UNE EXPÉRIMENTATION QUI SERVIRA AU CONSENSUS ? - La Semaine Vétérinaire n° 1853 du 08/05/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1853 du 08/05/2020

TÉLÉMÉDECINE

FAIRE FRONT AU COVID-19

Auteur(s) : TANIT HALFON

Si la demande d’autoriser la télémédecine, dans ce contexte de crise, a pu surprendre certains, cela n’inquiète globalement pas les instances ordinales vétérinaires. À condition d’être vigilant sur le cadre.

Lors de la dernière réunion entre les conseils régionaux ordinaux (CRO), organisée une fois par semaine depuis le début de la crise, l’assemblée est arrivée à un consensus sur la télémédecine. Personne n’est opposé à la téléconsultation1, à condition d’y adjoindre un cadre adapté, résument les présidents du CRO Bourgogne-Franche-Comté, Grand-Est et Occitanie interrogés sur cette question. Au CRO Grand-Est, Jean-François Rubin rappelle que « cette demande découle logiquement des préconisations du gouvernement qui a appelé, dans ce contexte de crise, à faire le plus possible du télétravail ». « Pour les organisations professionnelles vétérinaires, cela vient au bout d’une réflexion de deux ans », précise-t-il également. Au Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (CNOV), Denis Avignon, son vice-président, en charge du sujet, le souligne aussi : « Le dossier de la télémédecine n’a pas émergé dans l’urgence, nous y travaillons depuis 2016, en association avec le SNVEL2 et les organismes techniques vétérinaires historiques. » Et de citer notamment le rapport sur la télémédecine de l’Académie vétérinaire de France rendu fin 2017, ainsi que les réflexions menées dans le cadre du projet Vetfuturs. « En début d’année, peu de temps avant le début de la crise liée au Covid-19, nous avions organisé une réunion interne en présence des organisations professionnelles déjà mentionnées, au cours de laquelle un projet de texte législatif proche du décret avait été adopté à l’unanimité », poursuit-il. Il ajoute : « La télémédecine permet de répondre aux consignes de distanciation sociale du gouvernement pour certains cas. Cela ne remplace pas la consultation physique ! » Au moment de la rédaction de notre article, le dossier est toujours entre les mains du Conseil d’État, le passage du texte ayant été refusé via ordonnance début avril.

Soigner le cadre

Mais s’il y a consensus sur le fait d’ouvrir la médecine vétérinaire à la téléconsultation, le timing soulève des questions. « Le projet ne nous a pas été présenté comme une priorité, et ne nous semblait pas complètement finalisé », soutient Gérald Vignault, président du CRO Bourgogne-France-Comté, citant les dernières assises de l’Ordre début 2019, durant lesquelles le sujet avait été évoqué comme quelque chose de plus ou moins lointain. Gérald Vignault n’est pas opposé à la téléconsultation, « ni par temps calme ni en temps de crise », même s’il reconnaît que certains dans son CRO ne sont pas du même avis. Cependant, il affirme : « La crise du Covid-19 a permis d’accélérer la mise en place de la télémédecine, de plusieurs mois ou années, mais sera autorisée après la bataille, comme l’a signalé Jacques Guérin, à cause du délai de mise en place du décret. De fait, la télémédecine ne présente plus d’intérêt dans le contexte de la crise, mais reste un moyen complémentaire de l’exercice vétérinaire. » Il indique être vigilant aux éventuelles dérives, citant le rapport de l’Académie vétérinaire qui avait identifié un certain nombre de menaces potentielles. « Nous craignons que la téléconsultation puisse être utilisée comme un moyen de captation de clientèle à distance, et de prescription-délivrance hors du contexte légalement autorisé », précise-t-il, le premier risque visant plutôt l’exercice canin, quand le deuxième vise la rurale. De fait, raisonner filière par filière serait intéressant « en imaginant un fonctionnement spécifique pour chaque domaine d’exercice, avec ses limites ». Finalement, il estime qu’il reste « encore du travail à faire sur le bornage et ses modalités de contrôle » et « qu’une écriture claire évitera des interprétations déviantes. »

« Il ne faut pas se tromper de cible »

