LA VIE D’APRÈS - La Semaine Vétérinaire n° 1859 du 19/06/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1859 du 19/06/2020

CARNET DE BORD

FAIRE FRONT AU COVID-19

Depuis le déconfinement, l’activité des vétérinaires reprend peu à peu son cours. Son cours “normal” ? Nos confrères Frédéric Decante et Sylvain Balteau racontent comment ils vivent cette nouvelle période.

CHANGER D’AIR

Premier week-end de juin. Nous voilà autorisés à voyager. Trois mois plus tôt, rats des villes parisiens devenaient rats des champs pour un confinement en télétravail. Trois mois plus tard, déconfinement oblige, rats des champs lozériens pouvaient bien devenir rats des villes le temps d’un jour ou deux : fi du plaisir que la crainte peut corrompre. L’idée, outre de se retrouver avec des proches éloignés, est bien de changer d’air, de penser à autre chose que ce qui nous a accaparés pendant trois mois, de ne plus en parler, d’oublier, d’enterrer, de ne plus poser la question du masculin ou du féminin de l’acronyme Covid. « Liliane, fais les bagages », le programme se révèle bien commun pour ces deux jours. Première impression : que s’est-il passé comme tremblement de terre pour obtenir en trois mois un tel degré d’acceptation sociale ?

Citons en vrac : une population fortement masquée, des files d’attente dociles de 20 à 30 m, régulées par des vigiles alcoolisant devant les magasins, des banderoles en entrée de rue rappelant les gestes barrières et l’obligation de port du masque, des musées fermés annonçant leur réouverture, des échoppes fermées annonçant la non-réouverture, des marchés filtrés avec port du masque obligatoire, toutes sortes de signalétiques au mur, au sol, dans les airs, d’indications de sens, d’entrée ici, de sortie là, de déclarations fourbes - « Vous nous avez manqué » -, de définition de procédures, d’explications d’une société devenue hygiéniste par obligation. Pasteur l’a voulu, un virus l’a fait. Mais cela n’est pas sans perturber. Drolatique est la situation d’inverser les rôles : voilà trois mois que, en professionnels, nous donnons les consignes, semble-t-il, simples, essayant de maîtriser une chaîne de soins, tentant de réguler un flux basique qui nous paraît contrôlable à travers une logique implacable, indiscutable et pourtant discutée. Et puis d’un coup, parce que dans la rue, le point de vue n’est plus le même, la perspective devient celle de nos clients : mettre ou ne pas mettre le masque, sommes-nous obligés ou invités à le faire ?

Chacun y va de son style : masque papier, masque tissu, tissu neutre, tissu imprimé, porté au-dessus du nez voire en dessous ou même sous le menton, de son look, de la matière, de son absence. Que faire de son masque entre deux obligations : le garder en place, ne pas être souillon du sol, le mettre en vrac dans un sac, regarder, septique, l’objet antiseptique au milieu d’un fatras septique ? Comment le plier en origami dans une poche ? Laquelle ? Ne pas perdre la face. Laquelle ? Discuter avec les siens quel côté mettre côté bouche, côté bleu ou côté blanc, s’y tenir, trouver une manière alternative de le stocker en glissant, par exemple, les élastiques le long du bras et enfin, enfin seulement, profiter de longues déambulations à travers des parcs et jardins un peu plus laissés non à l’oubli mais à l’ensauvagement pour s’ensauvager soi-même. Oui, de la rue, la perspective n’est pas la même : nous passons brutalement d’une réflexion froide et technique issue de notre légitimité médicale, à une somme de consignes, signes d’un mouvement brownien, de logiques établies sur un seul principe avec des résultats divergents.

Changer de point de vue pousse à la modestie, et ce qui paraît simple depuis nos salles de consultation, l’est beaucoup moins quand on devient une fourmi sociale parmi les fourmis sociales, quand il faut adapter son attitude à la multiplicité des messages, dont un principal : que l’activité reprenne, pas la virulence ! L’effet a plus d’écho encore quand l’ultraruralité vous a tenu éloigné des exagérations obligatoires du cœur de la ville et de ses artères, quand votre campagne ne change jamais, absorbe tout et continue son rythme immuable, le cœur en bradycardie. Plus loin, les villes vivent de fièvre, d’arythmie et de tachycardie, de cardiomégalie, de cyanose et d’embolies, de fulguration et d’hypertension. Oui, pendant deux jours, il n’a plus été question de Covid, pourtant, même en dehors de notre vie professionnelle, il n’est question que de cela ! En sortant, nous ne faisons que changer de point de vue alors que nous espérions changer de perspective, trouver un point de fuite. Pour l’instant, le dessin demeure triste de se cacher la mine. 

Frédéric Decante est praticien rural en Lozère. En parallèle, il mène une activité de photographe professionnel.

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