INTÉRÊTS ET LIMITES DES BILANS SANGUINS CHEZ L’ANIMAL SAIN - La Semaine Vétérinaire n° 1860 du 26/06/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1860 du 26/06/2020

MÉDECINE PRÉVENTIVE

PRATIQUE CANINE FÉLINE NAC

FORMATION

Auteur(s) : MYLÈNE PANIZO

CONFÉRENCIER

CINDY CHERVIER, diplomate Ecvim-CA, spécialiste en médecine interne au CHV Massilia à Marseille (Bouches-du-Rhône) BENOÎT RANNOU, diplomate ACVP et ECVCP, responsable du laboratoire AzurVet-Lab à Saint-laurent-du-Var (Alpes-Maritimes) - PATRICK VERWAERDE, diplomate ECVECC, responsable du pôle anesthésie-réanimation-urgence-soins intensifs à l’ENVA (Val-de-Marne).

Article rédigé d’après une présentation faite au congrès de l’Afvac à Lyon (Rhône-Alpes), en novembre 2019.

Les analyseurs sanguins sont aujourd’hui disponibles dans presque toutes les structures vétérinaires. Ils permettent de réaliser rapidement des analyses de plus en plus performantes et complètes. Les bilans sanguins préventifs présentent de nombreux avantages dans le cadre d’une médecine préventive personnalisée, avec cependant certaines limites qu’il est important de connaître afin de ne pas commettre des erreurs d’interprétation.

Détecter précocement des maladies

Réaliser un bilan sanguin chez un animal sain peut permettre de détecter des maladies subcliniques, ce qui est particulièrement intéressant chez des individus appartenant à des races à risque. Lors d’hépatopathie active par exemple (qui peut concerner des animaux jeunes), l’activité des phospha tases alcalines (PAL), des aspartates aminotransférases (ASAT), des alanine aminotransférases (ALAT) et des -glutamyl transférases (GGT) augmente bien avant l’apparition des signes cliniques. Les races à risque sont le labrador, le doberman, le westie et le bedlington. Il en est de même concernant la maladie rénale chronique chez le chat (hausse de la diméthylarginine symétrique [SDMA] et de la créatinémie). Obtenir des valeurs de base chez l’animal sain présente également un intérêt diagnostique, pour permettre notamment de différencier une insu sance rénale aiguë (IRA) sur fond d’insu sance rénale chronique d’une IRA seule.

La cinétique des paramètres biologiques est très importante à observer. Même si les données mesurées restent dans les valeurs usuelles, leur augmentation au cours du temps doit interpeller le praticien et lui faire suspecter une maladie sous-jacente (surtout pour la créatinine, la SDMA et la T4 totale).

Établir des valeurs individuelles de référence

Réaliser un bilan sanguin préventif permet d’obtenir des valeurs de référence individualisées. Il est connu depuis longtemps que certains paramètres sanguins présentent une variabilité selon l’espèce, la race et le statut physiologique. Par exemple, une thrombopénie est révélée à l’hémogramme chez 50 % des cavaliers king-charles.

Des études plus récentes1 ont démontré que des paramètres variaient de façon importante selon les individus. Un index d’individualité2 a été établi pour de nombreux paramètres biologiques (en biochimie, hématologie et endocrinologie) chez différentes espèces. Si l’inverse de l’index est supérieur à 1,7, cela signifie que le paramètre présente une forte variabilité individuelle. À titre d’exemple chez le chat, l’inverse de l’index d’individualité des PAL (sur plasma) est de 2,5, tandis que celui du glucose est de 1,1. Cela signifie que la glycémie est un paramètre dont la concentration moyenne varie peu d’un individu à l’autre dans l’espèce féline, contrairement à l’activité des PAL. Les ALAT, le cholestérol et la créatinine sont aussi des paramètres qui présentent une individualité forte. Pour ceux-ci, il sera plus pertinent de comparer la valeur obtenue à des références propres à l’individu plutôt que d’utiliser les références d’espèce.