Pour Denis Avignon, l’affairisme qui nuit à l’exercice rural, n’a nul besoin de la téléconsultation. « Les personnes qui enfreignent les règles de la prescription hors examen clinique dans les élevages en tenant officine ouverte, n’ont besoin que d’un simple téléphone pour contourner la loi. Il ne faut pas se tromper de cible, et intenter un mauvais procès à la télémédecine, affirmet-il. Je pense qu’il vaudrait mieux consacrer son énergie à défendre auprès de nos autorités un aménagement du décret prescriptiondélivrance, instaurant le couplage de l’habilitation sanitaire du véritable vétérinaire traitant au suivi sanitaire permanent des élevages. » Pour lui, le cadre de l’expérimentation est clair, il l’explique : « Il n’y a pas de liste positive d’actes, c’est de la res ponsabilité du vétérinaire de décider si une téléconsultation est indiquée. La téléconsultation ne pourra se faire que dans le cadre d’un contrat de soins et sera reliée au domicile professionnel d’exercice. Il ne s’agit pas d’avoir un centre de télémédecine pour 20 cabinets vétérinaires, mais bien pour sa clientèle. » D’autres obligations s’ajoutent : « L’animal devra avoir été vu depuis moins de 12 mois pour la médecine individuelle. Pour la médecine de troupeau, dans le cadre du suivi sanitaire permanent, le délai est de moins de 6 mois, mais nous avons demandé à ce qu’il puisse être étendu à 12 mois dans certaines circonstances, liées par exemple à des problèmes de maillage ». Il en est convaincu, la télémédecine permettra de renforcer le suivi sanitaire permanent, sachant bien que « la téléconsultation et la télésurveillance ne peuvent se substituer à la dispensation régulière de soins, d’actes de médecine ou de chirurgie défi nie dans l’article R.5141-112-1 du Code de la santé publique ». Sans oublier, non plus, que « le Code de déontologie s’applique à télémédecine, de ce fait les obligations de permanence et de continuité des soins sont les mêmes. »

Tirer les leçons de l’expérimentation

Un cadre réglementaire bien fi celé donc, selon Denis Avignon, qui aidera aussi à stopper certaines dérives. « Nous surveillons depuis longtemps, de nombreuses plateformes de téléconsultation, qui font dans certains cas de la téléconsultation. Avec un texte légiférant la télémédecine, nous pourrons clairement passer de la phase d’avertissement à la phase contentieuse. » Mais le plus grand des avantages du texte réside dans le fait que c’est une expérimentation, ce qui permettra d’en tirer un bilan et d’adapter les choses si nécessaire. À ce sujet, tout vétérinaire souhaitant participer à l’expérimentation devra obligatoirement en faire la déclaration auprès de son CRO. La durée retenue par le Conseil d’État de la phase d’expérimentation n’est pas connue. « L’idéal serait 18 mois, indique Denis Avignon. Cela permettrait d’avoir le recul nécessaire, de rédiger, à partir de 12 mois, un rapport d’activité, et d’adapter les textes si besoin ». Par exemple, « nous verrons s’il faut élaborer un cahier des charges spécifi que pour les outils de télémédecine », précise-t-il. N’importe quel outil de visioconférence, payant ou gratuit, et avec une bonne qualité de son et d’image, sera a priori autorisé. Cette expérimentation permettra-t-elle aussi d’ouvrir un débat plus large ? Comme l’indique Gérald Vignault, « des confrères de terrain font actuellement remonter à leurs conseillers ordinaux ou sur les réseaux sociaux, des demandes de discussions approfondies pendant les mois d’expérimentation, afi n de bien cadrer les choses ». Et fi nalement, l’expérimentation montrera-t-elle que la téléconsultation n’est qu’un outil, comme le rappelle un autre président de CRO, Laurent Sauvagnac, d’Occitanie ? « Ça suscite des peurs. Que cela devienne indispensable pour certaines pratiques, pourquoi pas. Mais ce n’est qu’un outil d’appoint et rien ne pourra remplacer les actes vétérinaires classiques. » Jean-François Rubin complè te : « Cela m’apparaît nécessaire et utile, mais sans compro mettre le contrat de soins, les rapports humains et les investigations nécessaires au diagnostic. »

1. Comme pour une consultation classique, la téléconsultation peut aboutir à une prescription.

2. Syndicat national d’examiner le texte relatif à l’expérimentation de la télémédecine vétérinaire proposé par le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires.

Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr