SECRET PROFESSIONNEL : UN GARDE-FOU OU UN VERROU QU’IL FAUT POUVOIR LEVER ? - La Semaine Vétérinaire n° 1859 du 19/06/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1859 du 19/06/2020

EXPRESSION

LA QUESTION EN DÉBAT

Auteur(s) : CHANTAL BÉRAUD

Certaines situations - notamment en cas de maltraitance grave - doivent être légalement obligatoirement dénoncées par le vétérinaire praticien. La lever de ce secret professionnel reste cependant un exercice délicat, qui mériterait qu’on y réfléchisse encore.

UN DEVOIR ENCADRÉ, DÉLICAT À METTRE EN PRATIQUE

JEAN-PIERRE KIEFFER (T 75)

Président de l’Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA)

Le secret professionnel impose de ne pas révéler des informations apprises dans le cadre d’une activité professionnelle et qui seraient susceptibles de nuire. C’est une obligation éthique et une contrainte réglementaire. Dans un but de protection de la population, mais aussi pour garantir la protection animale (article 226-14 du Code pénal), le vétérinaire est cependant tenu à certaines déclarations qui lèvent ce secret professionnel. En effet, le praticien habilité doit signaler les cas de maltraitance grave, uniquement à l’autorité administrative : la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP). Cependant, ce rôle de lanceur d’alerte est délicat à exercer, en particulier en clientèle rurale. Car si les signalements permettront de mettre un terme aux mauvaises pratiques, ils pourront aussi placer l’éleveur en situation difficile. Quant au praticien canin, il se doit de déclarer les cas de maltraitance dont il a connaissance - eu égard au respect de l’animal -, devoir que le vétérinaire ne doit pas occulter.

IL FAUT UNE PRISE EN CHARGE TANT ANIMALE QU’HUMAINE

JULIEN HERLA (L 08)

Praticien rural à Guémené-Penfao (Loire-Atlantique) et président du GTV Pays-de-Loire

Les cas graves sont heureusement rarissimes. En revanche, dans le difficile contexte économique actuel, on rencontre davantage de mal-être animal, des défauts de nutrition… Face à ces situations, il faudrait pouvoir mettre en œuvre d’autres outils que ceux d’une « dénonciation » à la DDCSPP. Comme des « signalements » selon des protocoles plus fins, peut-être directement à d’autres organismes. Car il faut aussi pouvoir évaluer la situation de l’agriculteur responsable, qui est peut-être excessivement endetté ou dans un état de mal-être psychique intense. Malheureusement, la DDCSPP ne peut pas toujours répondre en l’état à toute situation, car l’agriculteur ne remplit parfois pas tous les critères de prise en charge… Donc oui, le praticien rural a le devoir d’être un lanceur d’alerte, mais un meilleur relais humain reste peut-être à inventer ou à faire évoluer, pour tenir davantage compte de la détresse humaine, sans mettre en péril le praticien vétérinaire tenu au secret.

EN CAS DE MALTRAITANCE, J’AVISE LA SPA

THIERRY BEDOSSA (A 1989)

Praticien canin à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine) et administrateur de la Société protectrice des animaux (SPA)

Servir le meilleur intérêt de l’animal n’est pas toujours facile pour un vétérinaire, notamment parce que le propriétaire est un client. Toutefois, concernant la maltraitance, j’y prête attention à chaque consultation. Il est généralement difficile d’en faire part à son propriétaire car, assez souvent, cette maltraitance ne consiste pas en un sévice physique intentionnel mais relève de l’absence de couverture des besoins éthologiques d’un chien ou d’un chat. Par exemple, le propriétaire pense que son animal souffre d’un trouble du comportement alors qu’un vétérinaire comportementaliste sait qu’il est normal pour un chat en situation d’anxiété d’uriner ou de déféquer hors du bac, etc. Pour ma part, je n’ai jamais fait de signalement de maltraitance, car j’ai un énorme problème avec tout ce qui relève de la délation, ayant en mémoire notamment les horreurs commises en ce nom durant la Seconde Guerre mondiale… Donc, si la personne maltraitante est elle-même fragile, j’essaie d’en parler à son entourage. Si ce n’est pas suffisant, je m’adresse au service de la SPA.

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