« EN L’ABSENCE DE VACCIN, IL FAUDRA BIEN QUE LA POPULATION S’IMMUNISE » - La Semaine Vétérinaire n° 1851 du 24/04/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1851 du 24/04/2020

ÉPIDÉMIOLOGIE

FAIRE FRONT AU COVID-19

Auteur(s) : TANIT HALFON

Face à la pandémie, si l’urgence était de ne pas saturer les services de santé, il apparaît aujourd’hui inévitable d’en passer par une immunité collective. Explications.

Les mesures de confinement total mises en place par le gouvernement ont permis de gagner du temps, en particulier pour améliorer les connaissances relatives au nouveau coronavirus, explique Timothée Vergne, vétérinaire épidémiologiste et enseignant-chercheur en santé publique vétérinaire à l’École nationale vétérinaire de Toulouse.

Comment analysez-vous la stratégie globale de la France ?

Timothée Vergne : Un des objectifs du confinement est de stopper “brutalement” la progression du virus et d’éviter la saturation des services de santé et donc une surmortalité secondaire liée à la non prise en charge des patients devant être admis en soins intensifs pour des raisons autres que le Covid-19. Dans le contexte d’urgence et d’incertitude qui était celui du monde mi-mars, et compte tenu de la faible disponibilité des outils de dépistage en France, je ne vois pas comment autre chose aurait pu être mis en place sans risquer un effondrement des systèmes de santé. En revanche, en l’absence de vaccin, il faudra nécessairement que le virus se remette à diffuser pour que la population s’immunise et que le virus finisse par disparaître. Ou au moins circule à un niveau acceptable. Donc le confinement général n’est pas une solution viable sur le long terme, sans parler des conséquences économiques. Cependant, cela me paraît nécessaire pour gagner du temps afin de développer des traitements efficaces, un vaccin et de mieux comprendre comment le virus diffuse et quelles populations sont les plus à risque pour développer une stratégie raisonnée. La stratégie actuelle est clairement une stratégie de suppression, mais il faudra nécessairement bientôt passer par une stratégie d’atténuation réfléchie (encadré). Emmanuel Macron l’a d’ailleurs bien exprimé dans son discours en parlant d’une levée de confinement progressive.

Cela étant dit, au vu de la situation en Chine fin février, peut-être aurions-nous pu réagir plus vite. Confiner rien qu’une semaine plus tôt aurait probablement évité plusieurs milliers de morts. Cependant, il est difficile de dire si nous aurions dû, car en contrepartie moins de personnes se seraient immunisées, avec un risque plus élevé d’effet rebond au moment du déconfinement, et donc un risque d’une forte mortalité sur le long terme.

En théorie, la stratégie de suppression n’a-t-elle pas vocation à arrêter totalement la circulation d’un virus ?

Oui, c’est vrai. Mais sur le long terme, dans le cas de la crise actuelle mondiale, la suppression de la transmission ne peut pas être maintenue avec un confinement généralisé. Ça pourrait être envisageable si l’épidémie était géographiquement circonscrite, mais pas dans un contexte aussi pandémique, car ça impliquerait soit de maintenir le confinement jusqu’à ce que la pandémie soit contrôlée dans tous les pays, soit de rendre nos frontières totalement hermétiques dès que l’épidémie française est finie. Aucune de ces possibilités n’est viable économiquement, et dans le deuxième cas, il y aurait quand même un risque trop élevé de réintroduction du virus en France après la levée du confinement. En santé animale, dès lors qu’une maladie à fort impact survient sur un territoire, les espèces animales sensibles et leurs produits alimentaires dérivés ne sont généralement plus importés par les autres pays. On a donc bien une fermeture hermétique des frontières jusqu’à ce que la situation revienne à la normale. Mais bloquer des saucisses, ce n’est pas la même chose que bloquer des humains dans notre société mondialisée !

Quels seraient les objectifs du déconfinement, et quelles mesures pourraient permettre d’y parvenir ?

L’objectif du déconfinement est de relancer l’activité du pays tout en minimisant le nombre de morts et en laissant le virus diffuser de manière contrôlée dans la population pour construire l’immunité de groupe. Compte tenu de la contagiosité du virus, il faudrait qu’environ 60 % de la population soit immunisée pour que le virus ne puisse plus diffuser et que l’épidémie s’éteigne d’elle-même1. Une première étape serait de mesurer la proportion d’individus séropositifs, c’est-à-dire infectés et guéris, en testant un échantillon représentatif de la population française avec un test sérologique. Cela permettrait d’évaluer la longueur du chemin qu’il reste à parcourir. Même si les Français ont clairement modifié leurs habitudes, il sera nécessaire de procéder à un déconfinement progressif pour éviter de réaugmenter brutalement les taux de contacts entre individus. Différentes mesures peuvent être envisagées : déconfiner uniquement les personnes à faible risque de mortalité, reprendre les activités professionnelles en maintenant une forme de distanciation sociale et en conservant l’interdiction des rassemblements massifs en milieu confiné, déconfiner progressivement par zone géographique, maintenir un confinement pour les personnes malades, etc. C’est le conseil scientifique et le Care2 qui vont devoir définir la combinaison de mesures la plus susceptible de réussir. Les mesures de déconfinement doivent être des mesures applicables à l’échelle des populations, et non pas à l’individu. En revanche, il est possible d’appliquer des mesures de confinement à l’échelle des individus. Par exemple, déterminer qui a le droit de se déconfiner en fonction d’un résultat à un test sérologique n’est pas possible, car cela impliquerait de proposer un test à 60 millions d’individus.

N’est-ce pas illusoire de contrôler la propagation d’une maladie contagieuse ?

Avec un R0 un peu au-dessus de 2, le Covid-19 est beaucoup moins contagieux que bien d’autres maladies comme la rougeole en santé humaine, ou encore la fièvre aphteuse en santé animale. Même si le Covid-19 pose problème avec les excréteurs asymptomatiques, nous arriverons sans doute à surmonter cette crise. Mais peut-être faudra-t-il apprendre à vivre avec cette maladie, comme nous arrivons à le faire avec la grippe saisonnière.

1. Même en cas de réponse immunitaire courte, le seuil des 60 % reste valable.

2. Comité analyse recherche et expertise.

Réduire le R0

Timothée Vergne l’a récemment rappelé sur le site de l’Inrae1 : la gestion d’une épidémie passe par la mise en place de mesures visant à réduire le taux de reproduction de base (R0), soit le nombre moyen de personnes qui seront contaminées par un individu infecté. Deux stratégies sont possibles : la première consiste à amener le R0 à une valeur inférieure à 1. Dans cette stratégie, dite de suppression, la circulation virale est stoppée et le virus disparaît. On peut aussi choisir de diminuer le R0 à une valeur proche, mais supérieure, de 1. Il s’agit de la stratégie d’atténuation. Dans ce cas, le virus continue à circuler mais plus lentement, pour ne pas saturer les services d’urgence. Dans chacune des deux stratégies, plusieurs mesures sont possibles. Si dans la stratégie de suppression, l’usage massif de tests et l’isolement des personnes infectées pourraient être envisagés, en théorie, c’est bien le confinement qui demeure la mesure la plus efficace possible pour limiter la propagation du virus.

1. Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement : www.bit.ly/2Kjr76O.

Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr