BIEN-ÊTRE ANIMAL : UN TRAIN À NE PAS MANQUER - La Semaine Vétérinaire n° 1863 du 21/08/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1863 du 21/08/2020

DOSSIER

Auteur(s) : SERGE TROUILLET

LES ENJEUX MULTIPLES DU BIEN-ÊTRE ANIMAL CONDUISENT LES VÉTÉRINAIRES, LÉGITIMEMENT, À VOULOIR SE SAISIR DAVANTAGE ENCORE DE CET IMPÉRATIF PARTAGÉ AFIN DE FAIRE ÉVOLUER LEUR MODÈLE ÉCONOMIQUE. HANDICAPS ET ATOUTS.

Toute la profession se rejoint sur l’ambition de leadership du vétérinaire dans le domaine du bien-être animal (BEA). « Le praticien, souligne Dominique Autier-Dérian, dirigeante du bureau d’études Animal Welfare Consulting, est celui qui soigne l’animal, qui connaît son environnement et les personnes qui sont en lien avec lui. Cela lui confère une légitimité sur le BEA, doublée d’une expertise réelle dans ce domaine. » Pourtant Laurent Perrin, président du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL), regrette à cet égard l’occasion manquée d’avoir travaillé avec les organismes agricoles, « en raison de dépenses supplémentaires supposées qui n’auraient pas conduit à augmenter le prix des productions. Or nous avons une vraie vision du BEA, non une vision anthropomorphique. comme pour le sanitaire, nous pouvons être le tiers de confiance de la société aujourd’hui demandeuse. Tout autre sera moins Légitime. »

Pire… Ayant l’obligation de signaler les mauvais traitements sur les animaux, le vétérinaire passe parfois pour celui qui dénonce, pour un traître. Dans le domaine des animaux de production, il peut apparaître d’un côté comme le vecteur d’un flicage supplémentaire par les éleveurs, et de l’autre comme le complice de la maltraitance des animaux par une partie du public et des gens très écoutés médiatiquement. Difficile d’admettre pour un vétérinaire comme Jean-Pierre Kieffer, président de l’œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA), bien que déplorant les méthodes extrêmes des activistes, qu’« il n’y avait jamais eu, concernant le BEA, autant d’avancées en dix ans qu’en trente ans par la profession auparavant ! »

Un problème de communication

Estelle Prietz-Ducasse, référente nationale pour le BEA au Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (CNOV), pointe là un problème de communication : « Ce qui est délicat pour les vétérinaires, c’est qu’ils ont les compétences et le sentiment d’œuvrer pour le BEA en permanence, mais sans en avoir la reconnaissance. Dans un contexte de montée des courants anti-élevage, anti-viande, anti-production animale, ils ne sont pas perçus comme ceux qui font que, grâce à eux, les conditions ne font que s’améliorer. »

Et de préciser qu’ils sont constamment impliqués dans le développement d’outils qui permettent aux éleveurs de progresser dans leurs pratiques. Ainsi les vétérinaires ont obtenu dans certains abattoirs ayant reçu des dérogations pour l’abattage rituel que le temps entre l’égorgement et l’étourdissement post-égorgement soit raccourci en mettant en place des systèmes lumineux de contrôle du temps : « Puisqu’ils ne peuvent pas empêcher les choix de l’abattoir de faire de l’abattage sans étourdissement, ils font en sorte que cela se passe dans les meilleures conditions possible. » Même si le BEA est souvent associé à de la réglementation et de la répression, une autre approche se dessine, s’en félicite Patrick Pageat, président du Centre d’éthologie clinique et bien-être animal (CECBA) : celle de ne plus voir les animaux souffrir mais de voir qu’ils vont bien. « C’est le fait d’une pression sociétale relayée par les grands groupes de la distribution agroalimentaire. On est dans une autre approche et le vétérinaire doit absolument y prendre sa place. »

De vrais atouts

Ses atouts ne manquent pas. En médecine des carnivores domestiques, par exemple le traitement de la douleur, son cœur de métier. Pour Thierry Poitte, fondateur du réseau CAPdouleur et de CAPwelfare, c’est une porte d’entrée royale à la thématique du BEA : « La douleur est le premier motif de consultation et son contrôle est la condition indispensable, sans être la seule, au maintien du BEA. Il y a un enjeu éthique, médical et sociétal à corriger le mal-être associé aux douleurs chroniques, à préserver une qualité de vie acceptable grâce à la complémentarité des médicaments, des méthodes non pharmacologiques et des prometteuses biothérapies. Soigner l’animal douloureux est par excellence la compétence du généraliste qui saura proposer un projet thérapeutique global et individualisé, grâce à un parcours de soins durable associant un propriétaire informé et engagé à l’équipe vétérinaire-ASV. » Le développement des outils connectés et de transmission des données fournit par ailleurs de plus en plus d’informations aux professionnels des animaux de la rente. Pour Estelle Prietz-Ducasse, « le vétérinaire traitant, qui connaît l’environnement de l’éleveur, est capable d’intégrer les notions de reproduction, d’alimentation, de bâtiment, tout ce qui concerne la zootechnie, dans une même réflexion, et donc dans un conseil personnalisé que l’éleveur sera susceptible d’accepter ». À lui de s’approprier tous ces outils.

D’autres voies de valorisation

En matière de valorisation du BEA, de nombreuses initiatives peuvent être prises par les vétérinaires. Qu’il s’agisse de la visite pré-adoption ou pré-acquisition d’un chien, de cours d’éducation pour des chiots amenés pour leur première vaccination ou de la conduite accompagnée de son animal de compagnie (voir texte ci-contre). Pour la médecine de troupeau, le mandatement pour des missions spécifiques reste une voie insuffisamment explorée, en particulier en amont des problèmes qui surviennent. Dans ce cadre, où le vétérinaire intervient de façon indépendante, la certification constitue quant à elle une potentielle voie de valorisation majeure du BEA (voir encadré page 30).

D’autres voies, notamment pour les animaux de rente et de production, concernent le sanitaire bien sûr, mais également la veille et l’accompagnement en matière légale et réglementaire, ou encore l’assistance en situation de crise (voir encadré p. 33). « L’ensemble des interventions de tout type du vétérinaire chez l’éleveur gagnerait, pour l’un comme pour l’autre, à faire l’objet d’une contractualisation », ajoute Laurent Perrin (voir encadré p. 31).

Dominique Autier-Dérian positive : « La protection animale a beaucoup progressé par les actions des associations de protection animale ; aujourd’hui, ce sont les voix des vétérinaires qui doivent mieux se faire entendre. Je ne suis pas inquiète sur le fait que, s’ils ne l’ont pas déjà fait, les confrères vont s’approprier ces notions pour en faire une plus-value professionnelle. » Reste à induire chez le propriétaire, l’éleveur ou le client, la perception de ce que chaque service peut lui apporter.

LE BIEN-ÊTRE ANIMAL : « UN OBJECTIF PARFOIS, HÉLAS, DÉVOYÉ ! »

Forte d’un doctorat en sciences humaines de l’éducation, obtenu au Québec, Nathalie Simon est vétérinaire comportementaliste à La Chapelle-sur-Erdre (Loire-Atlantique). Elle a conçu une méthode d’intervention éducative complète - Conduite accompagnée du chien (évaluation environnement homme-animal) - et un logiciel expert spécifique (Evaleha). « C’est l’approche écologique de la famille et du chien. Elle appréhende tous les écosystèmes - famille, entourage, voisinage, influences extérieures -, sans oublier le temps, c’est-à-dire la connaissance des conséquences de toute situation ou façon de faire avec l’animal. Ainsi, la Conduite accompagnée du chien permet d’anticiper et de prendre en compte les singularités d’apprentissage et d’adaptabilité du chien par rapport à tout type d’environnement. » Bref, une méthode totalement intégrative, qui permet une éducation cohérente et « d’obtenir des résultats concluants sans créer de problèmes ni maltraiter quiconque ».

« Une dérive inquiétante »

Nathalie Simon donne la priorité à la prévention et à la préservation du bien-être animal, travaillant à éviter les abandons ou les euthanasies pour motif comportemental, « qui se multiplient », recherchant les techniques et stratégies éducatives qui permettent à l’animal de comprendre ce que l’on attend de lui et à l’humain de se faire comprendre de l’animal. Elle pose un regard critique sur l’évolution récente du BEA, « qui n’en est pas un » : qu’il s’agisse des « éthologues qui considèrent l’animal comme un jouet, séduisant ainsi une société qui aime materner et jouer », de « la psychiatrie qui rend des chiens malades et tend à culpabiliser les propriétaires », de « l’absence de contrôle des contenus de formation des éducateurs canins », des « lacunes des formations initiales des vétérinaires », des « concepts formatés autour desquels s’est développé un marketing délétère », de « la vente de toute une kyrielle de produits et techniques (peluches, lasers, colliers électriques, remèdes, etc.) ».

