MESURE DE LA LACTATÉMIE : MODE D’EMPLOI - La Semaine Vétérinaire n° 1859 du 19/06/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1859 du 19/06/2020

SOINS INTENSIFS

PRATIQUE CANINE FÉLINE NAC

FORMATION

Auteur(s) : GWENAËL OUTTERS

CONFÉRENCIER

MAXIME CAMBOURNAC, diplomate ECVECC, responsable du service d’urgences, réanimation et soins intensifs au CHV Frégis à Arcueil

(Val-de-Marne).

Article rédigé d’après une présentation faite au congrès national de l’Afvac à Lyon, en novembre 2019,

Les cellules ont pour objectif primordial d’utiliser, par l’intermédiaire des mitochondries, l’oxygène et le glucose, véhiculés par le sang, pour produire de l’adénosine triphosphate (ATP), seule énergie utilisable par les cellules afin de faire fonctionner les pompes, les enzymes ou toute autre activité cellulaire. L’équilibre entre la distribution et l’utilisation doit être en permanence maintenu, faute de quoi un déficit énergétique se crée. En présence d’oxygène, le glucose entre dans la cellule pour former du pyruvate et donner de l’ATP. Si le glucose n’entre pas dans la cellule ou si l’oxygène est déficitaire (cas le plus fréquent), le fonctionnement mitochondrial est bloqué. Ainsi, le pyruvate s’accumule et l’énergie cellulaire s’effondre. Il est alors indispensable pour la cellule d’obtenir une autre source d’énergie : le lactate. Environ 10 % du pyruvate est converti en lactate via la lactate déshydrogénase, afin d’assurer une source d’énergie secondaire. À l’inverse, lorsque les conditions d’aérobie reviennent, le lactate est à nouveau converti en pyruvate puis en ATP. Si les conditions d’anaérobie persistent, le lactate s’accumule dans le sang.

Physiopathologie

L’apport en oxygène dépend de deux paramètres : la capacité du sang à le transporter (contenu artériel en oxygène) et celle du cœur à déplacer le sang jusqu’aux cellules, c’est-à-dire la distribution en oxygène. Ainsi le contenu artériel en oxygène dépend de l’hémoglobine (sa concentration et sa fonction), mais aussi de la capacité pulmonaire à charger l’hémoglobine en oxygène, soit la saturation. Du côté cardiovasculaire, la distribution en oxygène dépend du débit cardiaque en relation avec la fréquence et le volume d’éjection systolique qui dépend lui-même de la capacité du cœur à se contracter, de la précharge (volume circulant) et de la postcharge (résistances à la sortie du cœur).

Une diminution de la distribution en oxygène, hypoxie absolue, conduit à une hyperlactatémie de type A. Elle est en lien avec des troubles hématorespiratoires (défaut d’oxygénation du sang, troubles de l’hémoglobine, pulmonaire) ou cardiovasculaires (cardiopathies, hypovolémies vraies, chocs distributifs, troubles du rythme).

Si la demande en oxygène augmente, pour une distribution maintenue (systèmes respiratoire et cardiovasculaire compétents), il s’agit d’une hypoxémie relative : exercice intense, fièvre, tremblements musculaires, convulsions, mise bas, etc.

Dernier cas de figure, alors que la distribution est correcte, la cellule est incapable de récupérer et d’utiliser les composants énergétiques : c’est l’hyperlactatémie de type B. Cette forme est rencontrée dans certaines affections (diabète sucré, tumeurs, en particulier les lymphomes de haut grade, insuffisance hépatique, hyperthyroïdie, chocs septiques, phaeochromocytome et/ou décharge de catécholamines), les causes toxiques médicamenteuses (corticoïdes endogènes ou exogènes, xylitol, sorbitol, strychnine, paracétamol, aspirine, éthylène glycol) et les causes congénitales, très rares et difficiles à diagnostiquer.

Intérêt diagnostique

Épanchement

La mesure du lactate dans l’épanchement permet d’aider à la distinction entre un épanchement septique versus aseptique. Une concentration en lactate dans l’épanchement supérieure à 2,5 mmol/l est très en faveur d’un épanchement septique. Une différence entre la lactatémie sanguine et la valeur dans l’épanchement supérieure à 2 mmol/l indique fortement une péritonite septique. La sensibilité moyenne (60 %) ne permet pas d’exclure de façon certaine un épanchement septique lorsque les seuils ne sont pas atteints. À l’inverse, la très bonne spécificité (90 %) permet de confirmer aisément le caractère septique de l’épanchement. Néanmoins, il existe quelques cas de figure plus complexes, pouvant troubler le diagnostic. C’est notamment le cas des épanchements très cellulaires de type tumoraux qui peuvent présenter des caractéristiques similaires à un épanchement septique. Ces critères ne sont plus utilisables lorsqu’il y a un drain ou à la suite d’une ouverture de la cavité abdominale.

