LA VIE PENDANT LA CRISE - La Semaine Vétérinaire n° 1853 du 08/05/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1853 du 08/05/2020

CARNET DE BORD

FAIRE FRONT AU COVID-19

Auteur(s) : FRÉDÉRIC DECANTE

Deux vétérinaires praticiens, Frédéric Decante et Sylvain Balteau, nous livrent leurs émotions face à une crise majeure qui impacte bien plus que la vie professionnelle.

DE L’HOMME ET DE LA BÊTE ET DE L’HOMME ET DE LA DISTANCIATION SOCIALE

Quand il est question de lutter contre le Covid-19, la distanciation sociale en constitue l’alpha et l’oméga. Soit donc un vétérinaire lambda, un peu bêta, comptant sans doute pour epsilon, se sentant un peu nu dans son êta, pi, kappa grande protection disponible mu qu’il est de se protéger, faisant phi de ne bouger d’un iota ; il y a de quoi perdre son alphabet latin quand bien même serait-il grec. Plus dure est la peine de faire respecter cette fameuse distanciation sociale dans le cadre de notre activité quotidienne. Avouons que bises et serrages de paluches ont vite disparu de notre paysage familier et professionnel car, sans doute, chacun y a vu un juste retour face à l’excès. Mais, malgré une légère surdité naissante me permettant d’en abuser quand elle m’est reprochée (faites redire plusieurs fois la même chose à celui ou celle qui vous reproche cette surdité et le reproche ne reviendra pas…), je ne m’étais jamais rendu compte combien l’Homo sapiens parle fort. Il projette de près son loin alors même que le vétérinaire prodigue son soin long de près.

Or, loin du son et près du corps, le postillon sort. Personnellement, j’en ai tiré un enseignement bien peu scientifique : faire taire et me taire ayant moi-même le postillon leste. Bien évidemment, j’applique le précepte après la phase d’expression à bonne distance qui me permet de collecter sèchement commémoratifs et anamnèse mais, aussi, d’emblée, de prendre une bonne distance et de la garder : distancer de prime abord pour bien distancier dans mes abords et pour ma prime. Mais, si se taire est finalement aisé, faire taire l’est moins car empiriquement dure est la tâche ! En effet, nos propriétaires mènent de front un symposium de la plus haute importance avec leurs animaux et continuent ardûment à postillonner sur le doux pelage de leur compagnon préféré : ils parlent, ils parlent, ils parlent… à leurs animaux. L’attrait est dans une conversation passionnante car unilatérale avec un auditeur bestial que la sélection génétique a prédestiné à cet acte de grand partage entre l’homme et l’animal, celui du « je te parle et tu te tais » et dont dépendent, si ce n’est sa survie, en tous les cas son gîte et son couvert. Nous en devenons alors le témoin, ni sourd ni aveugle mais muet et un peu mouillé ; l’acte de distanciation sociale ne s’opère plus. Ce constat tant félin que canin, peutêtre hippiatre, est à modérer dans le cadre de l’activité rurale. J’en ai fait l’expérience du jour à travers une “matrice” de vache, mot englobant et maternel pour un acte somme toute très trivial.

Ma joie fut grande de constater que l’animal à mon arrivée avait été placé dans un petit couloir de barres de contention dont je percevais d’emblée l’intérêt pour faire disposer l’éleveur et son fils de part et d’autre, les barrières tubulaires latérales constituant les remparts efficaces à maintenir cette fameuse distanciation sociale. C’était oublier l’aptitude première du père de jouer les ténors du barreau, criant et postillonnant de tout son plein pour raconter l’histoire, la grande, en long en large et en travers.

J’en fus quitte pour demander d’une petite voix le silence pour m’acquitter de ma tâche, celle de repousser ce qui se voyait et ne devait pas se voir. J’en terminais par la pose de trois épingles de bouclement : je saurai être plus rapide la prochaine fois en donnant d’emblée pour objectif commun de la boucler ! Mais cette difficulté d’obtenir silence suppose sans doute d’oublier que le mot distanciation provient historiquement du théâtre, lieu où la bonne distance fait naître la catharsis mais où les acteurs se parlent si près et se postillonnent tant les uns sur les autres. En ces temps de confinement, la catharsis est là, je vous le dis. Théâtralement, je vous le crie…

Frédéric Decante est praticien rural en Lozère. En parallèle, il mène une activité de photographe professionnel.

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