Nathalie Simon, qui prépare la conduite accompagnée du chat, a formé environ mille vétérinaires et ASV, ainsi qu’une centaine d’éducateurs canins. Elle s’inquiète de « cette dérive » dans sa profession : « Tous les animaux de compagnie peuvent vivre en harmonie auprès des humains à condition de leur fournir un accompagnement pertinent, un environnement adapté, et de ne pas rendre incohérent leur développement. »

TÉMOIGNAGE

ESTELLE PRIETZ-DUCASSE

Référente nationale pour le BEA au Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (CNOV)

La certification comme valorisation du rôle des vétérinaires

Parce qu’il est indépendant, le vétérinaire peut être le tiers de confiance, celui qui peut certifier et se positionner comme un expert à cet égard. Cela peut être des certifications de label, de traçabilité, etc. Pour Estelle Prietz-Ducasse, référente nationale pour le BEA au Conseil National de l’Ordre des vétérinaires (CNOV), « le vétérinaire pourrait être le fil conducteur, de la naissance de l’animal jusque dans l’assiette, de la chaîne de production animale. Il aurait alors l’image de certificateur de la qualité du BEA et de la qualité sanitaire de ce que l’on mange. En ayant cette chaîne de confiance, d’indépendance et de qualité tout le long, il y aurait un lien de transversalité entre les vétérinaires, chacun certifiant à son niveau. On aurait alors, en bout de chaîne, un QR code attestant que cet animal a été suivi par des vétérinaires depuis qu’il est né, que ces vétérinaires se sont successivement engagés sur leur responsabilité pour dire que les conditions dans lesquelles cet animal a été élevé, transporté, abattu et transformé, ont été conformes à la réglementation et selon les critères de BEA les plus élevés, ce qui valoriserait l’action et le rôle des vétérinaires. En s’engageant dans la façon dont sont traités les animaux et dans la qualité de ce que l’on mange, au terme de cette chaîne, on a une double raison de dire merci aux vétérinaires. »

TÉMOIGNAGE

LAURENT PERRIN

Président du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL)

« La solution pour nous, c’est la contractualisation »

Pour Laurent Perrin, président du SNVEL, le conseil en bien-être animal sera plus facile à proposer dans le cadre de la contractualisation d’un appui technique global que par la facturation d’un audit, d’un conseil one shot ou d’une visite : « La prise en compte du BEA ne peut être liée qu’à une observation régulière des troupeaux. C’est la mise en perspective des problèmes ou de l’absence de problèmes qui nous informe sur la qualité du BEA dans l’élevage. » Il concède néanmoins que la discussion avec les organismes agricoles achoppe sur l’aspect financier au sein d’une économie fragilisée : « C’est l’éternel problème de la vente des services. Ils sont souvent considérés comme onéreux soit parce que leur valeur ajoutée n’est pas perçue, soit parce que nous ne sommes pas assez convaincants. Le paradoxe, c’est que nous sommes concurrencés par de nouveaux acteurs qui proposent ces mêmes services avec des coûts cachés, sous le masque d’une cotisation globale ouvrant droit à du conseil par des techniciens. Par ce biais, l’éleveur n’a pas le sentiment de payer ce service. La solution pour nous, c’est la contractualisation ouvrant droit à tous ces services et même davantage, enrichis par nos soins eu égard à nos compétences initiales et transversales. »

TÉMOIGNAGE

PATRICK PAGEAT

Président du Centre d’éthologie clinique et bien-être animal (CECBA)

Proposer et convaincre de la réalité du service apporté

Valoriser un service auprès d’un client nécessite d’abord que ce dernier ait une perception de ce que ce service peut lui apporter. Pour Patrick Pageat, président du Centre d’éthologie clinique et bien-être animal (CECBA), il s’agit de s’emparer de ce qui apparaît clairement comme un besoin, de commencer à le proposer, et à travers la relation habituelle avec le client de l’instaurer : « Il faut qu’il y ait une segmentation des services. Cela peut relever de l’accompagnement : aider à mettre en place des obligations légales qui apparaissent au fur et à mesure, identifier les points noirs et ce que l’on peut raisonnablement améliorer. cela peut bien sûr concerner l’activité plus clinique dans le BEA : faire un bilan, proposer des mesures et les organiser quand on décèle un problème (fréquence de mammites trop élevée, piquage dans un élevage de volaille, cannibalisme chez des porcs, etc.). Cela peut aussi tenir de l’assistance en situation de crise : apporter un accompagnement en ayant un discours adapté, mettre en place des mesures rationnelles, proposer du “fact checking” quand des professionnels sont soumis au risque d’être cloués au pilori par des activistes qui les accuseront de tous les maux. Enfin, la certification pour le BEA sera certainement une voie prometteuse pour les vétérinaires. »

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