Les limites des bilans préventifs

Le principal risque est la mauvaise interprétation d’un résultat anormal, qui pourrait orienter vers des traitements inutiles ou des examens complémentaires coûteux déraisonnables. Chez un animal en bonne santé, il est donc important de garder un œil critique lorsque des paramètres biologiques se situent hors des valeurs usuelles. Il convient de bien s’assurer de la qualité du prélèvement sanguin et de ne pas hésiter à refaire l’analyse pour exclure une erreur préanalytique. Plus le bilan comprend un nombre important de paramètres, plus le risque d’obtenir une valeur qui sort de l’intervalle de référence est élevé (l’intervalle de référence établi par espèce est constitué mathématiquement afin de contenir 95 % des individus sains). Si une valeur dépasse légèrement de l’intervalle de référence, cela peut être dû à la construction statistique des valeurs usuelles. En revanche, une valeur qui sort largement de l’intervalle de référence doit alerter le clinicien. Il devra vérifier que son examen clinique était complet, obtenir une anamnèse fiable auprès du propriétaire et, selon le contexte, réaliser des examens complémentaires ou renouveler ultérieurement l’analyse. Il convient également d’impliquer le propriétaire pour qu’il soit attentif aux signes à observer en fonction des paramètres anormaux. Il n’y a pas de consensus publié sur la fréquence et le contenu des bilans à réaliser chez des animaux sains mais des recommandations existent3. Les bilans doivent être adaptés selon l’âge de l’animal, sa race, ses antécédents et son mode de vie. Les bilans préventifs sont conseillés tous les ans, voire tous les 6 mois selon l’âge de l’animal. L’analyse sanguine est fréquemment complétée par d’autres examens (analyse d’urine, prise de tension artérielle, etc.).

Le praticien doit également sensibiliser le propriétaire sur l’intérêt de réaliser un bilan sanguin pour son animal sain, car l’un des freins est le coût lié aux analyses.

Le cas particulier du bilan préanesthésique

Le bilan préanesthésique a plusieurs objectifs :

- détecter une maladie subclinique (une anémie est décelée bien plus tôt à l’hémogramme qu’à l’examen clinique) ;

- anticiper les complications (une insu sance rénale, même chez un animal asymptomatique, peut être aggravée par l’hypotension due à l’anesthésie) ;

- donner parfois des indications en matière de pronostic (lactatémie lors du syndrome dilatation-torsion de l’estomac). Avant une anesthésie, les animaux sont classés selon leur statut ASA (pour American Society of Anesthesiology), ce qui permet de définir le niveau de risque (de I à V) et d’adapter la prise en charge anesthésique, ainsi que le traitement médical en pré, per et postopératoire. Le bilan préanesthésique s’inscrit dans cette démarche. Il est indispensable de réaliser un examen clinique complet (en présence du propriétaire) avant toute anesthésie. Un bilan préanesthésique doit faire l’objet d’un consentement éclairé du propriétaire et son refus doit être attesté par la signature d’une décharge.

Il n’existe pas de consensus sur le contenu d’un bilan préanesthésique. Il est recommandé qu’il contienne au moins la mesure d’un hématocrite, des protéines totales, une albuminémie, une urémie et une créatininémie. Les paramètres inutiles concernant l’anesthésie sont les PAL et les ALAT, car ce ne sont pas des marqueurs fonctionnels (contrairement notamment aux temps de coagulation ou à l’albuminémie). Le reste du bilan dépend du contexte épidémio-clinique (par exemple, la mesure de la glycémie pour l’animal pédiatrique ou diabétique) et de l’indication chirurgicale (temps de coagulation pour une splénectomie, entre autres). Réaliser une analyse d’urine, en complément de l’analyse sanguine, est pertinent dans tout contexte anesthésique.

1. Walton R. M. Subject-based reference values : biological variation, individuality and reference change values. Vet. Clin. Pathol. 2012;41 (2):175-181. Ruaux C. G., Carney P. C., Suchodolski J. S., Steiner J. M. Estimates of biological variation in routinely measured biochemical analytes in clinically healthy dogs. Vet. Clin. Pathol. 2012;41 (4):541-547.

2. Les index sont répertoriés sur le site www.vetbiologicalvariation.org, réalisé par une équipe pluridisciplinaire de vétérinaires indépendants.

3. Bartges J., Boynton B., Vogt A. H. et coll. AAHA canine life stage guidelines. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 2012;48 (1):1-11. Vogt A. H., Rodan I., Brown M. et coll. AAFP-AAHA : feline life stage guidelines. J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 2010;46 (1):70-85. Pittari J., Rodan I., Beekman G. et coll. American Association of Feline Practitioners : senior care guidelines. J. Feline Med. Surg. 2009;11 (9):763-778.

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