intervention urgente est requise mais également lors de faits répétitifs. » En clair, et de bien entendu, pas question de signaler un animal obèse, une question à débattre avec le propriétaire plutôt en consultation : il faut faire la part des choses, dit bien la référente.

Suivre la procédure

Pour lever le secret professionnel, sacro-saint de la profession, le cadre législatif doit être respecté à la lettre. Le constat doit d’abord être fait dans le cadre de sa consultation, par un vétérinaire détenant son habilitation sanitaire. Pour recueillir un signalement, la seule autorité reconnue est la direction départementale de la protection des populations (DDPP). « Il faut envoyer une déclaration écrite au bureau de la protection animale de la DDPP avec un maximum d’informations. Un mail suffit », précise la vétérinaire référente, tout en alertant sur certaines situations pour lesquelles le vétérinaire pourrait sortir du cadre, sans le vouloir. Par exemple, « il est possible d’être sollicité pour établir un certificat de santé. Si le praticien est réquisitionné par le procureur dans le cadre d’une enquête, ce document est remis aux forces de l’ordre. C’est la seule exception au secret professionnel. Dans tous les autres cas, le certificat de santé rédigé ne doit être remis qu’à la personne qui amène l’animal en consultation, charge à elle de le remettre ensuite à qui elle le souhaite. Aucune information sur l’état d’un animal ne peut être transmise à un tiers en dehors de la DDPP. »

Qui dit obligation dit sanction potentielle. « Si, dans une affaire de maltraitance animale, il est avéré qu’un vétérinaire était informé, il peut être poursuivi dans le cadre d’une procédure disciplinaire ou au tribunal. Dans la stricte application de la loi, il peut être condamné », convient-elle. Mais en pratique, ce n’est pas si simple, comme en témoigne Christian Diaz, vétérinaire canin à Balma (Haute-Garonne), expert judiciaire auprès de la cour d’appel de Toulouse, et membre du CNOV. « Avant la crise, je recevais en consultation des chiens qui détruisent un appartement dans lequel ils sont confinés toute la journée. Il s’agit pour moi de maltraitance par méconnaissance du comportement canin. Le problème est que c’est une maltraitance qui n’est pas reconnue par la société : impossible de la signaler, et la profession risque de se faire fortement critiquer par les propriétaires. Et pourtant, c’est un cas fréquent de maltraitance pour le chien, explique-t-il. Quand c’est possible et accepté, je propose parfois de replacer l’animal, sinon il faut essayer de le traiter avec possible recours aux psychotropes associés à une thérapie comportementale. »

L’anonymat des sources pose question

Il complète : « À la différence des animaux de rente pour lesquels la notion de maltraitance est prise en compte du fait de son impact sur la productivité, pour les animaux de compagnie, l’aspect affectif prévaut. Les gens s’attachent à des animaux qui peuvent ne pas être placés dans des conditions compatibles avec leurs besoins biologiques. » Toutes les espèces animales ne sont donc pas logées à la même enseigne, mais c’est plus particulièrement le cas pour la faune sauvage. « Les textes ne considèrent pas l’individu mais l’espèce dans son ensemble. Légalement, il n’y a pas de signalement possible. Dans ce cas, le vétérinaire ne peut que soulager les souffrances de l’animal », souligne Estelle Prietz-Ducasse. Se pose aussi la question du manque de formation des vétérinaires, comme en témoigne Fabienne Rigout-Paulik, référente ordinale régionale de la protection animale (Auvergne-Rhône-Alpes). « Dans ma région, les appels des praticiens portent surtout sur des questions d’ordre réglementaire, malgré le site de l’Ordre. Ils ont des craintes à ce sujet. »

Dernière question, pas des moindres, celle de l’anonymisation des sources. Fabienne Rigout se souvient : « On a eu un cas d’un vétérinaire qui avait fait un signalement pour maltraitance en règle, mais l’anonymisation du signalement du vétérinaire n’a pas été respectée et le propriétaire de l’animal a pu déposer une plainte pour diffamation contre le praticien. Cette plainte probablement n’aboutira pas mais la gêne occasionnée est forte pour le vétérinaire. » Christian Diaz l’évoque aussi : « On pourrait améliorer les choses en garantissant l’anonymat des sources. Sur le terrain, toutes les DDPP ne le font pas. » Il pointe une autre limite du dispositif : « Il faudrait que ce ne soit pas limité aux seuls vétérinaires sanitaires (article L. 203-6 du code rural). Par exemple, un praticien qui fait uniquement des consultations de comportement n’a pas forcément son habilitation sanitaire alors qu’il est susceptible de rencontrer des cas de maltraitance. »

Signaler la maltraitance humaine

Au-delà de la maltraitance animale, l’enjeu pour le vétérinaire est aussi la maltraitance humaine, deux phénomènes qui peuvent coexister1. Mais là encore, il y a des limites. « L’article 226-14 du code pénal2 dit qu’une personne peut informer les autorités de privations ou sévices dont il a eu connaissance sur un mineur ou une personne vulnérable. En tant que citoyen, le vétérinaire peut signaler une maltraitance dont il est témoin dans la rue ou chez son voisin… Mais dans le cadre d’une consultation, il est tenu au secret professionnel, souligne Estelle Prietz-Ducasse. Un signalement au procureur pour une maltraitance humaine suspectée lors d’une consultation devrait pouvoir être exclu du champ du secret professionnel. C’est une interprétation de la loi. La personne accusée peut se retourner contre le praticien, même s’il y a peu de chances que les poursuites aboutissent. Il n’y a pas de jurisprudence à ce sujet. » « Il est impossible de faire un signalement sans preuves, au risque de se voir attaquer pour diffamation ou dénonciation calomnieuse », rajoute Christian Diaz. En matière de maltraitance animale, si le vétérinaire a bien un rôle de lanceur d’alerte, il ne faut pas s’y cantonner. « Il faut que les vétérinaires soient bien conscients de leur rôle de prévention avant tout. Je pense qu’ils ne doivent pas hésiter à être plus explicites dans leurs propos envers les propriétaires, il y a une vraie attente. Il est possible d’informer sur la maltraitance par négligence sans culpabiliser les propriétaires », soutient Estelle Prietz-Ducasse.

1 www.bit.ly/3hNdOux.

2 www.bit.ly/3lKaHGf.

Des ressources documentaires utiles

- Le site de l’Ordre national des vétérinaires résume la marche à suivre : www.bit.ly/3lzyYyp

- Une thèse vétérinaire explique les différents types de maltraitance auxquels le vétérinaire peut être confronté dans sa pratique : Contribution à l’étude de la maltraitance animale dans la pratique vétérinaire, Marine Fouquet, VetAgro Sup, 2011.

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