LES CHIENS DÉTECTEURS DE CORONAVIRUS FONT LEURS PREUVES - La Semaine Vétérinaire n° 1859 du 19/06/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1859 du 19/06/2020

RECHERCHE

PRATIQUE CANINE FÉLINE NAC

Auteur(s) : TANIT HALFON

Lancé par Dominique Grandjean, professeur à l’ENVA, un projet vise à évaluer si les capacités olfactives des chiens pourraient être utilisées pour repérer précocement les malades atteints du Covid-19.

Les chiens entraînés peuvent-ils sentir les malades du Covid-19 et aider au dépistage massif dans ce contexte de crise, par exemple, dans les aéroports ou les ports ? Oui, répond Dominique Grandjean, professeur à l’École nationale vétérinaire d’Alfort (ENVA) et vétérinaire colonel de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris. Début mai, il a lancé une étude multicentrique entre Paris, la Corse et le Liban, dont l’objectif était de montrer si l’infection virale générait des effluves spécifiques détectables par un chien entraîné. Aujourd’hui, la preuve de concept est bien là. Pour ce projet1, 18 chiens ont été recrutés, avec des profils différents : certains sont spécialisés dans la détection d’explosifs, d’autres sont des chiens de secours, et un troisième groupe participe à un autre projet, monté également par Dominique Grandjean, de détection du cancer colorectal, en collaboration avec des chercheurs du Liban (projet Nosaïs). Pour tester l’existence d’une signature olfactive, les chiens devaient renifler à travers un cône à olfaction des compresses imbibées de sueur axillaire de personnes malades et saines (photo). Au final, seuls huit chiens sont allés au bout du processus et ont apporté la preuve de concept. « Il y a eu des impondérables, par exemple, une chienne gestante qui a dû être sortie de l’étude, explique Dominique Grandjean. Pour le reste, tous les chiens sont capables de détecter les malades, mais certains ont besoin d’une phase supplémentaire d’entraînement, comme les chiens de secours habitués à travailler sur de grandes surfaces, mais pas en ligne. »

Dépasser les limites

« La prochaine étape sera de caractériser la sensibilité et la spécificité de la méthode, et ensuite, les valeurs prédictives positive et négative. Pas besoin cependant d’en passer par toutes ces étapes pour être opérationnel si le besoin s’en fait rapidement sentir. Le seul risque est de détecter 3 à 5 % de faux positifs, dont la positivité devra être, de toute façon, confirmée par une analyse sérologique », souligne-t-il, en expliquant par exemple que dans les essais, par six fois, des chiens ont pointé du nez des compresses imbibées de personnes saines. Et à chaque fois, un nouveau test PCR a été réalisé et est revenu positif. « À la différence de la PCR qui aboutit en moyenne à un tier de faux négatifs, un chien ne ment jamais », précise Dominique Grandjean. Cette limite sera à dépasser comme d’autres, et il s’agira également de tester le pouvoir discriminant des chiens, en leur faisant sentir des odeurs de malades d’autres infections respiratoires. Mais aussi de voir si le temps de contact des compresses sous les aisselles peut être diminué de 15 minutes à une minute pour que la méthode soit facilement applicable sur le terrain. En effet, « les chiens ne seront pas en contact direct avec le public, mais ils renifleront les compresses dans une salle ».

« Nous fonctionnons sans financements de l’État »

Toutefois, la plus grande limite n’est pas technique. « Pour continuer, nous avons besoin d’un maximum de prélèvements biologiques. Mais là, nous commençons à rencontrer des freins administratifs, explique-t-il. Certaines agences régionales de santé se sont fortement mobilisées comme celles de Corse et du Grand-Est. D’autres beaucoup moins… » Autre frein : « Nous fonctionnons à budget zéro, sans financement de l’État. Pour seul soutien, nous avons reçu des dons de la part de Royal Canin ou encore de Dior, qui a, de plus, proposé d’analyser les prélèvements afin d’identifier les biomarqueurs, en association avec l’université de Bordeaux ». Ces difficultés n’empêchent pas de faire des émules ! « Les Émirats arabes unis, l’Australie se sont rajoutés au projet, suivis de l’Argentine et du Brésil. Nous avons aussi été contactés par le Pentagone et la police de Singapour. L’objectif est de partager les bonnes pratiques pour faire avancer les choses », souligne-t-il. En France, les freins n’empêchent pas non plus les bonnes volontés, comme Dior, mais aussi les universités de Corté (Corse) et de Dijon (Bourgogne) qui vont également participer aux recherches sur les composés organiques volatils. En Corse toujours, certains acteurs du projet sont en train de développer une application smartphone pour faciliter la gestion des données. « Je suis positif, nous irons jusqu’au bout du projet », conclut Dominique Grandjean.

1. L’ensemble des résultats sont accessibles sur le site de prépublication Biorxiv et en attente de validation par Plos One : www.bit.ly/30PGNIn.

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