L’ ÉPURATION EXTRACORPORELLE, UN SOIN ÉMERGENT EN FRANCE - La Semaine Vétérinaire n° 1857 du 05/06/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1857 du 05/06/2020

HÉMODIALYSE

PRATIQUE CANINE FÉLINE NAC

Auteur(s) : VALENTINE CHAMARD

Encore peu disponible il y a un an, avec seulement deux centres proposant ce service, trois structures privées se sont récemment équipées, bientôt rejointes par l’école Oniris. L’adaptation du matériel aux animaux et l’offre de soins toujours plus poussés par la profession expliquent cette tendance.

Au cours des 20 dernières années, les techniques d’épuration sanguine avec circulation extracorporelle se sont développées en médecine vétérinaire. Parmi elles, l’hémodialyse représente une avancée thérapeutique majeure. Transposée de la médecine humaine, son essor a été possible notamment grâce aux évolutions technologiques des appareils, qui permettent la prise en charge d’animaux de plus en plus petits. Si elles n’étaient disponibles jusqu’ici que dans deux centres - depuis 20 ans au Siamu1 de VetAgroSup (Marcyl’Étoile, Rhône) et 10 ans à la clinique Oncovet de Villeneuve-d’Ascq (Nord) -, deux structures privées se sont équipées ces derniers mois - le centre hospitalier vétérinaire Frégis (Arcueil, Val-de-Marne) et la clinique Hopia (Guyancourt, Yvelines) - et un centre exclusivement réservé à ces soins ouvre en juin, Nephraix, rattaché à la clinique Univet de Karukera (Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône). Ils seront bientôt rejoints par l’école Oniris (Nantes, Loire-Atantique) en septembre 2020.

Quelle réflexion vous a conduits à proposer ce service ?

Aymeric Avé (responsable du centre Nephraix, à Aix-en-Provence) :

Cela part d’un constat : les clients connaissent la dialyse en médecine humaine et ces techniques se développent en médecine vétérinaire outre-Atlantique ; alors pourquoi pas nous ? Et aussi d’une frustration : le praticien se trouve souvent dans une impasse thérapeutique, sans autre option que la perfusion, face à des propriétaires qui ne comprennent pas que nous ne fassions plus.

Sabine Bozon (associée à la clinique vétérinaire Hopia à Guyancourt) : Nous sommes installés à Versailles depuis 1996 et, dès l’an 2000, nous voulions mettre en place un service d’hémodialyse car aucun n’existait en région parisienne. Nous sommes allés dans des hôpitaux afin de voir des machines, de commencer à nous former, de nous renseigner sur les reins artificiels. Nous nous sommes procu ré des reins artificiels pédiatriques, afin d’étudier la transposition du processus sur les animaux, mais en vain. En effet, à cette époque, les machines nécessitaient un espace important, des évacuations d’eau qui leur étaient réservées, des ASV formées et devant rester en poste pendant plusieurs heures avec l’animal. Cette technique était encore trop lourde à mettre en place pour une structure qui venait d’ouvrir. Mais dès notre déménagement en 2019, c’est l’une des premières machines que nous avons achetée.

Maxime Cambournac (chef du service d’urgence, réanimation et soins intensifs du CHV Frégis) : L’origine du projet vient de la définition même de ce que sont la réanimation (prise en charge des animaux avec des défaillances multiples sur une durée prolongée, avec du matériel de technologie avancée) et les soins intensifs (soins de suppléance à une défaillance aiguë organique ou systémique). La mise en place de thérapies extracorporelles s’imposait donc naturellement dans l’unité de réanimation et soins intensifs de l’hôpital Frégis, créée fin 2019.

Quelles sont les indications des techniques d’épuration extracorporelle ?

Maxime Cambournac : Les possibilités thérapeutiques offertes par ces techniques ne cessent de s’accroître, les indications se déclinant désormais bien au-delà du simple “remplacement rénal”. Ainsi, en plus des insuffisances rénales, l’épuration extracorporelle permet la prise en charge d’intoxications, d’affections dysimmunitaires, voire d’insuffisance hépatique. L’objectif principal est de stabiliser les animaux en attendant une récupération fonctionnelle de l’organe défaillant. Enfin, exceptionnellement, leur usage peut être détourné comme système d’ultrafiltration pour les cardiopathies congestives réfractaires aux traitements médicaux ou comme pompe de circulation extracorporelle (shunt temporaire, déviation vasculaire, suppléance cardiovasculaire temporaire).

Aymeric Avé : Outre leurs nombreuses applications, elles permettent de se laisser du temps, de soulager l’animal tout en réfléchissant avec le propriétaire aux suites à donner. Une séance sera toujours bénéfique.

Est-ce envisageable comme en médecine humaine lors d’insuffisance rénale chronique ?

Maxime Cambournac : Bien que possible, les thérapies d’épuration extracorporelles restent encore très peu utilisées sur les affections chroniques. Par exemple, lors de maladie rénale chronique, les propriétaires doivent être en mesure de pouvoir assumer la réalisation de trois séances de dialyse par semaine, en plus de nombreux soins et médications à domicile. La lourdeur des soins dans ces contextes de traitement palliatif semble aujourd’hui peu raisonnable, en témoigne le faible nombre de cas publiés.

