BIEN-ÊTRE ANIMAL : LE VÉTÉRINAIRE CHERCHE SA VOIX (E) ! - La Semaine Vétérinaire n° 1857 du 05/06/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1857 du 05/06/2020

DÉBAT

ANALYSE

Auteur(s) : TANIT HALFON

Le vétérinaire doit-il se positionner sur tous les sujets relatifs au bien-être animal ? De quelle manière prendre la parole ? Qui devrait le faire ? De nombreuses questions émergent dans ce domaine. La journée de réflexion sur le bien-être animal qui s’est tenue à l’ENVA le 11 mars a apporté quelques pistes de solutions.

Le discours du député des Alpes-Maritimes et vétérinaire de formation, Loïc Dombreval, est connu, tant il le répète régulièrement. « Le bien-être animal n’est pas un effet de mode. (…) Pourtant, nous n’entendons pas tellement les vétérinaires, et pas de façon collective. (…) Que pensent, au fond, les vétérinaires de tout cela », a-t-il dit en substance au cours d’un séminaire de réflexion sur le positionnement des vétérinaires vis-à-vis du bien-être animal qui s’est tenu à l’École nationale vétérinaire d’Alfort (ENVA) le mercredi 11 mars. Organisée par VetAgro Sup, et notamment Luc Mounier, le directeur de la chaire bien-être animal, la journée a accueilli une quarantaine de personnes, des représentants des organisations professionnelles, du ministère, des écoles, mais aussi des parlementaires. « La voix vétérinaire est silencieuse, a aussi affirmé Jean-Pierre Kieffer, président de l’œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA). Nous avons laissé filer peut-être une responsabilité qui est la nôtre. (…) Il faut reprendre le flambeau de la protection animale car ceux qui s’en réclament font de l’anthropomorphisme. » En vérité, les vétérinaires sont bien conscients de l’importance du sujet, en témoignent les résultats d’un sondage réalisé par la chaire bien-être animal, auprès de vétérinaires praticiens, inspecteurs de santé publique et d’étudiants1, et présenté lors de cette journée. S’ils considéraient le sujet essentiel, environ 80 % des répondants se sont aussi estimés légitimes à se saisir des enjeux liés au bien-être animal. À la même hauteur, ils ont affirmé avoir une position personnelle forte sur le sujet et que le vétérinaire n’était, de plus, pas assez entendu dans les débats actuels de société. Se pose malgré tout un premier problème de taille : la profession doit-elle se positionner sur tous les sujets ? Oui, pour le député. « Il faut une prise de position claire sur la corrida, la chasse à courre….le cirque, l’abattage sans étourdissement. (…) Cette prise de parole est indispensable pour équilibrer ce sujet passionnel de paroles scientifique », a-t-il soutenu.

Un débat complexe

La profession a, en réalité, déjà pris la parole. En 2015, le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (CNOV) s’était opposé à l’abattage sans étourdissement préalable. En 2016, c’est la corrida qui était décrite comme « aucunement compatible avec le respect du bien-être animal. » L’été dernier, l’Ordre réagissait aux photos circulant sur Internet d’un vétérinaire ayant participé à un safari en Afrique. Appelant à la modération sur les réseaux sociaux, face à une activité légale et personnelle, il avait souligné néanmoins que chaque vétérinaire devait se questionner sur certaines de ses activités susceptibles de porter atteinte au bien-être animal. Ces deux dernières affaires illustrent une question difficile, comme l’a plusieurs fois évoqué Jacques Guérin, le président de l’Ordre, au cours du séminaire : en matière de bien-être animal, où placer le curseur ? Si l’Ordre est capable de donner des repères éthiques, via les chambres de discipline ou les contentieux, « je me refuse que l’Ordre juge moralement telle ou telle personne », a-t-il martelé, évoquant une forme d’abolition entre la sphère privée et professionnelle, et le risque d’être liberticide.

Une éthique à définir

Certains sujets peuvent aussi entraîner sur une pente plus glissante, alerte un participant. « Quand l’Ordre prend une position contre la corrida, on se réfère à une éthique abolitionniste. (…) À chaque fois qu’on le fait, cela ouvre la porte à toutes les autres voix abolitionnistes, a-t-il affirmé, en enchaînant sur la souffrance animale : « Les animaux souffrent tout le temps, comme nous ! (…) Je pense qu’il faut d’abord définir l’éthique de la profession vétérinaire. » Face à ces difficultés, un participant a rappelé que le débat entre abolitionniste et utilitariste n’était pas si simple et que les associations abolitionnistes avaient accompli des choses pour les animaux. « On peut dire qu’on est utilitariste, à condition de reconnaître qu’on ne fait pas bien notre job ! Pourquoi y a-t-il encore tant de problèmes en abattoir ? (…) Notre problème est d’être plus exigeant sur nos pratiques. » Par conséquent, pour le débat public, certains proposent de rester sur un terrain plus connu. « La discussion tourne autour de sujets sur lesquels on est en réaction, dans la défensive. Pourquoi ne pas prendre la parole sur des sujets positifs vis-à-vis du bien-être animal, sur lesquels on est légitime en tant que profession et pour lesquels on peut parler d’une même voix, a ainsi souligné un participant. Par exemple, dire que le bien-être commence par la santé. » Un avis partagé par d’autres, qui ont parlé d’étapes : d’abord, traiter de sujets simples, de santé, scientifiquement prouvés, pour ensuite envisager d’aborder les autres. A contrario, certains ont évoqué le paradoxe à se positionner en tant que garant du bien-être animal tout en se limitant à un discours sur la santé, et souligné un danger : face à deux mondes qui s’opposent, abolitionnistes et utilitaristes, « on ne doit pas rester simple technicien. Il faut que la profession se positionne vis-à-vis de l’animal. (…) Est-ce qu’on est “spéciste” ou pas ? Il faut se poser la question », a affirmé Denis Avignon, le vice-président du CNOV.

S’aider de la marque vétérinaire

Au-delà du positionnement de la profession, qui en sera le porte-parole ? Pas si simple non plus. Comme l’a rappelé Jacques Guérin, il n’y a pas une voie mais plusieurs voix vétérinaires. « Je crois que les attentes ne sont pas les mêmes en fonction des différents segments de la profession vétérinaire. On parle de leadership, mais ça correspond à quelles catégories de vétérinaires ? », s’est-il demandé. Dans le sondage justement, la question de la représentation a été posée. Quatre tendances ont été notées : d’abord, les vétérinaires dans leur exercice quotidien, suivi de l’Ordre, des associations d’éleveurs et enfin de l’État. Qui choisir ? Plusieurs participants ont suggéré un début de réponse : la marque “Vétérinaire pour la vie, pour la planète”, qui a d’ailleurs déjà été utilisée récemment dans la campagne de lutte contre les hypertypes lancées par l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie. « L’Ordre vétérinaire en tant que tel n’est pas légitime pour prendre position au titre du corps professionnel vétérinaire, mais c’est là que la marque a tout son intérêt. Elle va rassembler l’ensemble des composantes vétérinaires », a souligné le président de l’Ordre, en ajoutant qu’il fallait aider les praticiens avec des lignes de conduite pour qu’ils ne soient pas seuls à travailler sur le côté opérationnel. Quelle que soit la voie, comme la voix, que choisira la profession, Christophe Brard, président de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires, comme Luc Mounier, préviennent : il faudra se montrer pro actif sur ces sujets. Personne n’ira chercher les vétérinaires tant qu’ils ne se positionnent pas.

1. 1 730 répondants, dont environ 20 % de praticiens canins, 16 % de praticiens mixtes et 13 % d’inspecteurs de santé publique vétérinaire, environ deux tiers de femmes, près d’un quart de la population étudiante nationale.

Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr