« IL Y A URGENCE À AVANCER SUR CE SUJET » - La Semaine Vétérinaire n° 1860 du 26/06/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1860 du 26/06/2020

DOSSIER

Pourquoi vous intéressez-vous à la délégation ?

Didier Fontaine (Afvac) : Ce sujet me tient particulièrement à cœur, car j’ai toujours eu une grande considération et un grand respect pour les ASV dont j’ai eu la chance d’être entouré et épaulé. Ainsi, en quasi 40 années d’exercice, j’en ai toujours eu à mes côtés et je conçois mal que l’on puisse travailler sans, du moins dans le domaine des animaux de compagnie. J’ajoute que je n’ai pas honte de dire que j’ai toujours délégué certains actes à certaines ASV, ceci bien sûr en ma présence, sous mon contrôle et sous ma responsabilité.

En France, vous semblerait-il logique d’élaborer une réforme qui ne concernerait non pas l’ensemble des 14 000 auxiliaires, mais uniquement les plus qualifiés, à savoir les 6 000 qui correspondent aux échelons 3 à 5 ?

À mon sens, la délégation d’actes vétérinaires ne pourra effectivement pas concerner toutes les auxiliaires de santé vétérinaire, mais uniquement celles qui auront acquis, soit par l’expérience, soit par des formations (ou les deux), le niveau de compétence requis. Je pense que le niveau 5 de la convention collective est le préalable minimum. Mais comme jusqu’à présent la délégation d’actes vétérinaires n’est pas autorisée, il n’existe conséquemment pas encore de formation réellement appropriée. Ces formations se mettront donc en place quand la liste des actes délégables et les conditions de délégation seront officiellement connues, c’est-à-dire après la publication d’un décret de promulgation. La valida tion de l’acquisition des compétences complémentaires appropriées à ces délégations sera probablement et logiquement exigée pour être applicable.

Pourrait-on envisager une réforme en plusieurs temps, en distinguant, par exemple, des actes vétérinaires délégables de base et des actes à plus forte valeur ajoutée ?

Effectivement, ce serait peut-être un scénario envisageable à terme, comme cela existe déjà aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Mais chaque chose en son temps, avançons étape par étape…

Avez-vous été surpris par le ratio ASV/vétérinaire donné dans la thèse de Cécile Aupée, soit 0,33 auxiliaires (échelons 3 à 5) pour un vétérinaire en France ?

Oui, mais la raison en tient certainement au choix quelque peu discutable de la population cible choisie par l’auteure pour effectuer son enquête. Et puis, ce panel inclut toutes les filières. Selon mes propres observations, dans la majorité des structures vétérinaires développant une bonne activité de généraliste pour animaux de compagnie, le ratio est plus proche de un ASV (tous niveaux confondus) par vétérinaire. Et ce ratio peut être plus élevé dans les structures de type centres de référés ou les centres hospitaliers vétérinaires. L’activité de spécialiste, en particulier dans les disciplines médico-chirurgicales, ne peut pas, ou difficilement, s’exercer sans ASV de niveau adapté.

Mais des ASV mieux formées, cela veut-il aussi dire des ASV mieux payées ?

Bien sûr, si certaines ASV deviennent plus compétentes, il faudra aussi mieux les rémunérer. Mais leur niveau de salaire restera de toute façon toujours inférieur à celui d’un vétérinaire diplômé, même débutant. Je suis par ailleurs persuadé que, malgré cette augmentation de leurs salaires, les cliniques deviendront davantage rentables, car le praticien pourra légitimement facturer au propriétaire une augmentation de la qualité de ses services. En effet, je pense qu’un propriétaire d’animal ne critiquera pas une facture si elle est conforme au contrat de soins et s’il considère que son animal a reçu des traitements médicaux de qualité et justifiés. La collaboration d’ASV de niveau avancé pourra aussi permettre de proposer de nouveaux services1, comme en physiothérapie et en rééducation fonctionnelle (qui est très chronophage). Il deviendra également possible de proposer au propriétaire un vrai service d’hospitalisation assorti d’une surveillance et d’une réelle permanence des soins, 24 h/24.

Qu’en concluez-vous ?

Je suis intimement convaincu que notre profession ne peut positivement évoluer qu’à condition d’opter en faveur de transformations allant dans ce sens. D’ailleurs, en santé humaine, la profession infirmière s’est déjà vu accorder depuis longtemps des possibilités dans le champ de la délégation d’actes. Pour conclure, en France, les vétérinaires n’auraient évidemment pas d’obligation à déléguer, mais il faut ouvrir cette option aux praticiens qui le souhaitent. Franchement, il y a maintenant urgence à avancer sur ce sujet, nous sommes déjà tellement “en retard” par rapport à d’autres pays !

1. Cécile Aupée note également dans sa thèse que la délégation d’actes comme la délivrance de médicaments et la physiothérapie semblent plébiscitées par la profession.

RETOUR SUR UNE EXPÉRIENCE PERSONNELLE

D’après Didier Fontaine, secrétaire général de l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie (Afvac), la délégation de certains actes vétérinaires à certaines ASV serait bénéfique à plusieurs égards. Et de témoigner sur son propre vécu en la matière : « Il y a quelques années, au centre hospitalier vétérinaire Atlantia, nous avons recruté une jeune vétérinaire diplômée en anesthésie-analgésie qui, entre autres missions, a pris en main la formation en anesthésie de certaines ASV qui sont rattachées au plateau technique et aux blocs opératoires. Elles ont toutes apprécié ces formations et se sont passionnées pour la discipline ! Elles en redemandaient même, de sorte qu’elles ont acquis un niveau de connaissance franchement élevé. Le résultat a été impressionnant : car, au lieu de faire des gestes tels des robots, d’exécuter des tâches ou des demandes, pour elles, obscures, ces ASV comprenaient enfin ce qu’elles faisaient, pourquoi elles le faisaient, et y prenaient du plaisir. En un mot, elles étaient fières de participer. Cela a également transformé les rapports entre les ASV et les vétérinaires chirurgiens, rapports qui sont devenus à la fois plus techniques et plus conviviaux. Autre avantage constaté : les vétérinaires chirurgiens bénéficient dans un tel contexte de conditions d’exercice plus confortables, ce qui leur permet de mieux se concentrer sur leurs propres actes, en toute confiance. »

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