GESTION D’UNE HÉMORRAGIE AIGUË ET D’UNE ANÉMIE SÉVÈRE - La Semaine Vétérinaire n° 1859 du 19/06/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1859 du 19/06/2020

TRANSFUSION SANGUINE

PRATIQUE MIXTE

FORMATION

Auteur(s) : ANNE COUROUCÉ

LLes transfusions de sang total fournissent une capacité de transport d’oxygène, des facteurs de coagulation, des protéines et un volume sanguin supplémentaires. Elles sont indiquées pour les chevaux qui ont subi une perte de sang aiguë à la suite d’un traumatisme, d’une intervention chirurgicale ou d’autres conditions telles qu’une rupture splénique, une hémorragie de l’artère utérine ou de la carotide. Chez les chevaux qui ont un volume sanguin normal avec une anémie sévère, les transfusions de globules rouges seraient le produit le plus approprié, bien que les transfusions de sang total soient souvent administrées lorsque le traitement des produits sanguins n’est pas disponible ou que des facteurs de coagulation sont également nécessaires. Les transfusions de plasma sont généralement administrées aux poulains lorsqu’ils présentent de faibles taux d’immunoglobulines ou aux chevaux ayant subi des pertes protéiques importantes.

Critères de transfusion

Un examen physique spécifique et des paramètres clinicopathologiques peuvent être utilisés pour guider la décision de transfuser (encadré).

Examen physique et estimation de la perte sanguine

Un examen clinique révélant des muqueuses pâles, une tachycardie, une tachypnée, de la sudation, des coliques et de la léthargie peut indiquer la nécessité d’une transfusion sanguine, notamment quand la perte de sang est estimée à plus de 30 % du volume sanguin (tableau).

Une perte de sang aiguë entraîne parfois un choc hypovolémique en plus de la perte de globules rouges. De ce fait, l’examen clinique peut inclure également des extrémités froides, une hypotension et une augmentation des lactates sanguins. En cas de choc hypovolémique, l’hypovolémie doit tout d’abord être corrigée. Toutefois, attention à ce que cette correction ne soit pas trop agressive pour éviter l’augmentation de la pression sanguine et donc la rupture d’un caillot de sang, notamment en cas de saignement non contrôlé. Une hypotensive resuscitation, sous forme de bolus de 20 ml/kg de fluides isotoniques ou de 2 à 4 ml/kg de saline hypertonique saline pour maintenir une pression sanguine d’environ 60 mmHg, est recommandée jusqu’à ce que le contrôle du saignement soit effectif.

Hématocrite et protéines totales

Chez les animaux présentant des anémies hémolytiques chroniques l’hématocrite (Ht) et les protéines totales (PT) peuvent être des indicateurs utiles pour la décision d’une transfusion sanguine. Il n’existe pas de seuil absolu chez le cheval, mais on considère qu’un Ht inférieur à 12 à 15 %, en conjonction avec des muqueuses pâles, une tachycardie, une tachypnée et de la léthargie sont un indicateur pour une transfusion sanguine. Celle-ci peut être requise chez des chevaux présentant des Ht plus élevées, mais ayant des affections concomitantes, comme un problème respiratoire ou un sepsis.

Lors d’hémorragie aiguë, au tout début, l’Ht peut toujours être normal du fait d’une absence de redistribution des fluides et de l’existence d’une contraction splénique. L’Ht et les PT diminueront lorsque les fluides se redistribueront du compartiment interstitiel à l’espace intravasculaire. L’Ht est un indicateur utile lors de perte sanguine chez la plupart des chevaux. Toutefois, ce paramètre sous-estime les hémorragies aiguës.

Pour les anémies aiguës ou chroniques, l’objectif premier est d’augmenter la capacité de transport de l’oxygène. Les globules rouges provenant de transfusions allogéniques ont des demi-vies plus courtes comparées à des globules rouges provenant de sang autologue. La transfusion doit donc être considérée comme une mesure temporaire pour restaurer cette capacité de transport de l’oxygène. La résolution de l’anémie nécessitera une réponse érythropoïétique du cheval et le traitement réussi de la cause sous-jacente.

Statut d’oxygénation

Le statut d’oxygénation peut également permettre de déterminer la nécessité d’une transfusion sanguine lors d’hémorragie aiguë ou d’anémie chronique. Une augmentation de la concentration sanguine de lactate en dépit de la perfusion avec des cristalloïdes ou des colloïdes indique une hypoxie tissulaire et la nécessité d’une transfusion.

La mesure des gaz sanguins artériels peut également permettre d’évaluer l’importance de l’hypoxie et de l’hypercapnie.

Quelle quantité de sang administrer ?

Lors d’hémorragie aiguë, il est primordial d’estimer la perte de sang (tableau). Cela permet d’apporter la quantité nécessaire au cheval.

Dans le cas d’une hémorragie ou d’une anémie chronique, le calcul du volume sanguin requis pour augmenter l’Ht d’un pourcentage donné peut se faire grâce à la formule suivante :

volume de la transfusion de sang (ml) = poids du cheval (kg) x 80 ml/kg x (Ht souhaité - Ht actuel)/Ht du donneur).

Soit un cheval de 500 kg qui a un Ht de 12 % et pour lequel on souhaite un Ht de 20 %. Si le donneur a un Ht de 35 %, le volume à administrer est de 500 x 80 x ((20-12)/35) = 9 142 ml, soit 9 l.

Les donneurs et les tests prétransfusion

Les groupes sanguins chez le cheval

Il existe huit groupes sanguins reconnus chez le cheval : A, C, D, K, P, Q, U et T. Chacun correspond à un gène donné pour lequel au moins deux allèles existent. Ces gènes produisent des molécules de surface qui sont définies comme des facteurs, avec plus de 30 facteurs différents identifiés. Environ 90 % des chevaux n’ont pas d’anticorps naturels contre les globules rouges. Pour les 10 % restant, les anticorps anti-Aa, anti-Ca et anti-Qa sont le plus souvent présents. Les anticorps anti-Ca ont des effets cliniques minimes contrairement aux anticorps anti-Aa et Qa, très immunogènes et associés à des réactions sévères.

Les donneurs

Le donneur idéal est un cheval hongre, calme, en bonne santé et plutôt de grande taille (plus de 500 kg). Il n’existe pas de donneur universel du fait des huit groupes sanguins et des 30 facteurs différents. Dans l’idéal, les donneurs devraient être négatifs pour les alloantigènes Aa et Qa. Il existe des laboratoires permettant le typage des groupes sanguins, mais cela est très rarement effectué en pratique.

Les ânes et les mules ont également un antigène des globules rouges connu comme étant le donkey factor. De ce fait, ils ne devraient pas recevoir le sang d’un cheval ni donner de sang à un cheval.

Les tests prétransfusion ou crossmatch

Un crossmatch n’est pas obligatoire en situation d’urgence et lorsque le receveur n’a jamais été transfusé au préalable. Si une deuxième transfusion est nécessaire, elle peut être effectuée sans problème dans les 2 à 3 jours après la première transfusion. Néanmoins, les chevaux pouvant produire des anticorps en 1 semaine, un crossmatch sera recommandé si une deuxième transfusion est nécessaire plus de 3 jours après la première.

Dans les situations qui ne sont pas ou sont moins urgentes, la réalisation d’un crossmatch est recommandée afin de limiter les effets secondaires immunologiques et augmenter la survie des globules rouges transfusés. Des articles récents ont étudié de nouvelles techniques de crossmatch chez les chevaux plus rapides et plus faciles à mettre en œuvre au chevet de l’animal que la méthode de référence. Le kit présenté dans l’étude de Fenn et coll. (2019) requiert 20 minutes, alors que la méthode de référence prend 120 à 180 minutes. Ce kit Gel Test Crossmatch Equine est commercialisé en France par le laboratoire Alvedia (Casenave et coll., 2019).

Comment faire en pratique ?

Si une transfusion est anticipée, le donneur doit être pesé, son Ht et ses PT mesurés. Idéalement, l’Ht du donneur devrait être supérieure à 35 %. Le volume maximal que l’on peut prélever est de 20 % du volume sanguin du cheval (environ 16 ml/kg). Le sang est prélevé à partir de la veine jugulaire dans un cathéter de 10 à 12 G placé à l’opposé du flux sanguin (vers la tête du cheval). Si plus de 15 % du volume sanguin total est prélevé il est recommandé de perfuser le donneur avec une solution isotonique. La fréquence cardiaque, la fréquence respiratoire et l’attitude du donneur doivent être surveillées. Si ces paramètres ont été modifiés, ils doivent se normaliser dans l’heure suivant le prélèvement. Il convient de prélever le sang dans des poches spécialement destinées à la transfusion (photo de gauche).

Un cathéter veineux doit également être mis en place chez le receveur qui pourra recevoir la quantité de sang nécessaire dès qu’elle sera prélevée chez le donneur (photo de droite). De même, il convient de surveiller la fréquence cardiaque, la fréquence respiratoire et l’attitude du receveur au cours de la transfusion. ?

PARAMÈTRES INDICATEURS POUR DÉCIDER DE LA MISE EN PLACE D’UNE TRANSFUSION SANGUINE CHEZ LE CHEVAL

- Ht < 20 % lors d’une hémorragie aiguë.

- Ht < 12 % lors d’une anémie chronique.

- Lactatémie sanguine > 4 mmol/l.

- Gaz sanguins artériels (hypoxie).

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