LA TÉLÉMÉDECINE EN PRATIQUE RURALE : ENTRE OPPORTUNITÉS ET MENACES - La Semaine Vétérinaire n° 1859 du 19/06/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1859 du 19/06/2020

PROFESSION

PRATIQUE MIXTE

Auteur(s) : CLOTHILDE BARDE

Alors que l’expérimentation de la télémédecine vétérinaire a été annoncée par décret début mai, les modalités de sa mise en pratique concrète sont en cours de réflexion au sein de nombreuses structures vétérinaires. Qu’en est-il en médecine rurale et dans les filières ? Recueil de témoignages de confrères, praticiens en clientèles mixte, rurale et en filières industrielles.

Une prise en charge plus rapide, un suivi médical rapproché et une plus grande flexibilité dans l’organisation du travail du vétérinaire » sont les arguments avancés par le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation1 pour justifier la mise en place, à titre expérimental, de la télémédecine vétérinaire pendant 18 mois par décret du 5 mai 2020, paru au Journal officiel le 6 mai2.

Une prise de décision accélérée

En effet, jusqu’à présent, la médecine vétérinaire, à la différence de la médecine humaine, ne disposait pas d’un cadre réglementaire autorisant les pratiques de télémédecine. Or, la crise sanitaire liée au Covid-19 a mis en exergue des besoins particuliers, dont ceux de pouvoir réaliser des consultations à distance (téléconsultation) et de recourir à des expertises au moyen d’outils numériques (téléexpertise). C’est pourquoi la pratique de la télémédecine, qui était auparavant à l’étude, a été finalement autorisée. Toutefois, comme l’a indiqué Xavier Quentin, praticien rural dans la Manche, « même si la période de crise a révélé les besoins de légiférer sur la télémédecine vétérinaire, l’intérêt a sans doute été plus net en canine qu’en rurale ». Ainsi, de nombreux vétérinaires ruraux considèrent la pratiquer depuis toujours dans les élevages de leur clientèle. Pour Philippe Camuset, praticien mixte en Haute-Normandie, « cela fait plus de 30 ans que nous travaillons ainsi : les éleveurs nous appellent et décrivent les symptômes qu’ils observent en élevage. Si la probabilité diagnostique est élevée, nous conseillons un traitement. Autrement, nous proposons de passer. D’ailleurs, à l’époque des smartphones, l’appel téléphonique peut être remplacé par des échanges par SMS, voire par l’envoi de photos. »

Cependant, le décret apporte un cadre strict à la télémédecine. Elle doit être reliée à un domicile professionnel d’exercice (DPE) et qui peut s’exercer uniquement dans les élevages ayant fait l’objet d’une visite datant de moins de 6 mois. Il encadre ainsi différentes pratiques : la téléconsultation, mais aussi la téléexpertise, la télésurveillance, la téléassistance ou la régulation médicale3. Concernant la télémédecine, « plus que du conseil par téléphone, pratiqué depuis longtemps, il s’agit d’une vraie consultation, précise Xavier Quentin. Il faudra donc trouver une juste rémunération à ce nouvel acte, tout comme en médecine humaine. La télémédecine sera ce que les vétérinaires en feront collectivement ». Destinée à « faciliter le travail des vétérinaires », cette pratique nouvelle pourrait permettre d’optimiser le temps de travail en évitant certains déplacements inutiles, ajoute Jocelyn Amiot, praticien vétérinaire mixte à dominante rurale (bovins allaitants) en Saône-et-Loire (encadré ci-dessus). De plus, « si l’accès aux données d’élevage devenait plus fluide, il s’agirait d’une opportunité d’améliorer le suivi des troupeaux, estime Xavier Quentin, qui déplore qu’« actuellement il s’agit d’un manque flagrant qui nous empêche d’avoir une vision globale sur les cheptels dont nous avons la charge ».

L’incompréhension gagne du terrain

Selon lui, cette mesure ne doit néanmoins pas se « substituer à la dispensation en présentiel des soins, ce qui pervertirait le principe de base du suivi sanitaire permanent défini par le décret de 2007 et serait destructeur du maillage vétérinaire ». Or, comme le précise le communiqué du ministère de l’Agriculture du 10 juin4 au sujet des actes relevant de l’habilitation sanitaire, à l’exception du bilan sanitaire d’élevage (BSE) et de la visite de suivi à 6 mois, les autres volets du suivi sanitaire permanent peuvent dorénavant être réalisés en téléconsultation. Face à de telles dispositions, l’incompréhension gagne peu à peu la communauté vétérinaire. Le Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL) et l’Ordre national des vétérinaires5 mettent en garde contre l’utilisation de la télémédecine dans le cadre du suivi sanitaire permanent, qui conduirait à un risque important de destruction du maillage vétérinaire en zone rurale. Ainsi, comme l’a indiqué le président du SNVEL, Laurent Perrin, dans une lettre adressée au ministère le 11 juin, « une colère légitime monte chez les vétérinaires de terrain qui se sentent désormais totalement abandonnés par leur tutelle, en contradiction totale avec toutes les déclarations d’intention du ministère pour un maintien du maillage vétérinaire ». Il semblerait donc qu’avant le rapport d’évaluation attendu fin 2021, le gouvernement ne soit contraint de réagir, au risque de perdre le soutien de la profession. Le représentant du SNVEL craint d’ailleurs que l’État n’ait autrement « aucun moyen de garantir à la société la qualité sanitaire du cheptel française et le respect du bien-être animal »

1. www.bit.ly/3dV6LOn.

2. www.bit.ly/3e4cKQQ.

3. www.bit.ly/2UyMu9B, www.bit.ly/35YMbJN.

4. www.bit.ly/2zqdlxi.

5. www.bit.ly/2UE8rEh, www.bit.ly/2UCS9vj.

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