DÉCONFINER À LA LUMIÈRE DE LA GESTION EN ÉLEVAGE, « C’EST POSSIBLE » - La Semaine Vétérinaire n° 1853 du 08/05/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1853 du 08/05/2020

MÉDECINE DES POPULATIONS

PRATIQUE MIXTE

Auteur(s) : CLOTHILDE BARDE

Alors que la date du déconfi nement approche, la stratégie suscite de nombreuses interrogations. Pour disposer d’un cadre opérationnel utilisable, deux spécialistes de médecine des populations et d’économie de la santé animale, proposent de suivre certains principes appliqués en médecine de population des animaux de rente.

L’approche holiste, mobilisée en médecine vétérinaire des populations pour gérer la santé des animaux de rente, peut contribuer à apporter des solutions pour aborder le déconfi nement », selon Didier Raboisson et Guillaume Lhermie (IHAP, université de Toulouse, Inra, ENVT1). En effet, la situation de déconfi nement est complexe, car elle associe des contraintes biologiques, économiques, sociétales et politiques. Il s’agit de réduire l’impact sur les activités économiques du pays et sur le bien-être des individus, tout en veillant à maîtriser la propagation de l’épidémie et à éviter tout choc politique, rappellent-ils. De plus, une particularité majeure de l’épidémie de Covid-19 est l’incertitude biologique (comportement du virus, date d’un éventuel vaccin, etc.) et économique des experts. « L’intégration de l’ensemble de ces problématiques nécessitera par conséquent d’adopter lors du déconfi nement un pilotage souple et flexible, ajustable à court et moyen termes, pour ne pas avoir une perte de crédibilité de la population », ajoutent-ils.

Une approche originale de la santé collective

Dans ce contexte, outre les échanges de matériels, de médicaments et les services apportés par les laboratoires d’analyse vétérinaire, la médecine vétérinaire peut également apporter des solutions. Couplant médecine individuelle, épidémiologie et économie, l’approche médicale appliquée aux populations animales permet en effet de piloter en continu des équilibres dynamiques de santé au sein d’un groupe de populations en interactions. Des enjeux communs avec ceux du déconfinement

Cette discipline intègre à la fois les comportements des acteurs, leurs attentes et les aspects techniques et monétaires. Ainsi, dans le cas des bovins, elle est particulièrement complexe car, « tout en étant centrée sur la notion d’efficience (atteindre l’objectif avec le moins de ressources possible), elle doit répondre à l’articulation permanente entre la santé de l’individu et celle du lot ou du troupeau, et doit agir à court terme dans un système de long terme. En ce sens, elle se rapproche des enjeux du déconfi nement, et, très bientôt, du vivre avec le Covid-19 », selon Didier Raboisson et Guillaume Lhermie.

Accepter le “pilotage à vue”

Le déconfi nement puis la vie avec le Covid-19 constituerons une période d’incertitude propice à la contesta tion et à la déstabilisation des dispositifs institutionnels. « Ce qui pourrait être perçu comme un manque de vision, voire un amateurisme, n’est rien d’autre qu’un “pilotage à vue”, rendu incontrôlable par l’incertitude sur l’avenir et l’ensemble des nouvelles informations et des connaissances disponibles chaque jour », insistent-ils. Dans ce contexte, comme pour vivre avec certaines maladies animales de manière fonctionnelle et efficiente, il conviendra d’accepter l’incertitude des modèles de prédiction, qui déterminent la décision à prendre, et d’inclure des dispositifs de rétrocontrôle (outils et indicateurs précoces) qui valident ou font adapter la politique en cours, selon eux.

Limitation des biais cognitifs potentiels

À cet égard, pour faire face aux nombreux biais cognitifs, induits dans le cadre de la stratégie de gestion du déconfi nement, les principes appliqués en médecine de population procurent un cadre opérationnel utilisable. Selon les spécialistes en médecine de population animale, quatre critères de pilotage peuvent être retenus : le risque épidémiologique, mesuré notamment par la saturation des systèmes de santé en cas de vague épidémique, l’impact économique monétaire, mesuré par les métriques classiques de compatibilité d’état (baisse de produit intérieur brut, notamment), l’impact social, évalué à partir du bien-être sociétal (données économiques non monétaires), et l’impact politique, mesuré par l’absence de choc politique (éviter toute crise de type “gilets jaunes”). Ces principes pourront être appliqués à différentes échelles géographiques. « Le pilotage efficient du déconfi nement et du vivre avec le Covid-19 reposera sur la désegmentation des dispositifs existants et la combinaison étroite des efforts des différentes institu tions représentatives ayant des objectifs et des intérêts potentiellement divergents », concluent les auteurs.

1. Interactions hôtes-agents pathogènes, Institut national de la recherche agronomique, École nationale vétérinaire de Toulouse.

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