DES TRAITEMENTS ANTIPARASITAIRES À REPENSER - La Semaine Vétérinaire n° 1849 du 10/04/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1849 du 10/04/2020

OVINS

PRATIQUE MIXTE

Auteur(s) : CLOTHILDE BARDE

Dans un contexte de résistance de plus en plus importante des strongles gastro-intestinaux aux anthelminthiques en élevage d’ovins, une étude menée en France vient de confirmer le fait que, outre les benzimidazoles, les lactones macrocycliques sont aussi de moins en moins efficaces.

Sans changement des pratiques actuelles, à l’instar de certaines régions d’Irlande ou d’Australie, le risque d’abandon de l’élevage ovin pour cause d’impossibilité de lutte contre les strongles gastro-intestinaux pourrait être réel à l’avenir en France, selon les résultats d’une étude menée dans le cadre de son travail de thèse par Anaëlle Desmolin, vétérinaire, sur l’efficacité des lactones macrocycliques dans le bassin de Roquefort (Aveyron)1.

Une problématique incontournable

En effet, parmi les problématiques devant être considérées dans la conduite d’un élevage ovin, la gestion des strongles gastro-intestinaux paraît incontournable, car ces derniers sont responsables de pertes de production (production laitière, croissance des agneaux), mais également d’une atteinte du bien-être animal. Or, en raison de leur facilité d’utilisation au travers de plusieurs formulations pharmaceutiques, de leur sécurité d’emploi et de leur bonne efficacité lors de la mise sur le marché, les lactones macrocycliques sont très fréquemment employées dans les élevages d’ovins. Cependant, des phénomènes de résistance, déjà bien connus pour les benzimidazoles dans le bassin de Roquefort, sont aussi suspectés pour les lactones macrocycliques. C’est pourquoi, pour compléter les données disponibles et fournir les meilleures recommandations aux vétérinaires et aux éleveurs d’ovins français, deux études ont été menées sur l’usage des lactones macrocycliques, antiparasitaires les plus fréquemment utilisées, dans cette région où l’élevage ovin représente une part non négligeable de l’économie. La première concerne l’évaluation de l’efficacité de l’éprinomectine pour on (Eprinex Multi) dans les troupeaux ovins laitiers et la deuxième, l’évaluation de l’efficacité de la moxidectine et de l’ivermectine (Oramec et Cydectine) dans les troupeaux ovins allaitants.

Une évaluation de la résistance des parasites

Les 12 élevages ovins laitiers de race lacaune du bassin de Roquefort choisis pour le premier essai de terrain utilisent de façon répétée l’éprinomectine pour on en élevage depuis cinq ans. Parmi eux, 9 réalisent un traitement de façon systématique, sans vérifier auparavant le niveau d’infestation du troupeau, et 11 procèdent au traitement en ciblant spécifiquement les lots les plus à risque (en particulier les jeunes). Dans les deux lots, témoin et traité (Eprinex Multi en pour on), des prélèvements de fèces ont été effectués et envoyés à Aveyron Labo pour coproscopie de mélanges à J0 (juste avant le traitement) et 14 jours plus tard, uniquement si le niveau d’excrétion était supérieur à 300 œufs par gramme à J0. De plus, les larves L3 ont été récoltées pour identification par polymerase chain reaction (PCR) des espèces présentes1. En parallèle, le même protocole a été suivi pour les 9 élevages d’ovins allaitants de race lacaune du bassin de Roquefort ayant participé à la seconde étude (prélèvements de matières fécales et analyses coproscopiques). Seule une exploitation ne réalisait pas de coproscopie préalable au traitement anthelminthique et toutes les autres traitaient les animaux uniquement lorsque le niveau d’infestation devenait trop élevé. De plus, dans 6 des 9 exploitations étudiées, les éleveurs réalisaient une alternance dans l’utilisation des molécules anthelminthiques afin de ralentir l’apparition de résistances.

L’efficacité des molécules remise en question

Les résultats de ces études montrent que l’efficacité de ces molécules peut être mise en péril à plus ou moins long terme. En ce qui concerne l’éprinomectine appliquée en pour on (Eprinex Multi), très utilisée en élevage laitier en raison d’un temps d’attente nul dans le lait, les résultats obtenus sont préoccupants puisqu’une baisse d’efficacité (test de réduction d’excrétion fécale [faecal egg count reduction test, FECRT]) est observée dans la grande majorité des exploitations ayant participé à l’étude. En effet, dans 10 d’entre elles les valeurs obtenues sont inférieures à 95 %, ce qui correspond à une diminution d’efficacité de l’Eprinex Multi et laisse supposer la présence de strongles résistants à l’éprinomectine. Ce test seul ne permet toutefois pas d’affirmer si cette baisse est due à un problème de biodisponibilité lié à la formulation pour on de l’Eprinex Multi (léchage, défaut d’application) ou à l’apparition de mécanismes de résistance à l’éprinomectine chez certaines souches de strongles gastro-intestinaux. C’est pourquoi des coprocultures ont aussi été réalisées. Elles révèlent que le traitement à l’Eprinex Multi présente une meilleure efficacité sur H. contortus et T. circumcincta que sur Trichostrongylus spp. (ce qui pourrait éventuellement révéler la présence d’une souche résistante).

Des travaux à approfondir

La question de l’apparition de phénomènes de résistance à l’éprinomectine reste donc encore à explorer en menant une étude plus approfondie avec de l’éprinomectine injectable. Par ailleurs, dans les élevages d’ovins allaitants de race lacaune du bassin de Roquefort ayant participé à l’étude, la moxidectine (Cydectine orale) possède une parfaite efficacité contre toutes les espèces de strongles gastro-intestinaux, ce qui constitue un élément rassurant concernant son utilisation. Par ailleurs, l’ivermectine par voie orale (Oramec) reste elle aussi efficace dans la plupart des exploitations. Ainsi, les résultats obtenus sont très satisfaisants dans 7 élevages sur les 9 de l’étude, puisque les FECRT sont de 100 % après traitement à l’Oramec et à la Cydectine orale. Des questions se posent toutefois dans 2 exploitations sur l’apparition de mécanismes de résistance chez H. contortus, car des larves étaient présentes après la réalisation des coprocultures. De plus, le FECRT observé ne permet pas d’affirmer avec certitude l’existence de strongles résistants. Cependant, dans un contexte d’augmentation de la prévalence des résistances aux lactones macrocycliques en France, ces résultats constituent un signe d’appel qui ne peut pas être ignoré. Il semblerait donc que les pratiques d’utilisation des antiparasitaires en élevage d’ovins devront être repensées rapidement vers une lutte raisonnée. ?

1. Évaluation de l’efficacité des lactones macrocycliques sur les strongles digestifs des ovins du rayon de Roquefort.

« LES ÉLEVEURS ATTENDENT QU’ON LEUR PROPOSE UNE SOLUTION EFFICACE »

ENTRETIEN AVEC ANAËLLE DESMOLIN, VÉTÉRINAIRE À LAISSAC (AVEYRON).

PROPOS RECUEILLIS PAR CLOTHILDE BARDE

Pourquoi avoir mis en place cette enquête sur les lactones macrocycliques dans le bassin de Roquefort, en Aveyron ?

’enquête a été réalisée à la demande des vétérinaires de la coopérative Unicor, qui avaient l’impression que les traitements à l’éprinomectine pour on (Eprinex Multi), pourtant correctement effectués, n’étaient pas complètement efficaces dans certains élevages ovins qu’ils suivaient. L’objectif était de compléter les données disponibles sur ces produits.

Quel a été l’accueildes éleveurs lorsde l’étude ?

Très positif. Les éleveurs étaient motivés. Cette étude avait un réel intérêt aussi bien en filière allaitante qu’en filière laitière, car les protocoles et les molécules testées sont ceux utilisés en pratique dans leurs exploitations. Ainsi, l’éprinomectine pour on est employée en élevage laitier, car c’est le seul traitement actuellement autorisé avec un temps d’attente nul pour le lait.

Peut-on réellement conclure à l’apparition de résistances avec les résultats de cette étude ?

C’est la grande question… Pour le moment on ne peut pas conclure quant à l’importance respective de l’application pour on et du phénomène de résistance en ce qui concerne l’éprinomectine. En revanche, il semble qu’une souche d’Haemonchus contortus ayant développé des mécanismes de résistance à l’ivermectine soit présente dans deux des élevages ovins allaitants.

Quels sont les retours des éleveurs face aux résultats de cette enquête ? Quelles pratiques vont être mises en œuvre ?

Les éleveurs attendent qu’on leur propose une solution efficace avec délai d’attente nul pour le lait. Si l’on peut confirmer que le manque d’efficacité de l’Eprinex Multi provient effectivement de la voie d’administration pour on, l’éprinomectine injectable pourrait être une solution alternative intéressante. Il est d’ailleurs prévu prochainement la mise sur le marché d’une éprinomectine injectable (Eprecis injectable, Ceva) avec autorisation de mise sur le marché (AMM) pour les ovins et temps d’attente lait nul comme c’est déjà le cas chez les bovins. D’ici là, les éleveurs laitiers sont encouragés à traiter pendant le tarissement, mais lorsqu’ils constatent la présence de parasites en cours de lactation, ils doivent encore continuer à utiliser l’éprinomectine pour on. Dans les deux élevages d’ovins allaitants dans lesquels des phénomènes de résistance à l’oramec ont été observés, les éleveurs sont incités à l’arrêter et à le remplacer par le lévamisole ou la cydectine.

Quelles autres études sont menées pour compléter ces résultats ?

Un projet est en cours d’élaboration pour la mise en place d’un observatoire de la résistance à l’éprinomectine dans le département de Roquefort et au Pays basque. Des vétérinaires présents sur place réaliseront sur plusieurs années des tests d’efficacité dans certains de leurs élevages qui utilisent beaucoup l’éprinomectine ou qui auraient déjà remarqué des efficacités incomplètes (dosage plasmatique de la molécule pour évaluer l’efficacité de l’application pour on chez les ovins).

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