« LA SITUATION EST TRÈS TENDUE AU NIVEAU DES CENTRES ÉQUESTRES » - La Semaine Vétérinaire n° 1856 du 29/05/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1856 du 29/05/2020

LA FILIÈRE ÉQUINE FACE À LA CRISE

PRATIQUE MIXTE

Auteur(s) : MARINE NEVEUX

En cette période de bouleversements liés au Covid-19, Jean-Roch Gaillet a dû gérer la réorganisation de l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE), qu’il dirige. Si les activités reprennent petit à petit, l’impact économique de la pandémie est élevé et menace les différents secteurs de la fi lière équine en France.

Comment se sont déroulés ces deux derniers mois à l’IFCE ? Comment avez-vous géré les enjeux sanitaires de la crise ?

Nous privilégions la sécurité du personnel. Pour les métiers où le télétravail n’est pas possible, nous avons recours à une autorisation spéciale d’absence : les personnes sont alors payées mais ont une obligation de prendre des jours de RTT ou de congé. Sur ces fonctions, nous réalisons un roulement. Pour les palefreniers-soigneurs, le but est de faire travailler chacun à tour de rôle afi n que l’absence soit répartie sur l’ensemble du personnel.

Sur les 749 chevaux de l’ICFE, plus de 120 chevaux de formation ont été placés au pré durant le confi nement. Ils sont habitués à y aller chaque été en l’absence des stagiaires. Pour les chevaux de sport de haut niveau, au début de la crise, nous ne savions pas que les Jeux olympiques et paralympiques allaient être annulés. Ils ont donc été maintenus au travail, de même que pour ceux du Cadre noir qui servent aux présentations et autres galas.

La charge de travail par palefrenier a été augmentée afi n d’en limiter le nombre et qu’ils soient donc le moins possible en contact. Les déjeuners ou cafés ont aussi été pris de façon séparée.

En pratique, les écuyers ont dû travailler différemment pour éviter tout risque de contamination avec les palefreniers : ils doivent panser, seller, remettre au box les chevaux. Ils gèrent tout. Les écuyers montent aujourd’hui en moyenne sept chevaux par jour, soit plus que d’habitude. Cela nécessite donc beaucoup d’organisation.

Nous avions conservé des stocks de masques FFP2 une fois le risque de grippe aviaire passé. Nous avons offert plus de 20 000 masques à l’ARS1, qui a géré la redistribution.

Deux fois par semaine, nous avons remonté le nombre d’agents en suspicion de Covid-19. L’IFCE a été touché de plein fouet par la pandémie avec le décès d’un de ses collaborateurs, Thierry Le Borgne, victime du Covid-19. Notre collaborateur avait beaucoup contribué aux travaux d’architecture en équine et au bien-être des équidés.

Le déconfinement est-il serein ?

Nous avons écrit un plan de retour à l’activité où l’on a traité l’ensemble des sujets liés au déconfi nement. Pour le Sire2, nous avons fait revenir des personnes en les répartissant dans les bureaux tout en maintenant les distances. Pour les contacts avec le public ou pour les jeunes en formation, le port du masque est obligatoire. Le télétravail reste privilégié. On ne pensait pas progresser aussi vite en télétravail, on l’a fait à marche forcée. Les agents alternent leur présence sur site.

Et la formation ?

On a eu le droit de reprendre les formations professionnelles. Nos écuyers, qui sont des enseignants, ont mené la formation à distance pour instruire les jeunes, les faire avancer dans le passage des diplômes, et sélectionner les candidats pour les formations qui débutent en septembre. Pour la partie à cheval, nous gérons par autorisation de déplacement.

Globalement, pour l’ensemble des formations sport, des aménagements ont été apportés aux modalités de contrôle de connaissances.

Le Sire fonctionne-t-il ?

Pour le Sire, nous n’avons pas pu garder l’ensemble de l’activité (passeport ou identifi cation), il y a un retard dans le traitement. Pendant le confi nement, nous avons arrêté l’identifi cation et le contrôle afi n de garantir la sécurité sanitaire, mais l’activité repart aujourd’hui.

Les courses ayant repris, on a dû mettre à jour les chevaux qui circulent en Europe. Pour relancer la fi lière, les gens sont revenus, avec des distances de sécurité. 20 % de l’identifi cation est effectuée par les vétérinaires, certains ont continué cette activité à l’occasion d’une visite.

La saison de monte est-elle bouleversée par le confinement ?

L’aspect économique n’est pas bon, cela n’aura pas poussé les gens à mettre leurs chevaux à la reproduction. Nous avons vite communiqué sur la monte : les conditions de sécurité, les gestes à assurer, etc. Une note a été rédigée et les recommandations ont été suivies.

Si le confinement, démarré mi-mars, avait interrompu la monte pendant 15 jours, nous aurions pu attendre car c’était le début de la monte ; par exemple, seulement 6 % de la reproduction (saillies) aurait été reportée sur les chevaux de course en mars. Néanmoins, pour les chevaux de course, on a plus d’intérêt à avoir des foals nés tôt dans l’année. Sur les autres chevaux, nous avions moins de pression.

Quelles sont les conséquences économiques pour l’IFCE ?

Nous avons annulé les visites et les galas à Saumur. On espère que l’on pourra les tenir à plus petit effectif en juillet. L’arrêt des galas représente la part la plus importante de la baisse du chiffre d’affaires, auquel s’ajoutent l’arrêt des formations courtes et le foin supplémentaire qu’il faudra acheter (car les chevaux ont été mis au pré). À ce jour, les pertes sont de l’ordre de 750 000 €. Nous prévoyons une perte de 1 million d’euros sur 2020.

Et pour la fi lière ?

L’approche économique révèle une situation catastrophique dans les centres équestres : ce sont 226 000 chevaux et poneys d’instruction qu’il faut continuer à nourrir, à ferrer. Les seuls coûts pour maintenir le bien-être des animaux représentent 52,8 millions d’euros par mois. En outre, les cours d’équitation ne vont pas redémarrer de suite. Certains cavaliers vont revenir, mais l’activité équestre dans les centres de loisirs, les mairies, les colonies de vacances, les lycées agricoles, le tourisme équestre est compromise cet été. La catastrophe est consommée. Une vraie aide arrive du côté du ministère de l’Agriculture. L’activité des chevaux de propriétaires va aussi être difficile pour ceux qui vont subir des difficultés fi nancières. Après les centres équestres, la catégorie qui souffre le plus est celle des entraîneurs et des propriétaires, surtout chez les trotteurs, avec certainement des personnes qui vont avoir du mal à s’en sortir. Comme il y a eu une décision de baisser les allocations en raison de l’arrêt des courses, c’est compliqué.

Au niveau du PMU : plus de 90 % des gens ont été mis au chômage partiel. Au début, une partie des courses ont été maintenues avec l’Irlande et la Suède, mais les points de vente étant fermés, les gens ne pariaient pas. Les concours de la SHF reprennent actuellement. Les centres équestres aussi, les club-houses sont fermés, les cavaliers arrivent juste pour leur heure d’équitation.

Pour les courses : à l’accueil, le fi ltrage est bien organisé, les personnes portent des masques, ils arrivent juste avant les courses, il n’y a aucun public ; les risques sont ainsi très limités. Les courses attirent les concurrents : le prix du président de la République a regroupé 20 partants ces dernières semaines ! Dans les départements en zone rouge, l’arrêt des courses a été décidé.

Qu’est-ce qui vous préoccupe le plus ?

La situation est très tendue au niveau des centres équestres. Il faut également que les chevaux puissent courir et que les paris redémarrent afi n que le public habituel puisse parier et, pour cela, il faut disposer de vraies courses.

Pour l’organisation des concours de la SHF3, les prestataires de concours doivent être au point et respectueux des mesures sanitaires. De même, les concours hippiques méritent de redémarrer, mais dans de bonnes conditions sanitaires.

1. Agence régionale de santé.

2. Système d’information relatif aux équidés.

3. Société hippique française.

UNE ENQUÊTE DE L’IFCE POUR ÉVALUER LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES SUR LA FILIÈRE

En avril, le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation a passé commande d’une enquête afi n d’évaluer l’impact économique de la pandémie. Le questionnaire qui a été élaboré avec l’appui technique de l’IFCE a livré ses premiers résultats1. Les effets du confi nement en mars ont généré une perte du chiffre d’affaires de 35 à 50 %. Cette incidence augmente considérablement, à 50 % de perte pour les entraîneurs de galop, jusqu’à 80 % du chiffre d’affaires en avril chez les entraîneurs de trot et les établissements équestres. Une large majorité d’entreprises font face à une valeur ajoutée négative compte tenu de charges maintenues à un niveau élevé.

www.bit.ly/3gnMYsv.

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