LE MOUTON, UN DÉFI POUR LE BIEN-ÊTRE ANIMAL - La Semaine Vétérinaire n° 1854 du 15/05/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1854 du 15/05/2020

ÉLEVAGE

PRATIQUE MIXTE

Auteur(s) : LORENZA RICHARD

Alors que leurs modes et conditions d’élevage sont variés, la réglementation concernant le bien-être des ovins reste peu documentée. C’est le sujet du mémoire soutenu par Charlotte Simon, praticienne rurale à Lacaune (Tarn), en octobre 2019. Notre consoeur nous fait part de ses recherches et de ses observations.

Quels problèmes soulevez-vous dans votre mémoire1 soutenu pour l’obtention du diplôme d’établissement Protection animale, de la science au droit (DE PASD)2 ?

Charlotte Simon : La réglementation européenne est généraliste et seule la recommandation du 6 novembre 1992 concerne les ovins3. De plus, les données chiffrées contenues dans le règlement du Conseil européen du 22 décembre 20044 sur le transport d’ovins vivants ne semblent pas toutes adaptées. Par exemple, la quantité minimale d’eau de 4 l indiquée pour tout ovin est insuffisante selon les animaux et leur stade physiologique. Des lacunes législatives en ce qui concerne le bien-être des ovins sont ainsi pointées dans un rapport de 2017 de la Direction générale des politiques internes5. En France, la législation sur l’élevage est également généraliste. En revanche, le Guide de bonnes pratiques pour le transport des ovins6 délivre 302 recommandations assez précises, mais il serait intéressant de savoir si celles-ci sont suivies sur le terrain. Enfin, l’espèce ovine est peu étudiée, sans doute en raison du faible poids économique de l’élevage ovin en France par rapport à celui de l’élevage bovin.

Aucun critère de bien-être n’est prévu pour les ovins ?

Des normes de bien-être animal applicables aux ovins sont définies dans les filières dites de qualité, c’est-à-dire les appellations d’origine protégées, les indications géographiques protégées, les filières bio et Label rouge. Cela ne concerne pas les autres élevages, quel que soit le type de production : allaitante, laitière, etc. Cependant, à la suite des États généraux de l’alimentation, la filière ovine dans son ensemble s’est engagée dans une démarche d’amélioration continue du bien-être animal, notamment avec une montée en gamme des produits. La commission ovine de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires effectue ainsi actuellement un travail d’identification des points critiques susceptibles d’impacter la bientraitance des moutons en élevage. L’Idele, Institut de l’élevage, développe également un outil d’évaluation et de gestion du bien-être pour accompagner les éleveurs dans une démarche de progrès chez les ovins et les caprins, qui devrait être déployé sur le terrain à partir de 2022.

Quels critères pourraient être retenus ?

Pour garantir le bien-être des moutons en élevage, plusieurs critères sont nécessaires, mais pas forcément suffisants. Ils reposent sur les cinq libertés fondamentales7. Outre l’apport d’une nourriture adaptée, d’un accès à l’eau permanent et de soins en cas de blessure ou de maladie, il convient de permettre à ces animaux grégaires d’établir des interactions sociales entre eux au sein de troupeaux, et de leur fournir environnement calme, sécurisant et confortable. Ce sont en effet des animaux craintifs et très sensibles au stress. Chez un de nos éleveurs, une centaine de brebis sont ainsi mortes étouffées en se tassant dans un coin du bâtiment après l’entrée d’un chien, qui a déclenché un mouvement de panique. Le calme et la retenue sont ainsi de mise lorsque nous les côtoyons. L’attention des éleveurs est également essentielle. Par exemple, lorsque deux moutons entrent dans le même cornadis pour manger, celui du dessus peut étouffer celui du dessous si la personne n’est pas réactive. Enfin, les moutons s’expriment peu lorsqu’ils sont stressés, inconfortables ou douloureux, et cela complique l’évaluation de leur état de bien-être.

Comment cela se passe-t-il en pratique ?

Les éleveurs sont payés en fonction de la qualité du lait qu’ils fournissent, mais ils n’ont aucune valorisation s’ils améliorent le bien-être des animaux dans leurs troupeaux. Je trouve cela dommageable pour les moutons, bien sûr, mais aussi pour l’ensemble de la filière ovine. Les visites sanitaires bovines réalisées dans notre clientèle nous ont permis de constater que les éleveurs sont sensibles au mal-être de leurs moutons mais qu’ils ne savent pas forcément en identifier les signes. Ils sont régulièrement confrontés à la nécessité de mettre à mort eux-mêmes leurs brebis pour des raisons médicales. C’est diffcile psychologiquement pour certains. Pour éviter toute souffrance inutile, nous avons proposé d’euthanasier gratuitement tous les animaux devant l’être dans le cadre d’un contrat annuel de soins. Des éleveurs ont accepté et posent beaucoup de questions durant l’acte. De même ils peuvent, avec cette contrac tualisation, venir consulter à la clinique autant de fois que nécessaire sans contrainte économique.

La clinique où vous exercez est ainsi engagée dans une démarche d’amélioration du bien-être des ovins ?

Tout à fait. Cela nous a également conduits à distribuer à nos éleveurs des documents que nous avons rédigés, pour limiter la douleur lors de certaines pratiques, comme l’écourtage des queues, pour rappeler les bonnes méthodes de sevrage, etc. C’est important, notamment en élevage allaitant, où les moutons n’ont pas une grande valeur économique et donc où ils ne voient pas souvent les vétérinaires. De plus, nous recruterons cet été une stagiaire en BTS pour nous aider à avancer sur cette problématique, en analysant la perception par notre clientèle du bien-être des ovins dans les élevages de la région. Enfin, une formation serait également nécessaire pour les propriétaires de moutons de compagnie ou les petits élevages allaitants familiaux, qui sont des néophytes, ainsi que pour les vétérinaires qu’ils consultent, souvent des praticiens canins qui connaissent également peu les ovins.

Que pourriez-vous conseiller aux vétérinaires ?

Il est primordial pour les vétérinaires de se former et de s’impliquer dans la problématique du bien-être des ovins. Leur expertise sera d’autant plus appréciable dans ce domaine que ce sont des animaux qui s’expriment peu et aux modes d’élevage ou de détention très variés. Par ailleurs, devant l’importance du sujet et la forte attente des consommateurs, il est primordial que les industriels deviennent des partenaires des vétérinaires dans ce projet d’amélioration du bien-être des ovins en se concertant avec eux pour identifier les bonnes pratiques et les valoriser.

1. Simon C. Étude des normes européennes et nationales de bien-être animal en élevage ovin. ENSV-VetAgro Sup. 2019:57p.

2. Diplôme délivré par l’École nationale des services vétérinaires-VetAgro Sup.

3. Recommandation du 6/11/1992 adoptée par le comité permanent lors de sa 25e réunion.

4. www.bit.ly/2A3gRh9.

5. www.bit.ly/2WzdLsG.

6. www.bit.ly/3c9vuO1.

7. Énoncées par le Farm Animal Welfare Council en 1992.

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