VIES DE PRATICIENS, ENTRE ADAPTATIONS ET CRAINTES - La Semaine Vétérinaire n° 1851 du 24/04/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1851 du 24/04/2020

TÉMOIGNAGES

FAIRE FRONT AU COVID-19

Auteur(s) : MARINE NEVEUX*, VALENTINE CHAMARD**, CLOTHILDE BARDE***, TANIT HALFON****

Le confinement est désormais bien installé en France, les vétérinaire se sont adaptés. Les difficultés sont multiples, la question de la reprise de l’activité émerge aussi.

Il est compliqué de respecter les mesures de distanciation sociale

PIERRE RIGAUD (L 82)

Praticien rural à la clinique de Besse-et-Saint-Anastaise (Puy-de-Dôme)

L’activité rurale de notre clinique n’a pas subi de grands changements depuis le début des mesures de restriction car nous avons, jusqu’à présent, beaucoup d’interventions d’urgence en obstétrique ou pour des maladies néonatales. Dans ce cadre, il est compliqué de respecter les mesures de distanciation sociale vis-à-vis des éleveurs et de les convaincre, par exemple, de ne pas convier la moitié du village à venir participer au vêlage ! Nous avons presque fini la prophylaxie, hormis dans quelques élevages en plein air intégral où elle est plus délicate à organiser. La distanciation est difficile à respecter lors de la prophylaxie des ovins, pourtant, il n’est pas possible de la reporter quand les animaux partent en estive. En pratique, en matière de mesures de biosécurité, nous mettons des masques en tissu lors des visites et nous utilisons une fiole d’alcool à 70 °C pour nous laver les mains avant et après celles-ci. Nous avons obligé les éleveurs à nous appeler avant toute visite au cabinet de façon à n’accueillir qu’une personne à la fois. Nous avons bricolé, pour notre seule ASV qui a poursuivi son activité, un écran de protection et nous essayons de désinfecter au mieux les différents objets après chaque utilisation. Pour le moment, nous sommes encore dans une zone encore très peu touchée par l’épidémie et les éleveurs ne se sentent pas très concernés, sauf d’un point de vue économique pour ceux en appellation d’origine protégée (AOP) laitière fromage qui ont des grosses difficultés à écouler leurs produits. Ces éleveurs auront certainement plus de mal à payer les factures, ce qui aura possiblement un impact sur notre chiffre d’affaires en rurale.

Une perte de repères

JEANNE DUPUIS (A 93)

Praticienne en filière porcine à Malestroit (Morbihan)

Comme nous avons suspendu toutes les visites excepté la gestion des urgences, de grandes difficultés sont à prévoir pour la reprise de l’activité.

Nous devrons rattraper notre retard dans le suivi des visites et les bilans sanitaires d’élevage. Il nous a fallu gérer l’accueil des clients au cabinet, organiser le travail de nos assistants et du personnel administratif, les suppléer ; leur santé et la nôtre sont notre priorité. Il y a plus de tension au travail pour tout le monde… Avec cette nouvelle organisation, nous essayons au maximum de valoriser notre temps, en avançant dans les paperasseries administratives, ou encore dans la formation continue et la construction d’offres de formation pour les clients. C’est exigeant : il faut se donner des objectifs pour bien avancer dans certains dossiers. Mais sans nos repères habituels que sont les sorties sur le terrain, je trouve qu’il est plus compliqué d’apprécier son efficacité. Ceci étant dit, je peux continuer mon activité de conseil, pour lequel je pouvais déjà travailler à distance. Côté financier, même si la vente des médicaments n’est pas impactée, la réduction de nos prestations impliquera forcément une baisse de notre chiffre d’affaires et donc de notre revenu. C’est vrai que cette crise est assez perturbante psychologiquement, mais nous ne sommes pas les plus à plaindre. Il faut relativiser. Malgré cette situation, il y a quand même une chose qui me soulage : les porcs d’élevage ne développent pas la maladie !

Le concept One Health, c’est aussi la santé des animaux

ISABELLE VIEIRA (N 84)

Praticienne canine à Fontainebleau (Seine-et-Marne)

En tant que vétérinaire comportementaliste, je m’inquiète des conséquences du confinement sur les animaux de compagnie. Je constate déjà une explosion des morsures, conséquence d’une stimulation à l’excès des chiens, avec des évaluations comportementales en urgence, des euthanasies injustes et des séquelles psychosociales évidentes. Il y a aussi fort à craindre que lors du déconfinement les cas d’anxiété de séparation soient légion. Par ailleurs, ne plus vacciner du tout me semble une erreur. Nous sensibilisons depuis des décennies les propriétaires à l’importance des dates de rappels : quelle crédibilité aurons-nous, à la sortie de la crise, quand nous voudrons reprendre les protocoles recommandés ? Il est certain que peu de propriétaires accepteront de revenir et de payer deux fois pour se mettre à jour. En outre, les chiots et les chatons d’élevage en âge d’être adoptés doivent être vaccinés et identifiés, et rejoindre leurs acquéreurs, faute de quoi de sérieux troubles du comportement sont à craindre. Continuer à vacciner (avec toutes les précautions nécessaires) ne relève aucunement d’une préoccupation mercantile ! Bien au contraire, il s’agit d’être cohérent et de préserver la santé des animaux dont le bien-être est uni avec celui de leur propriétaire. Nos clients confinés aiment leur animal de compagnie qui leur rend la vie plus belle et plus supportable. Il vaut mieux vacciner les chats et ne pas les confiner, cela posera moins de problèmes de santé pour tout le monde. On ne peut pas raisonnablement mettre entre parenthèses la santé animale pour soigner l’humain. La socialisation des chiots n’attendra pas le déconfinement ! Je fais le constat amer que les injonctions dictées aux vétérinaires traduisent un étrange sens du concept One Health. À l’issue de cette crise, le vétérinaire devra s’impliquer dans une démarche globale éthique, se positionner comme acteur majeur d’une réflexion déterminante pour l’avenir des écosystèmes et du vivreensemble, et questionner notre place auprès des espèces animales, incluant la faune sauvage, les espèces de production et les animaux de compagnie.

On peut regretter la totale impréparation de notre pays

PIERRE TRITZ (L 85)

Praticien équin et mixte à Faulquemont (Moselle)

Depuis le confinement, nous avons réorganisé l’activité de la clinique : au niveau de l’activité canine, nous avions déjà l’habitude de travailler sur rendez-vous, mais désormais les entrées sont restreintes. La porte d’entrée est fermée et les consultations sont espacées. Nous nous consacrons uniquement aux soins des animaux malades, nous avons arrêté les vaccinations, les détartrages, la chirurgie de convenance, etc. L’équipe a été réduite fortement : un vétérinaire assure les consultations en canine et un autre les visites en équine et en rurale. Il en est de même dans notre clinique de Rémilly. Seul un vétérinaire consulte au lieu de deux auparavant, afin de limiter les entrées (pas plus d’un client à la fois) et de garantir une distanciation sociale. Nous avons disposé une table devant le comptoir pour faire reculer les gens, car les lignes au sol n’étaient pas assez respectées, et équipé le comptoir d’accueil d’un plexiglas. En outre, il n’y a qu’une assistante à l’accueil, une autre est isolée à l’étage pour les tâches administratives. Trois vétérinaires sont en arrêt : l’une pour garde d’enfants, l’autre en raison d’une vulnérabilité pour asthme et la troisième pour un cas probable d’infection par le coronavirus. Une ASV a également contracté le virus. Il se pose cependant le problème des annonces gouvernementales : dans le cas de la garde d’enfant, pour le moment 50 % du salaire est à la charge de l’employeur ! Nous avons été confrontés à une pénurie de masques, nous avons dû en récupérer qui dataient de la grippe aviaire ! On ne délivre pas de médicaments ou le moins possible. Lorsque des personnes ont besoin d’un renouvellement pour un chien cardiaque que l’on suit, nous lui donnons rendez-vous et préparons sa venue. Pour l’activité rurale, nous terminons les prophylaxies qui sont importantes et pour que les éleveurs puissent sortir les animaux au pâturage.

En équine, nous reportons ce qui peut l’être. Nous sommes vigilants sur les gestes barrières. Nous ne nous attardons pas et les visites nous permettent d’être moins proches des personnes. Nous n’effectuons plus d’actes de dentisterie, ni de castration, etc. Nous allons essayer de préparer l’après-confinement. Il faudra des masques, des tests… On peut regretter la totale impréparation de notre pays face à cette crise sanitaire. Les systèmes d’alerte ont-ils fonctionné correctement ? Les vétérinaires y auraient été peut-être mieux préparés, ayant l’habitude de gérer les maladies infectieuses de groupe ! Cette crise permet de souligner l’importance de la surveillance épidémiologique, en particulier syndromique, telle qu’elle existe dans le Réseau d’épidémiosurveillance des pathologies équines (Respe) pour détecter des émergences de maladies exotiques équines ou la réémergence d’affections déjà présentes sur le territoire comme la fièvre de West Nile - n’oublions pas non plus la fièvre aphteuse, la fièvre catarrhale ovine ou encore la grippe aviaire -, mais cette surveillance repose sur la bonne volonté des vétérinaires praticiens…

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