Thromboembolies aortiques

Une différence de lactatémie entre le membre atteint et un membre non atteint supérieure à 2 mmol/l est très en faveur d’une thromboembolie aortique. Si l’animal est présenté tardivement, l’absence de vascularisation dans le membre atteint limite l’obtention d’un échantillon sanguin.

Intérêt thérapeutique

La volémie est évaluée par le temps de remplissage capillaire, la couleur des muqueuses, le pouls, la fréquence cardiaque, la température des extrémités et le statut mental. Ces paramètres cliniques permettent d’identifier une hypovolémie, mais la corrélation n’est pas bonne et la spécificité est inférieure à 80 %. Bien que la pression artérielle soit souvent utilisée comme marqueur indirect de la perfusion périphérique, sa corrélation avec la distribution en oxygène omet un paramètre important : les résistances vasculaires périphériques. Comme évoqué précédemment, la lactatémie représente la distribution en énergie aux cellules. C’est pourquoi la mesure et le suivi de la lactatémie sont particulièrement indiqués dans l’identification des hypovolémies, qu’elles soient compensées ou non.

L’objectif de la fluidothérapie est de corriger les déficits volémiques, avec comme critère quantifiable d’obtenir une lactatémie inférieure à 4 mmol/l. Prenons l’exemple d’un animal en état de choc admis avec une lactatémie de 8 mmol/l. Pour corriger son hypovolémie, il lui est administré un bolus de cristalloïdes isotoniques de 10 ml/kg en 10 minutes. Afin d’adapter le plan de fluidothérapie, une nouvelle mesure de lactatémie est réalisée. Si la valeur est toujours supérieure à 4 mmol/l, les mesures de fluidothérapie doivent être poursuivies, même si les paramètres cliniques apparaissent quasiment normaux, car les lactates démontrent qu’il persiste un déficit perfusionnel. Si l’animal ne répond pas à la fluidothérapie, soit le déficit perfusionnel ne peut pas se corriger seulement avec des fluides, soit il faut envisager une hyperlactatémie de type B et rechercher une autre cause. Ainsi, la mesure des lactates permet d’identifier des états cliniques compensés qui n’auraient pas été envisagés en première intention.

Intérêt pronostique

Les études chez le chien ont largement démontré que dans les situations d’urgence, telles que le syndrome de dilatation-torsion de l’estomac (SDTE, seuil de 6 à 9 mmol/l), les piroplasmoses (seuil de 2,3 mmol/l), les traumatismes (seuil de 4 mmol/l), les maladies à médiation immune, les chocs septiques (seuil entre 2 et 4 mmol/l), la lactatémie est un facteur pronostique potentiel. Bien que corrélé, il est important de se rappeler que la spécificité prédictive varie de 75 à 90 %, ce qui condamne à tort environ 1 chien sur 4. La fiabilité globale de l’utilisation des lactates pour prédire la survie n’est que de 57 % dans les traumatismes, de 60 % lors de sepsis et de piroplasmose et de 80 % dans le SDTE : il n’est ainsi pas envisageable de se servir uniquement de ce paramètre pour décider ne pas traiter un animal.

Bien que la valeur d’admission soit d’intérêt clinique, il est aujourd’hui clair que le suivi de la lactatémie est bien plus informatif en pratique. Ainsi, si la lactatémie ne diminue pas malgré les thérapeutiques adaptées, le risque de mortalité augmente fortement. De façon pragmatique, le clinicien doit envisager que soit l’état est très critique, soit il existe une maladie sous-jacente non identifiée. En tant que marqueur pronostique, si la lactatémie n’est pas diminuée d’au moins 50 % entre l’admission et la fin de la fluidothérapie, l’animal aura 76 % de risque de ne pas survivre : même si ces valeurs sont plus fines que celles de l’admission elles ne permettent toujours pas d’en faire un outil de décision d’euthanasie. ?

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