Aymeric Avé : Aux États-Unis, les praticiens ne se posent pas la question. Les seuls freins sont l’argent et la motivation du propriétaire. Une séance peut très bien être proposée lors d’une “poussée” sur fond d’insuffisance rénale chronique. Une seule séance peut améliorer l’état de l’animal et l’empêcher de passer dans un stade plus avancé de la maladie.

Ces soins, lourds, améliorent-ils vraiment le pronostic ?

Maxime Cambournac : Prenons un exemple concret : lors d’insuffisance rénale aiguë anurique secondaire à une leptospirose, le taux de mortalité est estimé entre 50 et 70 %. Le recours à l’hémodialyse fait chuter la mortalité à environ 20 %. En outre, en cas d’anurie réfractaire, l’hémodialyse est le seul traitement qui peut être proposé.

Ces soins sont-ils facilement acceptés par la clientèle ? Les confrères ont-ils le réflexe de référer ?

Sabine Bozon : Il s’agit de soins haut de gamme, mais indéniablement la clientèle existe comme pour toutes les thérapies extracorporelles. Nous le savons pour l’exercer depuis plusieurs années avec la circulation extracorporelle qui est un traitement beaucoup plus onéreux. Les vétérinaires réfèreront de plus en plus quand l’information sur l’existence de ce traitement et ses indications sera régulièrement diffusée.

Maxime Cambournac : La plupart des propriétaires que nous recevons, essentiellement en référé ou en urgence, sont déjà partiellement informés des coûts, des soins, et parfois même des pronostics. Certains confrères nous sollicitent a minima pour discuter des indications et des bénéfices. Néanmoins, je reste convaincu que ce type de prise en charge est encore trop peu envisagé, malgré le fait qu’elle soit proposée depuis plus de 10 ans en France.

Aymeric Avé : Je n’ai aucun doute sur le fait que des clients soient intéressés par ces traitements. Même s’ils n’osent pas toujours nous le dire, ils sont parfois plus demandeurs et mieux renseignés que ce que l’on croit. La dialyse sera facilement comprise par les clients, car elle très répandue et bien connue en humaine. Je suis aussi convaincu que les vétérinaires seront soulagés de pouvoir proposer à leur client une alternative à la perfusion et autres thérapies classiques. Dans quelques années, parler de dialyse sera commun pour le propriétaire et le praticien.

Quelles sont les implications en matière de matériel, d’équipe et de formation ?

Sabine Bozon : En plus de la machine qui permet de réaliser les différentes techniques d’épuration extracorporelle (hémodialyse, hémofiltration, ultrafiltration et plasmaphérèse), il est nécessaire de posséder de nombreux consommables (rein artificiel, système de tubing pour faire circuler le sang, des poches de dialysat, des cathéters centraux, etc.), des machines de monitoring et d’analyses sanguines (coagulation, ionogramme, gaz du sang, etc.), ainsi que des injectables spécifiques pour la réanimation quand une complication se présente. Nous disposons d’un espace aménagé dans celui de soins intensifs. Nous sommes trois vétérinaires à s’occuper de ce service. Mon mari et moi-même sommes titulaires du diplôme de circulation extracorporelle depuis 2016 et nous la pratiquons depuis environ huit ans lors de la réalisation de chirurgies cardiaques à cœur ouvert. Nous sommes donc familiarisés avec les thérapies extracorporelles. Concernant leur fonctionnement, elles sont demandeuses de personnel (un ou deux vétérinaires et une ou deux ASV) et de temps puisqu’une dialyse peut durer plusieurs heures.

Aymeric Avé : Nephraix est un service de la clinique Karukera, ce qui nous permet de bénéficier de son équipement et d’avoir un meilleur suivi des cas, tout en gardant un fonctionnement séparé avec une organisation spécifique (par exemple, le timing peut nous amener à travailler 24 heures d’affilée contrairement aux autres services) dans des locaux à part entière. Nous disposons de trois machines pouvant travailler en simultané et permettant de faire les quatre principales techniques d’épuration extrarénale. Nous réalisons des dialyses intermittentes et continues avec des machines adaptées à chacune des techniques. À côté, une dizaine d’appareils permettent de monitorer les patients. À terme, toute l’équipe sera formée sur les trois machines. Des infirmiers d’humaine nous apportent leur aide pour la formation. J’ai, pour ma part, suivi une formation aux États-Unis sur les techniques d’épuration extracorporelle chez les carnivores domestiques.

Maxime Cambournac : Nous disposons d’un Prismaflex (Gambro), machine de suppléance organique de réanimation standard en médecine humaine. Elle nous permet la réalisation des différentes thérapies d’épuration extracorporelle.

Ce matériel s’intègre dans un ensemble nécessaire à une prise en charge globale : laboratoire complet, monitoring continu, pompe à perfusion, pousse-seringues, etc. Une banque de sang est également souhaitable, car environ 80 % des chats et 35 % des chiens nécessitent au moins une transfusion à la suite de cette prise en charge. Pour ce qui est de l’équipe, elle doit être en mesure de gérer des cas lourds et complexes, et ce de jour comme de nuit. En effet, en dehors des sessions d’épuration, les répercussions de la défaillance organique se poursuivent (déséquilibres électrolytiques, troubles de l’hémostase, voire détresse respiratoire). Le rôle des soins infirmiers est primordial (quantification régulière de la production d’urine, entretien des sondes et du cathéter jugulaire de dialyse), afin de limiter les complications. La disponibilité totale d’une personne spécialisée2 pendant toute la durée de la session est requise. Celle-ci doit posséder des connaissances pointues en physiologie, en physiopathologie et pour la prise en charge de “patients” critiques. Les seules formations disponibles en thérapies extracorporelles sont dispensées soit aux États-Unis, soit en médecine humaine. Enfin, la gestion médicale complète d’un animal traité par épuration extracorporelle exige aussi une importante expérience clinique.

Ce service peut-il être rentable ?

Maxime Cambournac : Le coût d’achat du matériel est variable. Les dernières générations de machines multithérapies atteignent les 50 000 €. À cela, il faut ajouter le coût des maintenances. Selon les machines, il peut être nécessaire d’investir dans un circuit d’eau pour le service, associant filtre, stérilisateur et circuit clos. À cela s’ajoute le prix du consommable, à usage unique pour chaque séance, qui, selon les techniques choisies, peut coûter jusqu’à 800 €. Enfin, parce qu’il s’agit de thérapies de support, ces traitements s’intègrent dans un protocole de soin global. Ainsi, il est indispensable de disposer de l’ensemble du matériel. Considérant les différents coûts par rapport aux prix facturés (entre 300 et 800 € la séance), et finalement aussi le nombre limité de sessions, le coût total en matériel reste diffcilement rentabilisable, même pour une grosse structure.

Sabine Bozon : Nous avons acheté une machine neuve que nous amortissons sur cinq ans et nous avons stocké un nombre suffisant de consommables nous permettant de réaliser 20 dialyses environ avec des kits de toutes les tailles, du chat au gros chien. La rentabilisation sera plus ou moins longue en fonction du nombre de dialyses réalisées chaque mois.

Aymeric Avé : C’est un investissement lourd, chronophage dans la mise au point du service comme dans la réalisation des thérapies. C’est donc forcément plus difficile pour les petites structures. La rentabilité de ce type de service est un vrai défiqui demande de bien réfléchir avant de se lancer. Cela dépend de nombreux paramètres, notamment de la motivation des équipes et de leur capacité à s’adapter aux nouvelles contraintes.

Est-ce un service voué à se développer ?

Aymeric Avé : Sans aucun doute. La qualité et la technicité des soins progressent dans le monde vétérinaire, les clients sont de plus en plus demandeurs de solutions, le développement de la dialyse correspond à l’évolution normale des soins vétérinaires. Les clients ne comprendraient pas pourquoi on leur dit que quelque chose n’est pas possible alors qu’ils le trouvent sur Internet.

Sabine Bozon : Oui, certainement, en raison des demandes croissantes de soins haut de gamme de la part des propriétaires d’animaux de compagnie et par la communication. L’hémodialyse est en effet une technique de médecine humaine connue des propriétaires.

Maxime Cambournac : Oui et non. Le développement et la reconnaissance de la spécialité européenne en urgences et soins-intensifs, l’évolution de la médecine vétérinaire, ainsi qu’une demande toujours croissante des propriétaires pour soigner leurs compagnons sont autant de facteurs pouvant contribuer au développement des services de réanimation et d’épuration extracorporelle. À l’inverse, les connaissances physiologiques poussées, les besoins en personnels compétents et le coût du matériel limitent le nombre de centres équipés. D’autre part, il ne faut pas oublier que ces thérapies extracor porelles ne sont que des soutiens lors d’une prise en charge médicale complexe, et le plus souvent onéreuse.

1. Soins Intensifs, anesthésiologie et médecine d’urgence.

2. Maxime Cambournac est spécialiste européen en médecine d’urgence et soins intensifs et titulaire du Certificate of Veterinary Hemodialysis.

PRINCIPE

Quelle que soit la technique choisie, les thérapies d’épuration extracorporelle reposent sur des concepts communs. Le sang de l’animal est prélevé via un cathéter jugulaire central de dialyse, circule dans un circuit spécifique, puis passe dans un filtre (“rein artificiel”), dont les caractéristiques sont définies selon les objectifs de la séance, la technique d’épuration et l’animal. Le sang est ensuite restitué épuré à l’animal via une autre voie du cathéter. Au cours du passage dans ce filtre spécifique, différents mécanismes peuvent être utilisés pour l’épuration, définissant ainsi l’hémodialyse, l’hémofiltration ou l’hémodiafiltration. L’hémoperfusion repose sur l’utilisation d’une cartouche de charbon pour adsorber certains toxiques. Enfin, la plasmaphérèse consiste en la séparation du plasma et des cellules sanguines via un filtre, puis au remplacement du plasma extrait par un plasma d’un donneur sain.

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