L’ÉTAT TARDE ENCORE À ENGAGER DES CAPACITÉS « TRÈS PRÉCIEUSES » - La Semaine Vétérinaire n° 1849 du 10/04/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1849 du 10/04/2020

TESTS DE DÉPISTAGE

FAIRE FRONT AU COVID-19

Auteur(s) : MICHAELLA IGOHO-MORADEL

Pour la première fois en France, les laboratoires publics d’analyses vétérinaires sont autorisés à manipuler, dans un contexte de crise sanitaire, des échantillons d’origine humaine. S’il s’agit d’une avancée importante pour contenir l’épidémie de Covid-19, la question de la mobilisation des producteurs de réactifs vétérinaires reste, quant à elle, entière.

À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. L’état d’urgence sanitaire conduit l’exécutif à trouver des solutions mobilisables. Les vétérinaires sont appelés à rejoindre la réserve sanitaire et à manifester leur soutien matériel. Cette collaboration en période de crise semble être la traduction matérielle du concept One health (« une seule santé »). Dernière avancée majeure, le gouvernement, qui avait refusé pour des raisons d’ordre réglementaire l’offre des laboratoires d’analyses vétérinaires de réaliser des tests de dépistage du Covid-19, est revenu sur sa décision le 4 avril. L’épilogue d’une réflexion qui aura duré 10 jours. Mais à ce stade, ce dossier a comme un goût d’inachevé. Cette ouverture concernera-t-elle aussi les industriels du diagnostic vétérinaire qui se sont dit prêts à mobiliser leurs ressources pour aider à multiplier les tests de dépistage du virus Sars-CoV-2 ? Pour l’instant, la proposition que le Syndicat national du médicament et réactif vétérinaires (SIMV) avait fait connaître dès le 13 mars au gouvernement est restée lettre morte, bien que le Premier ministre, Édouard Philippe, et le ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran, laissent entrevoir une issue. À ce stade, il s’agit d’annonces qui doivent encore être suivies d’effets.Alors que la culture de la gestion de crises sanitaires par les acteurs du monde vétérinaire n’est plus à démontrer, n’aurait-il pas été plus judicieux de mobiliser ces deux ressources complémentaires ? Étonnamment, malgré l’urgence, le gouvernement semble vouloir avancer à petits pas prudents.

Le résultat d’une mobilisation

Début avril, le gouvernement autorise aux laboratoires d’analyses vétérinaires d’effectuer des tests de dépistage Covid-19 en appui aux laboratoires de biologie médicale, comme l’avait annoncé le ministre de la Santé dans un tweet. Un arrêté publié à la même date, encadre le recours à leurs services. Une avancée importante pour contenir l’épidémie. Ce revirement ne serait peut-être pas survenu sans la mobilisation de plusieurs acteurs, qui à la suite du refus d’Olivier Véran, lui ont rappelé l’urgence de la situation alors que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) appelait à intensifier les tests de dépistage de la maladie. Pas moins de quatre départements ont proposé que leurs laboratoires d’analyses vétérinaires contribuent à l’effort national. Une pétition pour la mise en place de tests massifs adressée au Premier ministre a recueilli plus de 93 000 signatures. Les réseaux sociaux se sont emparés du sujet pour dénoncer l’incohérence de la décision de l’exécutif. « Pourquoi le gouvernement a refusé à un laboratoire vétérinaire de faire 1 000 tests par jour ? », interrogeait un usager de Twitter. Du côté des personnalités politiques, Loïc Dombreval, député vétérinaire, et Arnaud Bazin, sénateur et vétérinaire, ont déposé une question écrite au ministre de la Santé sur l’intérêt d’employer les laboratoires d’analyses vétérinaires. L’Académie vétérinaire de France (AVF), ainsi que l’Académie nationale de médecine et l’Académie nationale de pharmacie ont également apporté leur soutien à cette initiative des laboratoires d’analyses vétérinaires. Jean-Luc Angot, président de l’AVF, a, quant à lui, rappelé que le niveau de sécurité de ces structures est identique à celui des laboratoires de biologie médicale.

Une décision incomplète

Même son de cloche chez l’Association française des directeurs et cadres des laboratoires vétérinaires publics d’analyses (Adilva), dont la présidente Aurèle Valognes estimait que le premier refus du gouvernement posait la question de la reconnaissance de l’expertise des laboratoires départementaux. Il aura fallu attendre 10 jours pour que le gouvernement change son fusil d’épaule. Les laboratoires départementaux d’analyses vétérinaires se disent prêts à relever le défi. Selon Aurèle Valogne, il s’agit d’une nouveauté pour un grand nombre de techniciens. « Nous avons l’habitude de travailler avec des échantillons contaminés d’origine animale. Mais la manipulation d’échantillons d’origine humaine suppose une responsabilité que nous saurons assumer. » Si le gouvernement mobilise les laboratoires d’analyses vétérinaires, pour l’instant, ce n’est pas le cas des capacités de production de réactifs. Pour Jean-Luc Angot, le gouvernement met la charrue avant les bœufs. « On ne peut pas faire d’analyses sans réactifs », souligne-t-il. Il rappelle que ces deux aspects sont très complémentaires. Pourtant, les industriels du diagnostic vétérinaire ont de quoi convaincre. « Trois adhérents (Idexx, Biosellal et IDVet) ont déjà indiqué être en mesure de produire chacun 150 000 à 300 000 tests PCR par semaine [NDLR : contre 20 000 par jour actuellement en France]  », indique Jean-Louis Hunault, président du SIMV. Des tests qui pourraient être livrés seulement 15 jours après l’autorisation de production. Ils sont aussi capables de produire des kits sérologiques. « Les producteurs français de réactifs vétérinaires ont l’expertise du diagnostic des coronaviroses chez les animaux et la capacité de produire plusieurs centaines de milliers de tests virologiques et sérologiques par mois », souligne l’AVF.

Un dossier à l’étude

Ce statu quo est difficilement compréhensible pour le président de l’AVF. « Face à cette « guerre » sanitaire, il est nécessaire que tout le monde soit mobilisé, avec les moyens qui existent », martèle Jean-Luc Angot. Pour les industriels du réactif vétérinaire dont les ressources se trouvent sur le territoire national, l’incompréhension est la même. Face à l’urgence, Jean-Louis Hunault demande une dérogation de flexibilité qui permettrait aux industriels de jouer leur rôle de contributeur. « À ce jour, nous n’avons reçu aucune autorisation à agir ni demande de l’exécutif. Cela nous place dans une situation assez inconfortable. Alors que nos technologies sont les mêmes que celles utilisées en santé humaine, nous ne comprenons pas que notre capacité industrielle ne soit pas employée », explique-t-il. Le 28 mars, le Premier ministre Édouard Philippe a laissé entrevoir une issue à cette situation. « Nous pourrions augmenter le nombre de tests si nous modifions les normes réglementaires. Nous devons nous dépêcher. Ces capacités supplémentaires d’analyses sont évidemment très précieuses », a-t-il indiqué. Qu’attend donc le gouvernement pour donner le feu vert à ce secteur ? Faudra-t-il que les ressources des industriels du réactif soient convoitées par de proches voisins pour agir ? Sollicité par la rédaction de La Semaine Vétérinaire, le ministère de la Santé a indiqué étudier ce dossier et chercher des solutions pour lever les obstacles réglementaires. « Actuellement, toutes les propositions sont à l’étude. Il n’y a pas de données permettant à ce jour de recommander ces réactifs. Nous mettons tous les moyens en place pour pouvoir proposer des techniques et des analyses optimales permettant d’avoir des résultats fiables », explique-t-il. ?

Le One health, un concept à concrétiser

La crise sanitaire du Covid-19 rappelle que la santé humaine et la santé animale sont intrinsèquement liées et doivent davantage converger. Pour Jean-Luc Angot, président de l’Académie vétérinaire de France (AVF), la situation actuelle est une occasion en or de mettre en pratique de façon bénéfique et très concrète le concept One health. Si l’application de cette approche dans les milieux académique et de recherche n’est plus à démontrer, sa traduction administrative est à concrétiser. « Dans un cadre de « guerre », tel que celui que nous connaissons aujourd’hui, les acteurs du terrain ont tout intérêt à collaborer ensemble », souligne Aurèle Valogne, présidente de l’Association française des directeurs et cadres des laboratoires vétérinaires publics d’analyses (Adilva). La crise du Covid-19 démontre que la mise en œuvre concrète de cette approche, tant plébiscitée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE), est possible. Mais il reste encore un chemin à parcourir afin que son application soit assimilée par tous. « Il existe encore une structure juridique qui est à l’origine d’un cloisonnement. On devrait plutôt aller vers l’ouverture et favoriser les passerelles entre les deux médecines, et ce pas uniquement en temps d’urgence », souligne Jean-Luc Angot.

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