LA RÉDUCTION DE L’USAGE DES ANTIBIOTIQUES A UN IMPACT ÉCONOMIQUE - La Semaine Vétérinaire n° 1847 du 27/03/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1847 du 27/03/2020

ÉLEVAGE DE BOVINS LAITIERS

PRATIQUE MIXTE

FORMATION

Auteur(s) : CLOTHILDE BARDE

CONFÉRENCIÈRE

D. RABOISSON • A. FERCHIOU • J-J. MINVIELL • V. CAILLEUX • T. COLIN • B. DUCASSE • M. TASSAIN • G. LHERMIE • P. SANS, École nationale vétérinaire de Toulouse.

Article rédigé d’après une conférence présentée lors du congrès de la SNGTV à Nantes (Loire-Atlantique), en mai 2019.

Dans un contexte de santé publique, la réduction de l’usage des antibiotiques en médecine vétérinaire menée dans le cadre du plan ÉcoAntibio, bien que forte ces dernières années (37 % entre 2012 et 2017), a été variable selon les filières d’élevage. Cela s’explique notamment par leur niveau d’usage avant la mise en place du plan ou par la facilité technique et économique de substitution du recours aux antibiotiques par d’autres pratiques médicales ou non médicales, préventives ou curatives, dans ces élevages.

La valeur du coût marginal d’abattement

En effet, la réduction de l’usage des antibiotiques au sein d’une filière animale renvoie à plusieurs principes économiques complexes comme la valeur du coût marginal d’abattement. Ce paramètre désigne le coût effectif pour l’éleveur de la baisse d’usage d’antibiotiques d’un point de pourcentage supplémentaire. Cette valeur peut être déclinée par espèce et par famille d’antibiotique et varie au fur et à mesure que l’usage baisse : chaque point de pourcentage de baisse supplémentaire coûte plus cher que précédemment, car il est souvent techniquement plus difficile à atteindre. On peut par conséquent spéculer que la réduction de l’utilisation des antibiotiques a eu un coût relativement faible jusqu’ici, car le niveau de départ était plutôt élevé, mais qu’une éventuelle baisse supplémentaire de l’usage des antibiotiques dans les années à venir ait un coût marginal plus élevé. Par ailleurs, il convient de considérer la durabilité économique des substitutions de pratiques. Ainsi, la réduction de l’usage des antibiotiques en élevage a été rendue possible par la baisse des prévalences des maladies à la suite de la mise en place de bonnes pratiques d’élevage (prévention sanitaire), mais aussi et surtout par une baisse drastique des usages préventifs ou métaphylactiques. Toutefois, cette situation n’est possible de façon pérenne que si elle n’est pas associée à une dégradation des performances économiques des élevages, incluant l’impact monétaire, mais aussi un niveau supérieur d’exposition au risque et des temps de travail parfois supérieurs, dans un contexte économique et social tendu.

Des performances économiques conservées sous certaines conditions

Considérant le facteur économique, l’exemple de la gestion des mammites cliniques en élevage bovin laitier (60 % de l’usage des antibiotiques dans ce secteur) a permis d’étudier les arbitrages entre l’usage des intrants antibiotiques et le revenu agricole en élevage bovin laitier. Un modèle bioéconomique a ainsi été développé en deux temps. Tout d’abord, un volet biologique de l’outil a été construit afin de représenter de façon dynamique l’évolution du cheptel et de réaliser la simulation de différents scénarios techniques sur 10 ans au sein d’un atelier bovin laitier. La situation de chaque vache est définie chaque semaine selon la probabilité de survenue d’événements zootechniques ou sanitaires et selon les risques propres à chaque animal. Ainsi, une vache en période post-partum a une probabilité donnée d’avoir une métrite, augmentée en cas de cétose subclinique. Ce modèle biologique a ensuite été couplé à un modèle économique d’optimisation, afin de trouver la meilleure solution parmi les simulations réalisées, en fonction des critères à optimiser (par exemple, le revenu) ou des critères contraignants (par exemple, l’exposition aux antibiotiques, le temps de travail), dans différents contextes de logement et d’alimentation (éleveurs de différents niveaux techniques). Les simulations réalisées ont permis de montrer que, si les pratiques d’élevage sont correctes, les éleveurs peuvent réduire l’usage des antibiotiques sans perte de rentabilité économique, et ce indépendamment des pratiques de tarissement utilisées. Dans le cas de pratiques usuelles, le revenu évolue peu lors de traitement au tarissement systématique et de traitement sélectif avec obturateur, mais il diminue sensiblement lors de traitement sélectif sans obturateur.

Des travaux de recherche à poursuivre

À l’inverse, si les pratiques d’élevage sont dégradées, le traitement systématique permet de sécuriser le revenu de l’éleveur, avec une baisse limitée de celui-ci. La perte de revenu est, en revanche, doublée en cas de traitement sélectif avec obturateur lorsque les pratiques générales d’élevage sont dégradées. Dans ce contexte, les élevages n’atteignent jamais les performances économiques les plus élevées, indépendamment du niveau d’usage des antibiotiques, mais le temps de travail est inférieur à celui des éleveurs avec de très bonnes pratiques. Ces résultats sont en accord avec ceux d’études réalisées dans d’autres pays européens1. Or, étant donné que les changements de pratiques de l’éleveur demandent des investissements humains importants, et augmentent fortement le temps de travail quotidien, il semble difficile de réclamer un tel effort sans dégrader d’autres pratiques sur d’autres postes techniques de l’atelier. C’est pourquoi des essais multicritères intégrant simultanément la baisse de l’exposition aux antibiotiques, le bien-être animal, la stabilisation du revenu, et une augmentation du temps de travail limité devraient permettre très rapidement d’apporter des réponses pratiques et adaptées aux situations de terrain.

1. Scherpenzel, 2018.

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